REALISATION : Michel Hazanavicius
PRODUCTION : Getaway Films, La Classe Américaine, France 2 Cinéma, GAGA, SK Global, Wild Bunch
AVEC : Romain Duris, Bérénice Bejo, Matilda Lutz, Finnegan Oldfield, Grégory Gadebois, Sébastien Chassagne, Lyes Salem, Raphaël Quenard, Agnès Hurstel, Charlie Dupont, Jean-Pascal Zadi, Luàna Bajrami, Simone Hazanavicius, Raïka Hazanavicius
SCENARIO : Michel Hazanavicius
PHOTOGRAPHIE : Jonathan Ricquebourg
MONTAGE : Mickael Dumontier, Michel Hazanavicius
BANDE ORIGINALE : Alexandre Desplat
ORIGINE : France
GENRE : Comédie, Horreur
DATE DE SORTIE : 17 mai 2022
DUREE : 1h52
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Un tournage de film de zombies dans un bâtiment désaffecté. Entre des techniciens blasés et des acteurs pas vraiment concernés, seul le réalisateur semble investi de l’énergie nécessaire pour donner vie à un énième film d’horreur à petit budget. L’irruption d’authentiques morts-vivants va perturber le tournage…
En plus de transcender sa nature de vrai-faux remake, le nouveau détournement/hommage/pastiche de Michel Hazanavicius s’impose carrément comme le film-somme de son créateur. La surprise est totale.
Le mot « remake » n’est pas (et n’a jamais été) étranger au lexique de Michel Hazanavicius, bien au contraire. Le mal-aimé The Search en était clairement un (celui des Anges marqués de Fred Zinneman), le tant aimé The Artist n’était pas loin d’en être un (il fallait être aveugle pour ne pas y glaner de gros emprunts revendiqués à Une étoile est née et surtout à Chantons sous la pluie) et le reste de sa filmographie s’amusait à loisir de cette notion-là, choisissant de ne pas choisir entre l’emprunt, le pastiche, la satire et l’anachronisme. De même, si l’on remonte encore plus loin, la découverte marquante de La Classe américaine en 1993 avait déjà valeur de manifeste, visant moins à détourner des dialogues stricto sensu qu’à plaquer un sabir ouvertement crétin et franchouillard sur les lèvres de stars ricaines – John Wayne, James Stewart, Paul Newman et tant d’autres. De ce délirant effet de collage (lui-même emprunté à Lily la Tigresse, premier film officiel de Woody Allen) pouvait naître un savant effet de décalage, polissant sans crier gare un véritable miroir déformant de genres populaires et codifiés (polar, thriller, comédie, drame, aventure, action, espionnage…) et usant de cela au maximum pour accoucher d’une matière neuve, quelque part entre l’hommage sincère et l’ironie décomplexée. Soit exactement ce qui cimente depuis si longtemps ce fameux « esprit Canal » dont Hazanavicius est lui-même issu (rappelons qu’il débuta sa carrière en réalisant des sketchs pour les Nuls avec un sacré sens de la démerde) et dont seul Alain Chabat se fait encore aujourd’hui le dernier relais vivant sur la petite lucarne. Et pour ajouter encore une couche à ce layer cake créatif, la démarche d’Hazanavicius n’est pas si éloignée de celle d’un Michel Gondry : toujours refaire, recoller, remixer, malaxer une matière préexistante pour mieux la remodeler selon ses propres goûts, le tout avec un goût réel pour le cinéma en tant qu’artisanat et travail de groupe.
Prise telle quelle en se rattachant davantage à ce que l’on vient d’évoquer qu’au matériau assez risqué que le cinéaste a voulu se réapproprier (on va y venir…), la première demi-heure de Coupez ! déroule un à un tous les signes du Hazanavicius-movie, élaborant une succession de virages à 180° entre une action apparente et son contrechamp véritable. Au début, juste un générique pas net du tout qui n’est pas celui du film qu’on est venu voir – un effet que Steven Soderbergh avait déjà mis en exergue au début de Full Frontal – et dont la société de production affichée (« Plateforme Z ») a vu son logo s’incruster parmi les vrais logos du vrai film. Et paf, on nous balance une scène d’horreur zombiesque qui sonne trop faux pour ne pas nous donner l’impression que Hazanavicius aurait confondu George A. Romero et Bruno Mattei. Mais… voilà qu’un « Coupez ! » révèle d’un coup sec l’envers du décor : le tournage catastrophique d’un film de zombies où le réalisateur (Romain Duris) fait preuve d’une tyrannie inouïe envers ses deux jeunes acteurs (Matilda Lutz et Finnegan Oldfield) incapables de jouer ni de mimer correctement la terreur. Mais… voilà que des vrais morts-vivants envahissent le plateau et transforment toute l’équipe en démantibulés avides de chair humaine, ce qui permet au réalisateur d’obtenir enfin le « réalisme » qu’il souhaitait. Mais… voilà qu’au bout d’une demi-heure de pochade sanguinolente toute pourrave (surplace narratif, trucages cheapissimes, casting à la ramasse, caméra tantôt lâchée tantôt instable), un faux générique de fin arrête le « massacre » au profit d’un flash-back qui remonte aux origines de ce que l’on vient de voir : un film de morts-vivants commandé par une productrice japonaise qui exige qu’il soit tourné en direct et en une seule prise sans coupe – d’où la suite du récit qui consiste en un making-of hilarant du nanar auquel on vient d’assister.
