REALISATION : Tim Miller
PRODUCTION : 20th Century Fox, Marvel Entertainment, Kinberg Genre
AVEC : Ryan Reynolds, Morena Baccarin, T.J. Miller, Ed Skrein…
SCENARIO : Rhett Reese, Paul Wernick
PHOTOGRAPHIE : Ken Seng
MONTAGE : Julian Clarke
BANDE ORIGINALE : Junkie XL
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Comédie, Action, Super-héros
DATE DE SORTIE : 10 février 2016
DUREE : 1h48
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Deadpool, est l’anti-héros le plus atypique de l’univers Marvel. A l’origine, il s’appelle Wade Wilson : un ancien militaire des Forces Spéciales devenu mercenaire. Après avoir subi une expérimentation hors norme qui va accélérer ses pouvoirs de guérison, il va devenir Deadpool. Armé de ses nouvelles capacités et d’un humour noir survolté, Deadpool va traquer l’homme qui a bien failli anéantir sa vie.
Depuis tant d’années que les super-héros squattent intensément les salles de cinéma, on sait très bien que le genre n’a jamais eu vocation à faire des adaptations littérales de ses œuvres sur papier glacé. Face à des productions engrangeant des millions de pages illustrées, la grande majorité des projets cinématographiques daigne rarement transposer une histoire en particulier. Et lorsque c’est le cas, il s’agit plus d’en retirer quelques idées pour les accoler à d’autres références au sein d’intrigues totalement réinventées. Captain America : Civil War en est un exemple, ne conservant de la mini-série signée par Mark Millar que son concept de lutte éthique entre les super-héros. Par là, la qualité d’une adaptation s’apprécie par son aptitude à capter l’état d’esprit d’un personnage ou d’une série. Aussi inédite soit la narration, elle se doit d’en retranscrire son essence à l’écran. Pour l’auteur, cela réclame d’extraire le cœur de son sujet et pour le spectateur doublé d’un lecteur, d’admettre que c’est l’essentiel. Ce qui nous amène à toute la difficulté de faire un film sur Deadpool. Il n’y a qu’à se souvenir de sa précédente apparition dans le médiocre Wolverine. Que ce soit dans son écriture ou son visuel, le personnage n’avait rien de commun avec sa version dessinée. Nous étions au-delà de la trahison. C’était simplement du hors-sujet. Ce ratage souligne justement la problématique de dépeindre un être dont les composantes fondamentales sont compliquées à respecter. Cynisme et ultra-violence sont le pain quotidien de ce produit des années 90. Tout au long d’une campagne marketing parfaitement pensée, l’équipe de Deadpool accumulera les déclarations clamant à quel point le présent film a compris cela. Certes, il s’ouvrira par la mort d’un individu désigné comme Rob Liefeld (le créateur de Deadpool), marquant sa volonté de rupture avec tout ce que le protagoniste a pu être jusqu’alors (rappelons que l’on n’est pas face à une adaptation servile). Ce qui n’empêche pas des efforts évidents d’être mis en œuvre pour lui rendre justice. Néanmoins, en omettant un seul et unique aspect, il sera démontré la fragilité d’une entreprise qui menace souvent de s’effondrer.
Cobaye de la section Arme X, Wade Wilson alias Deadpool aura gagné de cette expérience une capacité de régénération le rendant virtuellement indestructible. Comme on n’a rien sans rien, son esprit en sortira lui quelque peu dérangé. Officiant en tant que mercenaire, il se range du côté du plus offrant. Il ne se préoccupe guère du fondement éthique de ses missions, trop heureux de pouvoir dézinguer des kilos de sbires et de le faire savoir au monde avec son humour spécial. Deadpool est donc au premier abord un bouffon assassin sans le moindre sens des responsabilités. Pourtant, il prouvera à de nombreuses reprises que l’affichage de son je-m’en-foutisme moral cache des névroses plus profondes. Plus que de dédramatiser l’horreur de ses actions, son humour apparaît comme un outil de protection mentale. Car il y a de drôles d’insectes dans la tête de Wilson et il en a conscience. S’il a le goût du meurtre et une absence d’attachement à un quelconque système de valeurs morales, il a également en lui le désir de devenir meilleur et peut se révéler à l’occasion une âme chevaleresque (idée qui lui donne naturellement la gerbe). Deadpool est un être foncièrement torturé et c’est ce jeu des extrêmes qui en fait un anti-héros passionnant. Au gré d’intrigues déjantées imprégnées de second degré ou de récit bassement bourrin (option retenue par le long-métrage), il se dégage de ses aventures des tournures malsaines. Celles-ci finissent par dresser le désordre pathologique animant le personnage et son envergure de psychopathe. Il faut jouer sur le fil du rasoir et on trouve peu de cinéastes apte à se tirer habilement de l’exercice. Il était raisonnable d’être sceptique en cela sur les compétences d’un réalisateur débutant comme Tim Miller. Scepticisme alourdi par un scénario signé par les duettistes derrière G.I Joe : Conspiration et Bienvenue A Zombieland (reconnaissons que le Tallahassee interprété par Woody Harrelson bénéficiait d’un équilibre de tons pas si éloigné de celui de Deadpool). Des réserves se confirmant partiellement dans la façon dont la bombe sera hâtivement désamorcée.
