REALISATION : Adam Wingard
PRODUCTION : Lin Pictures, Vertigo Entertainment,
AVEC : Nat Wolff, Lakeith Stanfield, Margaret Qualley, Willem Dafoe,
SCENARIO : Charley Parlapanides, Jeremy Slater,
PHOTOGRAPHIE : David Tattersall,
MONTAGE : Louis Cioffi,
BANDE ORIGINALE : Atticus Ross, Leopold Ross,
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Action, Fantastique
DATE DE SORTIE : 25 août 2017
DUREE : 1h41
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Inspiré du célèbre manga japonais écrit par Tsugumi Ohba et illustré par Takeshi Obata, Death Note suit un lycéen qui trouve un carnet doté d’un pouvoir surnaturel : quiconque le possède condamne à mort ceux dont il y inscrit le nom en pensant à leur visage. Enivré par un sentiment de toute-puissance quasi divine, le jeune homme commence à tuer ceux qu’il estime indignes de vivre.
Si l’on craignait une chose quant à la version américaine de Death Note, c’était de voir le matériau d’origine se faire édulcorer. Or, osons cette interrogation : est-ce que cette édulcoration serait forcément un mal ? Avant de recevoir la première tomate pourrie balancée par un irréductible fan, il convient de développer en revenant sur le manga de Tsugumi Ohba et Takeshi Obata. Dans ses prémisses, celui-ci s’apparente à un test psychologique comparable à l’expérience de Milgram : que se passe-t-il si on donne à quelqu’un le pouvoir de tuer anonymement par un simple geste ? C’est le jeu que lance le dieu de la mort Ryûk en confiant son cahier à Light Yagami. En y inscrivant un nom, ce lycéen est capable de causer la mort. L’adolescent va placer tout son intellect dans la réalisation d’une utopie : rendre la société parfaite en l’expurgeant de la criminalité. Son action ambitieuse prend de plus en plus d’ampleur et, avec le concours des médias, elle déchire la population quant à sa légitimité. Bien qu’obligé de reconnaître la diminution du nombre de crimes suite à cette minutieuse épuration, les gouvernements ne la cautionnent pas (du moins un temps) et font appel à L. Mystérieux détective, L apparaît comme le seul être apte à découvrir l’identité du tueur de masse et à l’arrêter ; Ryûk ne pouvait pas espérer un meilleur spectacle, la série devenant un incroyable jeu du chat et de la souris. Pour le scénariste Tsugumi Ohba, l’intérêt de la série littéraire réside en cette opposition entre deux grands esprits calculateurs. Il déploie leur relation de manière désinhibée, propulsant les jeux de manipulation dans une complexité si absurde qu’ils en deviennent captivants.
En revanche, l’auteur juge que Death Note n’a rien d’une réflexion idéologique. Cette déclaration qu’il fit dans l’interview du dernier tome de la série a de quoi surprendre par rapport à la nature de son histoire. Alors que la série repose généralement ses mécaniques narratives sur l’adhésion ou non au discours de Light, il n’y aurait en fait aucune question à se poser à ce sujet. Seul compterait le divertissement procuré par une guerre psychologique. Cela explique la caractérisation qu’Ohba fait de Light. Dire que Light est un méchant serait inapproprié. Monstre est un qualificatif plus exact. À aucun moment du récit, vous ne le verrez éprouver une émotion ou faire preuve d’humanité, il est entièrement dévolu à l’accomplissement de son idéal abstrait et rien ne le stoppe en cela. Il ne voit son entourage que sous le prisme de pions à employer pour son projet et qu’il peut sacrifier sans le moindre remord. Il est finalement plus obsédé par son projet que par ce que celui-ci sous-tend, le rapport avec son père le dénote. En effet, il le considère comme un exemple de l’homme juste et droit que le système a plus tendance à enfoncer qu’à glorifier. C’est pour ce type d’homme qu’il aspire à une nouvelle société. Or son père est un obstacle à sa croisade et il le traite donc uniquement comme une donnée parmi tant d’autres. Même lorsque son père est mourant, Light demeure focalisé sur son but et non sur les sentiments liés à ses actes. Guère étonnant que Tsugumi Ohba le définisse lui-même comme le mal absolu. Light est un être tout bonnement abominable et la thèse qu’il défend le devient tout autant. Certes, Ohba rétorque que L n’est pas mieux. En effet, le détective possède des méthodes tout aussi discutables que son ennemi et met à rude épreuve les limites que lui impose la loi. Il reste précisément le garant d’une justice imparfaite mais comportant au moins un fond de moralité, ce que Light n’a jamais. Là où le conflit de Death Note devrait être anti-manichéen et bousculer ce que l’on croit juste, il finit par dessiner une frontière entre le Bien et le Mal. Par conséquent, atténuer la personnalité de Light ne serait-il pas le moyen de faire naître l’ambiguïté ? Créer une empathie pour le personnage et nous amener par là à ébranler nos convictions…
C’est cette direction que le réalisateur Adam Wingard et ses scénaristes vont effectivement prendre. Light abandonne son aspect froid et déshumanisé. S’il se fixe une mission, il ne peut pas toutefois couper ses émotions. C’est d’ailleurs l’émotion qui guide ses premiers pas avec le cahier de la mort. Après un essai, le premier jalon de son plan portera sur le meurtrier de sa mère relâché faute de preuve. Light est ainsi capable de s’interroger sur son objectif et, sans s’en détourner, de constater l’horreur engendrée par ses actions. Ce qui est le cas par exemple lorsque sa survie passe par le meurtre des innocents agents du FBI qui le surveillent. Le moment probablement le plus révélateur intervient dans le dernier acte : acculé, il écrit dans le cahier un stratagème qui pourrait le sortir d’affaire. Puis il suspend son geste. Durant un court instant, on voit le doute étreindre le personnage et cela rend d’autant plus fort le fait qu’il saute le pas. Il pèse le pour et le contre mais au final, il reste sur le chemin qu’il s’est tracé. Montrer un personnage plus faillible perturbe car il favorise l’identification et nous place au cœur de la problématique de la justice. Ce à quoi renvoie maintenant le parcours de L. Aussi calme et méthodique que Light dans le manga, il devient quelqu’un de plus impulsif et presque vindicatif. Un apport émotionnel qui l’amène en conclusion à se confronter à ce qu’il considère comme juste.