Bon nombre de cinéphiles étaient déjà au courant : une telle idée n’était pas le fait de Michel Hazanavicius. Que le bonhomme ait longtemps caressé l’idée de filmer un tournage de film qui vire au bazar le plus complet le destinait d’entrée à se saisir de ce projet de remake de Ne coupez pas !, petite série Z japonaise over-hype et franchement nase réalisée par Shin’ichirō Ueda. Mais que pouvait-il y avoir à extraire de neuf de ce petit film de potes, tourné en 2017 pour peanuts et initialement destiné à une carrière éclair dans une petite salle d’art et essai de Tokyo avant qu’un bouche-à-oreille insensé ne lui offre le succès local et le statut culte sur un plateau d’argent ? Très clairement, on restait d’autant plus perplexe que le résultat, au-delà d’un humour décalé à peu près autant aux fraises que la finition, semblait n’avoir pour seule velléité que de flatter un état d’esprit typique de la pratique du cinéma de genre. Lequel ? Tout bêtement celui de Sam Raimi et de Peter Jackson à l’époque où ils s’efforçaient de donner respectivement vie à Evil Dead et Bad Taste. Soit de jeunes passionnés animés par une passion commune et une folle envie de créer en s’amusant, qui s’en allaient donner naissance à des péloches horrifiques à teneur potache, certes un peu branques sur les bords et souvent pas du tout maîtrisées d’un point de vue technique, mais au travers desquelles une sincérité créative se mettait alors en place, signant de facto les prémices d’un style et la naissance d’un metteur en scène.
On est désormais trop familier de cela pour avoir envie de se sentir interpellé lorsqu’un cinéaste, a fortiori jeune et/ou débutant, nous vante à nouveau la pureté de son art en tant que « joie collective » ou « œuvre du groupe en opposition au travail de l’individu » – une telle assertion a désormais de quoi friser la lapalissade. Au fond, le film d’Ueda tombait moins dans cette facilité (qui fut revendiquée ad nauseam comme signe indiscutable de sa réussite par des geeks conquis d’avance) qu’il ne faisait preuve d’un je-m’en-foutisme absolu dans le traitement de sa quadruple mise en abyme. On ne voyait d’ailleurs pas comment il lui était possible d’atteindre son objectif dans la mesure où le dévoilement de l’envers du décor – le tournage fauché et improvisé en catastrophe du film de zombies – ne faisait que réitérer les gaffes narratives et techniques du plan-séquence d’ouverture. D’où une partie « tournage » aussi consternante que la partie « film », usant de la même sensation de surplomb, fichant en l’air toute possibilité de décalage et laissant des acteurs plus que lamentables transformer le fait (nase) en répétition littérale de l’effet (déjà nase au départ). On pouvait certes admettre que le budget riquiqui de la chose avait pu contraindre Ueda et son équipe à étendre leur art du système D sur l’ensemble du film, mais le verdict était sans appel : rien de plus qu’une hideuse série Z façon Richard J. Thomson, ni drôle ni ludique ni vraiment divertissante, déployant jusqu’au bout un humour puéril à base de diarrhée bruyante et de gamelles sur le sol dignes d’un épisode de Benny Hill. Voir Hazanavicius coller d’extrêmement près à ce matériau-là, quitte à en décalquer la structure narrative et à en rejouer bon nombre des situations à l’identique, nous faisait craindre le pire. C’est finalement le meilleur qui nous asperge la tronche d’un délicieux rouge plasma. A l’image d’un James Cameron se réappropriant un petit film de Claude Zidi pour en booster tous les paramètres sur une durée plus rallongée, Hazanavicius sort ici le triple A : ajouter, ajuster, améliorer.