Le Deadpool proposé par le film présente tout ce qui fait le personnage à une exception près : sa connotation psychopathe. Il est iconoclaste, irrévérencieux mais aucunement dérangeant. Deadpool ne s’est pas transformé en une icône policée mais il est loin d’être aussi perturbé et instable que son homologue papier. Il n’y a qu’à considérer ce qui constituera le seul enjeu de l’histoire : la quête de Wilson pour récupérer son visage. Dans ses premières années, il montrait un besoin complètement maladif à couvrir son faciès déformé. S’il est démasqué, il se fait plus hystérique que jamais. Il perd tous ses moyens et ne cherche plus qu’à dissimuler sa tête. L’impulsivité et l’exagération de son comportement dénotent comment l’assurance arrogante de Deadpool tend à n’être qu’une façade. Derrière, il se cache finalement un individu qui a du mal à assumer ce qu’il est. Reprendre un tel trait de caractère n’a bien sûr rien d’une obligation et les multiples scénaristes qui se succéderont ne s’en embarrasseront pas. Toutefois, il paraîtrait logique à ce que le film inclue cette donnée puisque la motivation principale de Deadpool tient à sa figure. Or, cela n’est pas le cas. Wilson baladera son abominable tronche avec plus de frustration que d’effroi. Ainsi, lorsqu’il tente une ultime fois de camoufler son visage à sa bien-aimée, la scène se focalise sur son cachet humoristique (assez réussi) au lieu de n’importe quelle signification.
Se pose ici la limite du long-métrage de Tim Miller. L’art pour reproduire le second degré du personnage est là et marche avec efficacité. Mais tout ceci s’avère vide de sens puisque ne pouvant plus se baser sur ses véritables problèmes mentaux. Le film procure du plaisir par une tonalité tranchant avec la production cinématographique courante du genre mais pas vraiment plus. La séquence du laboratoire en est un bon exemple. Elle emprunte les grandes lignes du comic écrit par Joe Kelly avec la guéguerre entre le « patient » Wilson et son surveillant Ajax. Le premier titillera à loisir le second, préférant le nommer par son doux patronyme officiel et non son pseudonyme. Cependant, le film retient juste l’idée pour nourrir la « fuck yeah » attitude de Wilson. Dans le comic, les provocations de Wilson servaient surtout à faire sortir de ses gonds Ajax pour qu’il le tue. Ne supportant pas son traitement et hanté par les visions d’une voluptueuse faucheuse, Wilson usait de son humour en vu de mettre fin à ses jours. La guerre des nerfs entre les deux protagonistes finira par s’étendre à l’ensemble de l’institut. Elle aura des répercussions catastrophiques sur les autres détenus, plantant Wilson face aux conséquences de ses décisions. Tout autant de choses que le film résumera au détour d’un court plan qui n’aura aucun impact sur la suite du récit. Ce qui sous-tendait ces actes déjantés se retrouve omis. Son mauvais esprit est un vecteur de pur divertissement (ce qui n’est déjà pas un mince exploit) mai sacrifiant toute notion trop troublante. A cet effet, quelqu’un n’ayant jamais ouvert un comic comprendra-t-il que l’aveugle Al est séquestré par Deadpool ?
De manière globale, le film n’est pas exempt d’imperfections narratives et est friand d’astuces pour les atténuer. La structure générale de la première moitié tient purement du cache-misère. Afin de dynamiter la classique partie sur les origines du héros, ce segment s’avérant le moins intéressant est mixé avec l’affrontement sur l’autoroute qui est lui le meilleur passage du film. La tentative de diluer la pénibilité de l’introduction ne la fait pas miraculeusement disparaître. Le fait est que le montage parallèle n’a d’autre utilité qu’apporter une énergie absente dans une narration linéaire. Elle ne renforce pas pour autant la perception de l’histoire et ses émotions. On pourrait même se demander jusqu’à quel point elle n’est pas nuisible à la caractérisation (le pouvoir auto-guérisseur de Deadpool n’est pas instinctivement compréhensible dans les premiers instants). Il en va de même pour certains petits moments qui semblent contredire les personnages et l’univers. Si les auteurs se vanteront d’avoir garder l’orientation pansexuel de Wilson, les faits ne sont pas si clairs. Le cartoonesque générique illustrera ses penchants homosexuels et zoophiles. A l’intérieur du long-métrage, il lâchera pourtant plusieurs négations lorsqu’il inversera les rôles avec sa compagne pour célébrer la journée de la femme. Et si Deadpool a le pouvoir de briser le quatrième mur, on saisira moins pourquoi la fouine définit l’agent Smith comme un type pouvant faire avancer l’intrigue. Ces infimes éléments éparpillés peuvent être jugés sans incidence mais dévoilent un manque de maîtrise.
Tous ses défauts ressortent énormément puisque, comme dit précédemment, le film gère plutôt bien le reste. C’est notamment le cas de sa nature romantique. Une facette tournée en dérision par la promotion tant il paraît incongru de l’associer avec un individu si barré. Mais celui-ci est existant chez Deadpool. Ses rapports avec la gent féminine n’ont jamais été simples et il n’est pas impertinent d’en exploiter les mécanismes. D’ailleurs, le long-métrage a perçu l’importance de placer cet anti-héros en réaction à d’autres protagonistes. Son fonctionnement n’est pas aussi correctement mis en relief qu’en le positionnant aux côtés de différentes personnalités. Et cette tâche est accomplie avec soin, particulièrement par ses interactions avec Colossus et son apprentie. Il y a quelque chose de réjouissant à voir un dangereux déviant tel que Deadpool se faire embrigader par une invulnérable armoire à glace délivrant sa morale de boy-scout avec un sérieux impassible. La relation entre des personnages si contrastés fait des éclats (ce combat équivalent à celui du chevalier noir dans Sacré Graal), en s’exprimant dans le même temps sur leurs principes moraux. Il est alors regrettable que tout soit régulièrement rabaissé au basique amusement puéril. Il n’ya plus qu’à espérer que la suite introduisant Cable saura voir plus loin que ce premier constat.