Effets secondaires

REALISATION : Steven Soderbergh
PRODUCTION : Di Bonaventura Pictures, Endgame Entertainment
AVEC : Jude Law, Rooney Mara, Catherine Zeta-Jones, Channing Tatum
SCENARIO : Scott Z. Burns
PHOTOGRAPHIE : Steven Soderbergh
MONTAGE : Steven Soderbergh
BANDE ORIGINALE : Thomas Newman
ORIGINE : Etats-Unis
TITRE ORIGINAL : Side effects
GENRE : Thriller
DATE DE SORTIE : 3 avril 2013
DUREE : 1h46
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Jon Banks est un psychiatre ambitieux. Quand une jeune femme, Emilie, le consulte pour dépression, il lui prescrit un nouveau médicament. Lorsque la police trouve Emilie couverte de sang, un couteau à la main, le cadavre de son mari à ses pieds, sans aucun souvenir de ce qui s’est passé, la réputation du docteur Banks est compromise…

Si le cinéma était une maladie, nul doute que Steven Soderbergh ne serait pas du genre à se faire vacciner, ne serait-ce qu’au regard d’une filmographie en tous points passionnante et marquée par le désir de dérouter son audience à chaque reprise. Pourtant, à l’heure où nous rédigeons cette critique, le nouveau film du réalisateur (Ma vie avec Liberace) vient tout juste de sortir en salles après sa présentation à Cannes, et il semble déjà plus ou moins acquis qu’il s’agira du dernier. La contamination a-t-elle donc fini par devenir virale pour lui au point de l’encourager à lâcher le 7ème Art ? Les raisons de ce choix ne manquent pas, mais on considèrera malgré tout que cette année 2013 aura constitué pour lui un très beau chant du cygne. Si son biopic sur Liberace laissera davantage une trace dans les mémoires pour le jeu de ses acteurs que pour ses qualités de mise en scène, Effets secondaires finira certainement d’ici quelques années par décoller son étiquette de « film mineur » que bon nombre de spectateurs n’ont pas manqué de lui fixer sur le haut de la pellicule dès sa sortie en avril 2013. Il est d’ailleurs profondément inutile d’autopsier notre sujet d’expérience en espérant n’y voir qu’un thriller sur la psychopharmacologie, puisque le vrai sujet du film ne réside pas là. Ne jamais oublier que Soderbergh, à de très rares exceptions près (dont le consensuel Erin Brockovich), n’a eu de cesse que de relancer les dès de ses intrigues jusqu’à un point insoupçonné, au risque de dévier sur des voies plus couillues. On pourrait ne voir en lui qu’un sacré roublard, mais en réalité, c’est à un authentique fabricant de pièges que l’on se confronte à chaque nouveau film. Du genre à torpiller en sous-marin les règles établies de cette industrie hollywoodienne axée sur le vampirisme des artistes, et qu’il semble aujourd’hui bien déterminé à larguer pour de bon.

Quitte à rejouer la carte de la politique des auteurs, on pourrait dire que la clé de ce film réside surtout dans le processus thématique qui englobe à lui tout seul la quasi-totalité de la filmo de Soderbergh ainsi que sa mise en scène : la captation des flux. Ces choses qui circulent au sein même du virtuel et du contemporain, lesquelles ont permis au cinéaste de radicaliser son approche depuis déjà quelques années. A titre d’exemple, dans Girlfriend Experience, son incursion dans le monde de Wall Street s’effectuait au travers du quotidien d’une pute de luxe, la circulation du sexe rejoignant en fin de compte la circulation de l’argent au sein même du monde capitaliste. Idem dans le cas de The informant, où Matt Damon orchestrait une danse insidieuse entre l’escroquerie et la mythomanie, et plus récemment dans Magic Mike et Piégée, qui intégraient eux aussi la notion de « flux » sous l’angle de l’expression corporelle (le strip-tease pour l’un, la baston pour l’autre) au cœur d’un espace géographique en perpétuelle mutation. Rien ne fut cependant plus fort que l’uppercut Contagion, opus magistral où la genèse d’un processus de contamination, à la fois perceptible et invisible, fusait à pleine vitesse sur toutes les strates sociales à travers la planète. Effets secondaires prolonge le propos de ce film en l’inscrivant toutefois dans un autre terrain, certes plus petit mais infiniment plus complexe à maîtriser : le cerveau humain.