En cela, l’adaptation est loin d’avoir de mauvaises idées et offre au bout du compte un point de vue plus intéressant que le morne diptyque japonais signé par Shûsuke Kaneko. Cependant, l’application de ces idées ne vaut rien si elle demeure ponctuelle, ne s’inscrivant jamais dans un ensemble contrôlé, c’est pourquoi la version américaine de Death Note prend un tour sinistre. En devenant un individu plus proche de nous, il était prévisible que Light perde son aura fascinante. Néanmoins, cela n’autorise pas à l’envelopper de ridicule. Voir un personnage si malhabile, empoté et hystérique (sa première rencontre avec Ryûk vaut son pesant d’or) nuit gravement à l’appréciation. Le maigre charisme de l’acteur Nat Wolff n’aide pas. En le normalisant dans n’importe quel sens, le personnage passe pour une pleureuse subissant plus l’action qu’il ne la cause. Donner un supplément d’âme au personnage est une bonne chose. Le décharger d’une part de ses responsabilités l’est moins. Les bienfaits de l’édulcoration trouvent ici leurs limites et c’est désormais son mauvais penchant qui s’exprime.
Ryûk est en ce sens un personnage insistant, poussant plus Light à utiliser le cahier sans se préoccuper de ses innombrables règles. On pourra accorder à Wingard une illustration plus classique mais pas forcément inadéquate du dieu de la mort. Les dessins de Takeshi Obata le dévoilait sans détour, le montrant dans son entier se déplacer nonchalamment au côté de Light. On était alors enclin à oublier la nature du protagoniste et à ne plus le voir que sous l’angle d’un spectateur amusé. Ce qui accentuait le cruel rappel à l’ordre lors du climax. A l’inverse, Wingard lui octroie perpétuellement une dimension horrifique. Il le filme essentiellement dans l’ombre et partiellement, ne nous offrant souvent que son inquiétante silhouette et la voix frissonnante du génial Willem Dafoe. Cet éloignement de la créature du manga n’est pas désagréable en matière d’ambiance. Mais il est regrettable que cet accent sur le démoniaque se mette à sonner comme une excuse au comportement de Light.
Il y a un souci similaire avec le personnage de Mia. Là encore, la bonne intention dérape. Dans le manga, Misa était une personnage infantile suivant aveuglément les ordres de Light. Pour ce dernier, leur relation amoureuse n’est qu’une utile couverture et il est constamment prêt à la liquider si elle devenait trop gênante. Misa est en quelque sorte un miroir renvoyant Light à la certaine immaturité entourant son idéal. Dans la version américaine, l’histoire d’amour devient authentique et le couple agit d’égal à égal. La relation gagne un peu de chaleur humaine, tout en décrivant l’influence des préceptes de Light sur les autres (ce que le film ne peut faire qu’en quelques instants par manque de temps). Malheureusement, le scénario va également faire de Mia le déversoir de tout ce qui représentaient les inclinaisons fanatiques de Light. Une grande partie de sa froideur et de son impitoyable machiavélisme se transfert dans ce personnage plutôt que de rester chez Light. Au lieu de maintenir des émotions contradictoires au sein d’un même individu, il y a cette sécurité consistant à délimiter les données entre les personnages. Tout ceci constitue des garde-fous rassurants qui ne font que déséquilibrer les forces en présence. Le film perd de vue ses enjeux, ce qui se ressent dès qu’il s’agit d’aborder le concept de duel entre deux esprits. A force de les rendre émotifs et perfectibles, le long-métrage n’a pas véritablement l’occasion de les montrer faire preuve d’intelligence. L en fait tout particulièrement les frais, ses nombreuses crises de rage le présentant plus comme un incontrôlable incompétent qu’un redoutable adversaire.
Alors ratage que ce Death Note ? Pas totalement. Sans fondamentalement sacrifier son histoire, il faut admettre que l’absence de maîtrise dessus la rend plus passe-partout. Ce qui se retrouve dans une forme pas déplaisante (le traitement de Ryûk déjà évoqué) mais sans grande audace. Un travail jamais excessive quand bien même il le voudrait (les morts à la Destination Finale, le provocateur discours de L devant la bannière étoilée) et à l’élaboration expéditive (la brutalité de la conclusion). Death Note est symptomatique du cinéma actuel. Il souffre moins d’une incompréhension de son matériel de base que de problèmes d’exécution pour lui donner corps dans son nouveau média.