REALISATION : Florent Emilio Siri
PRODUCTION : StudioCanal, LGM productions, TF1 Films Production, Emilio Films, Flèche Productions
AVEC : Jérémie Renier, Benoît Magimel, Monica Scattini, Sabrina Seyvecou, Ana Girardot, Joséphine Japy, Marc Barbé…
SCENARIO : Julien Rappeneau
PHOTOGRAPHIE : Giovanni Fiore Coltellacci
MONTAGE : Olivier Gajan
BANDE ORIGINALE : Alexandre Desplat
ORIGINE : France
GENRE : Biopic, Musical
DATE DE SORTIE : 14 mars 2012
DUREE : 2h28
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Cloclo, c’est le destin tragique d’une icône de la chanson française décédée à l’âge de 39 ans, qui plus de trente ans après sa disparition continue de fasciner. Star adulée et business man, bête de scène et pro du marketing avant l’heure, machine à tubes et patron de presse, mais aussi père de famille et homme à femmes… Cloclo ou le portrait d’un homme complexe, multiple ; toujours pressé, profondément moderne et prêt à tout pour se faire aimer.
Une biographie de Claude François filmée par Florent Emilio Siri ? Pour les fans du réalisateur de Nid De Guêpes, cela ressemble à une erreur de casting. Au-delà de l’appréciation que l’on peut avoir du chanteur de Comme D’Habitude, il y aurait de quoi se lamenter de voir l’un des plus grands cinéastes français actuels s’atteler au biopic musical. Un exercice qui s’apparenterait à une tentative d’attirer les bonnes grâces du public et de la critique suite au peu de retentissement engendré par L’Ennemi Intime. Bien sûr, il n’en est rien. Lui-même sceptique lorsqu’on lui proposera le projet, Siri s’avouera le premier étonné qu’il se soit passionné par ce dernier. Fasciné par la richesse de sa vie et les connexions avec sa vision artistique, il va faire de Cloclo une œuvre formidable démontrant comment la puissance cinématographique, si elle est maîtrisée, peut élever n’importe quel sujet. Suite à ses recherches révélant un pur personnage de cinéma, Siri appréhende le sujet avec une perception. Cloclo ne se veut pas juste une énumération informelle de faits. Celle-ci est présente mais est un outil manipulé pour tenter avant tout de capter l’essence d’une vie en se structurant autour de fondements émotionnels primordiaux. En ce sens, nous ne sommes guère éloignés d’Andrew Stanton et de son John Carter. A l’aventure traditionnelle aux mécanismes parfaitement intégrés, Siri offre lui une biographie à la méthodologie traditionnelle mais comprise dans ses moindres recoins. Pas étonnant alors que les membres de l’émission Le Cercle épinglent un film qui n’est que lourdeur, où on n’apprend rien et qui n’a pas de trajectoire. Une ultime déclaration d’une bêtise tellement incroyable qu’elle fera hurler le pauvre Philippe Rouyer, rare critique à tenter de décrypter la portée cinématographique de l’œuvre. Dire que le film ne sait pas où il va revient à avouer que l’on n’a pas vu le film. Sous le prétexte que l’on connaît la fin de l’histoire, on n’a prêté aucune attention à la manière dont est contée et illustrée l’histoire. On a juste purement et simplement omis tout le travail de fond et de forme imaginé par Siri.
Lorsque Rouyer, excédé, lâche maladroitement un « à bas la modernité », il faut comprendre par là « à bas les petits malins qui croient tout savoir ». Il était prévisible et naturel que Cloclo soit comparé à des précédents biopics musicaux comme La Môme ou Gainsbourg (Vie Héroïque) . La crainte que la prétendue modernité de ceux-ci soient portée au pinacle pour mieux enfoncer le classicisme de Cloclo l’était également. On omet bien sûr par là de mettre en avant les détails fâcheux liés à cette modernité. Les ambitions oniriques de Joann Sfar ne font pas long feu face à ses limites de cinéastes. Quant à la déconstruction temporelle d’Olivier Dahan, son avant-gardisme était surtout un moyen de noyer le poisson en maintenant un rythme distrayant éludant pour le coup son manque de vision sur le personnage. Mais bon, c’est tellement plus courageux par rapport à Siri et son refus du gimmick. Cloclo opte ainsi pour une chronologie linéaire de la vie à la mort de son personnage. Dans un article du Figaro, Siri déclare avoir voulu jouer sur le rythme en calant celui-ci sur l’existence frénétique de Claude François. Une déclaration qui fait peur puisque sous-entendant que le film aura un rythme extrêmement rapide. On voit alors venir l’empilement hystérique de séquences obligées avec à la clé le syndrome du « on n’a pas le temps de tout le dire mais on le fait quand même rapidement » qui ravage très souvent le genre. Mais la déclaration de Siri est l’affirmation d’un cinéaste qui a compris comment faire vivre à son spectateur les sentiments de son personnage.