Psyché, paranoïa et manipulation seront donc le sel d’un vaste jeu de faux-semblants au centre d’un triangle de personnages, aux intentions plus troubles que prévu. Une trinité, donc : un éminent psychiatre new-yorkais (Jude Law) chargé d’effectuer une étude clinique sur un nouveau médicament, une jeune femme dépressive (Rooney Mara) servant de cobaye pour ce médicament et coupable d’avoir assassiné son mari récemment libéré de prison (Channing Tatum), et l’ancien médecin-psychiatre de cette dernière (Catherine Zeta-Jones) qui semble dissimuler de précieuses informations sur son ex-patiente. On aura vite fait de laisser de côté le concept de psychopharmacologie, certes abordée ici avec un rare souci de réalisme par Soderbergh (on pénètre tout, des discussions sur la déontologie et l’état second des patients jusqu’aux réunions au restaurant entre médecins friqués) mais très vite mise en retrait au profit d’un pur récit à tiroirs, quasi hitchcockien, tricoté avec malice et perversité par un cinéaste que l’on n’imaginait pas aussi surdoué sur ces deux terrains. Il n’empêche qu’au travers de cette pure dynamique de cinéma de genre, Soderbergh reste fixé sur le même objectif qu’avant : capter la contagion. Pas celle qui semble habiter des corps dévorés par la maladie, mais plutôt celle qui s’active au cœur même de l’esprit de ces corps. Si les personnages de Contagion se voyaient mis à mal par les effets d’un virus dévastateur, ceux d’Effets secondaires font l’inverse en renforçant par leurs actes la propagation d’un autre virus, tout aussi fatal.

Les machinations disséminées par le film ayant toutes en commun la finance et l’ambition (avec la notion de survie sociale en intraveineuse des échanges humains), on ne met pas longtemps à voir dans le film le tableau d’une Amérique à différentes couches sociales, contaminées à leur manière autant par la spirale du mensonge que par un double virus : celui des rapports de force et du profit à n’importe quel prix, y compris la parjure ou le meurtre. A tout prendre, on pourrait presque considérer cette vision pessimiste et réellement agressive du monde contemporain comme une forme de revanche chez le cinéaste, sans doute si écœuré par le fonctionnement interne de ce système (à l’image des studios hollywoodiens, on n’en doute désormais plus…) qu’il en serait poussé à l’autopsier à grands coups de scalpel dans les parties intimes. Mais pour autant, le plus surprenant réside dans le fait que Soderbergh donne ici à sa mise en scène, souvent dénigrée à tort comme une enfilade de vignettes fixes et glacées au détriment de tout dynamisme, un relief de « méta-cinéma ». C’est qu’ici, son filmage ose enfin inclure en son sein la thématique qu’il cherche à aborder, usant de décadrages discrets et d’une froideur apparente pour mieux pervertir les forces vitales du cadre et de l’espace. Du coup, le profond malaise que l’on ressent durant toute la projection n’a pas à chercher bien loin son origine : que les scènes soient fiévreuses (voir les deux scènes de sexe entre Tatum et Mara, englobés d’une lumière tamisée et de couleurs quasi-utérines) ou quelconques (des discussions où l’on parle beaucoup et où l’on cache tout), chaque cadre semble possédé, contaminé par une force invisible. Voir les personnages du film comme des globules rouges fiévreux pris au piège d’un organisme contaminé (la société capitaliste) en devient pure logique, de même que le plan d’ouverture du film (le panoramique d’un immeuble, avec zoom avant sur une fenêtre) renvoie au plan de clôture (le même plan, mais à l’envers) sur le compartimentage des individus dans leur propre mensonge.

Les acteurs jouent également sur cet entre-deux avec un certain panache : si Catherine Zeta-Jones tend à forcer un peu le trait par ses rictus et son jeu glacé (difficile de ne pas deviner très vite son implication réelle dans l’intrigue), Jude Law et Rooney Mara dégagent une tension extrême dans chaque confrontation, chacun à leur manière (la perte de contrôle pour l’un, la passivité trouble pour l’autre). Et au bout du compte, le film continuer de nous hanter, révélant le flux diffus mais bien réel qui peut relier le cinéma à une maladie que l’on prend plaisir à contracter. Les effets secondaires que l’on ressent après coup sont en tout cas d’autant plus dévastateurs qu’ils prouvent à quel point Steven Soderbergh n’a de cesse que de vouloir jouer avec nos nerfs derrière son apparente neutralité glaciale. Sous une grosse enveloppe de froideur, ça peut très souvent chauffer à un degré trop élevé. En général, on appelle ça une fièvre, et ce n’est jamais très enthousiasmant de s’en choper une. Sauf ici. Merci beaucoup, docteur Soderbergh, de ne nous conseiller aucun médicament sur votre prescription.

Laisser un commentaire

Lire les articles précédents :
21 jump street : L’explosion pop

Courte-Focale.fr : Critique de 21 jump street, de Phil Lord et Chris Miller (Etats-Unis - 2012)

Fermer