Le changement de titre est déjà un indice éclairant : si le film japonais donnait trop souvent l’impression d’avoir gardé tous ses rushes sans faire de tri ni de coupe, sa relecture française n’en oublie pas la prédominance de la mise en scène et du découpage pour faire fonctionner le décalage à plein régime. Ici, une fois le plan-séquence achevé, le fait de « couper » (au sens large) sera le geste le plus tranchant possible en vue d’obtenir un tempo optimal sur un timing très serré – la mise en scène d’Hazanavicius, pensée et réfléchie de A à Z, rattrape ainsi les maladresses d’Ueda. Et cela est d’autant plus stimulant que Coupez ! casse vite sa logique de décalque en intégrant celle-ci à l’intérieur de sa propre diégèse, opérant ainsi un geste méta qui suffit à le différencier de son malheureux modèle. En somme, on charge ici le réalisateur joué par Romain Duris de refaire le film nippon tel quel, avec les mêmes enjeux et les mêmes paramètres. Mieux : il suffit à ce dernier de lâcher à la productrice nippone (Yoshiko Takehara repend ici son rôle d’origine) une remarque très déplacée sur Pearl Harbor pour que ses propositions d’adaptation du concept au contexte d’une production française soient balayées d’un revers de la main. C’est à partir de là que Coupez ! active son décalage tous azimuts, plaquant tout un tas de prénoms japonais (Ken, Akira, Natsumi, Chinatsu, Hosoda, Yamakoshi, Higurashi) sur des acteurs hexagonaux, lesquels s’empressent alors d’obéir tant bien que mal à un premier degré des plus désopilants. De bout en bout, chacun se la joue Canal+ dans l’âme en s’efforçant de singer l’absurdité de façon sérieuse lorsqu’elle surgit sans crier gare, marionnette qu’il est d’un Hazanavicius qui ne cesse de croquer les membres de son équipe de tournage avec taquinerie et tendresse – la naïveté et la candeur vont ici de pair avec la maladresse et les travers en règle générale. Les quelques ajouts que le cinéaste intègre ici et là aident surtout à solidifier la trame et le rythme en amplifiant encore le décalage par des trous d’air hilarants, à l’image de ce musicien désemparé (excellent Jean-Pascal Zadi) dont l’envoi intuitif de beats dans la bande-son constitue ici un redoutable ressort comique. Rien de mieux pour transformer la clé de chaque loupé du premier segment en fou rire maximal et, plus généralement, pour inviter le spectateur à jouir moins de la patine de la série Z que de son propre effondrement diégétique.
Tout ce que met en place Hazanavicius d’un bout à l’autre des deux derniers segments de son film (préparation et tournage) impose assez de scénographie punchy et de choix de découpage subtils pour ratatiner et enterrer plus bas que terre tout ce que le film d’origine avait essayé d’installer. Le décor, d’abord : en lieu et place de cette vieille et minuscule usine de traitement de l’eau, on récolte ici un vaste bâtiment administratif et désaffecté sur plusieurs étages (une usine ? un lycée ? un centre commercial ?) que la caméra ne cesse de topographier pour bâtir un pont entre deux scènes (celle où l’on joue et celle où l’on contrôle). La photo, ensuite : adieu cette esthétique DV délavée digne de celle dont Uwe Boll avait tant abusé durant ses années de méfaits filmiques, et bonjour à un Scope bicéphale à gogo qui retapisse la partie fictionnelle aux couleurs du genre (rouge vermillon, vert bouteille et jaune canari avec un contraste amplifié) quand il ne traite pas la partie réelle avec une maîtrise visuelle des plus optimales. Les acteurs, enfin : que des pros de l’incarnation in vitro qui s’éclatent à lézarder la logique de leur personnage à mesure que le film dans lequel ils jouent part en sucette. D’un côté, Matilda Lutz pastiche aussi bien la pythie vengeresse et ensanglantée de Revenge que la bimbo décervelée et préoccupée par ses followers sur Instagram, Finnegan Oldfield s’éclate à jouer le connard arrogant qui s’auto-persuade de sa lecture sous-jacente de la figure du zombie (quitte à se prendre pour le Romero du pauvre en improvisant des slogans marxistes et anticonsuméristes en pleine action !) et Bérénice Bejo met toute la smala à très rude épreuve par une propension au lâcher-prise et au sadisme qui participe au délire. De l’autre, le réalisateur joué par Romain Duris passe par tellement d’états possibles qu’on y décèle vite un autre niveau de lecture : à la fois cinéaste sisyphéen, époux dépassé, père maladroit, créateur conscient de la fragilité de son art et contemporain gaffeur vis-à-vis du monde qui l’entoure, il est la somme de tous les protagonistes de la filmo d’Hazanavicius, de Mes amis jusqu’au Prince oublié en passant par OSS 117, The Search et Le Redoutable.
Au fond, si « remake » il y a ici, ce n’est pas tant celui d’un film que celui d’une filmographie toute entière, et si l’enjeu principal de Coupez ! consiste moins à réussir un plan unique qu’à le finir coûte que coûte, cette ligne narrative perpétuellement chahutée est finalement à lire comme une ligne de vie dont l’issue ne peut être que réconciliatrice. Doit-on alors s’étonner que la scène finale – une grosse montagne humaine qui achève le plan-séquence sur une victoire collective – vienne offrir au concept initial d’Ueda une résonance bien plus touchante en laissant la fille de Duris (ici jouée – comme par hasard ! – par la propre fille d’Hazanavicius) offrir la porte de sortie idéale à son père par le biais d’une simple photo de famille ? Bouleversant geste final qui concentre à lui seul l’âme véritable de ce remake transcendé, authentique leçon de cinéma de la part d’un pasticheur hors pair devenu maître d’un style à part entière.