D’hypothétique défaut encombrant, le rythme se fait alors la qualité majeure du long-métrage. En se délaissant de toute palabre temporelle, Siri et son scénariste Julien Rappeneau concentrent leurs effort dessus. La manière dont le film enchaîne certains évènements, s’arrête longuement sur d’autres et en omet certains fait preuve d’un dosage exceptionnel. Le spectateur n’est pas bousculé par une accumulation d’informations, il est accompagné aux côtés du personnage et de ses émotions. Ce rythme donne toute sa saveur à une narration habile dans ses effets de transitions, ne donnant jamais l’impression de passer du coq à l’âne mais de voir une vie se déroulant selon une direction bien précise. De par sa manière de jouer sur tempo et de se conformer à une structure prédéfinie, Cloclo pourrait évoquer un clip où l’alliage de la musique et de l’image devient le véhicule puissant de concepts plus abstraits. En ce sens, les thématiques classiques abordées en sont transcendées.
Le portrait de Claude François par Siri transmet un lot de réflexions somme toute traditionnelles et universelles. Obligé de quitter l’Egypte où il aura vécu une enfance dorée, C.François tentera de retrouver cette vie rêvée par son travail d’artiste. Se soulève là le thème de la quête du paradis perdu auquel s’adjoint l’exploration des rapports parentaux faits d’identification et de rejet. Brisé par la perte du monde parfait qu’il entretenait avec un sens de l’ordre, son père refusera de le laisser suivre sa voie de chanteur ayant peur de perdre sa position dominante dans le foyer. Si Claude François s’émancipera de ce dernier et de ses angoisses, il en reproduira les mêmes préceptes au gré d’une carrière faite de perfectionnisme quasi-maladif et d’un refus de remise en cause de son statut. De même, il se retrouve dans sa mère dont il exècre le comportement compulsif de joueuse de casino. Cela ne l’empêche pas de son côté de dépenser des mille et des cents dans son empire commercial. Avec L’Ennemi Intime, Siri démontrait comment la guerre change l’homme en ce qu’il répugne. Il tisse ici le même parcours antagoniste. Après tout, Claude François tente de construire son royaume parfait sur les marais fluctuant du succès. Une scène prémonitoire le montre se jeter dans le public en furie. Celui-ci le soutient avant de s’effondrer et de l’étouffer. Attiré par l’éclat des paillettes, le chanteur est en lutte perpétuelle contre leur caractère éphémère. Il est alors naturel que la peur de perdre ce qui a été acquis dicte tout son comportement.
Naturellement avec Siri, ce langage visuel est pratiquement constant. Les jeux sur les couleurs et les lumières sont innombrables pour faire ressentir l’attirance du personnage pour cette forme de pureté assassine. En ce sens, l’attendue scène de l’électrocution est brillamment traitée par un sens du cadrage mettant en évidence « l’arme du crime » et jouant sur un effet d’attente quasi-hitchcockien. Une séquence se clôturant par un flash d’un blanc immaculé figeant le personnage dans sa légende et le faisant enfin atteindre la perfection qu’il recherchait comme le note l’ultime séquence en forme de renaissance. Il s’agit de la parfaite conclusion d’un dernier acte présentant un Claude François au sommet de sa gloire et de son perfectionnisme, s’attelant à créer son image la plus exemplaire possible. Ambition là encore traduite par la mise en scène que ce soit par un extraordinaire plan-séquence montrant la maîtrise du personnage sur son environnement ou l’utilisation intensive de reflets pour dévoiler comment il se transforme en une projection de lui-même.
A l’instar de J. Edgar de Clint Eastwood, Cloclo pointe peut-être les contradictions d’un homme mais il est surtout, au travers de sa maestria technique, le véhicule de thèmes simples et poignants.