REALISATION : Fredrik Bond
PRODUCTION : Bona Fide Productions, MediaPro Pictures
AVEC : Shia LaBeouf, Evan Rachel Wood, Mads Mikkelsen, Til Schweiger, Rupert Grint, Vincent D’Onofrio, Melissa Leo
SCENARIO : Matt Drake
PHOTOGRAPHIE : Roman Vasyanov
MONTAGE : Hughes Winborne
BANDE ORIGINALE : Christophe Beck, Moby
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Romance, Thriller
DATE DE SORTIE : 14 mai 2014
DUREE : 1h48
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Bouleversé par la mort de sa mère, Charlie Countryman quitte les Etats-Unis et atterrit dans l’une des villes les plus survoltées d’Europe : Bucarest. En plein deuil, seul parmi des inconnus, entre virées en boîte et trip hallucinogènes, il rencontre la très énigmatique Gabi et en tombe violemment amoureux. Harcelée par son ex, un dangereux caïd local, Gabi tente toutefois de repousser Charlie pour mieux le protéger… Mais rien ne fait entendre raison à Charlie, pas même la peur de mourir : pour lui, cet amour-là vaut tous les sacrifices…
Il est suspendu par les pieds au-dessus du vide. Il a le visage en sang. Il reçoit un coup de feu. Il tombe dans la mer… Le générique qui introduit Charlie Countryman ne laisse aucun mystère sur la destinée de son héros. Reste à découvrir en quoi cette mort sera « nécessaire », si l’on en juge par le titre original du film. Sauf que non, c’est une fausse alerte : ça n’a aucune importance sur le récit. Par ailleurs, le film ne parle pas réellement de ça. Et ce n’est pas tout, il y a encore autre chose, surtout une love-story. Enfin, il semblerait, parce que… Et il y a aussi des truands de Bucarest… Et puis aussi… Enfin bref, histoire de ne pas emmêler davantage le fil de notre pensée, voilà un film sur lequel il n’est clairement pas aisé de pondre un avis clair et figé. Fraîchement accueilli par la critique lors de sa présentation à la Berlinale de 2013 (ce qui doit peut-être expliquer le retard de sa distribution dans les salles françaises), le film de Fredrik Bond n’est pas du genre à mâcher le travail de son audience et, rien que pour ce qu’il propose, peut d’ores et déjà se prévaloir d’une étiquette de film culte qui ne manquera pas de lui coller à la peau façon Super Glue, pour le meilleur comme pour le pire. Ce que l’on savoure ici est donc un ovni paradoxal et curieux, dont la fascination réside moins dans les audaces de son contenu que dans la façon dont on reçoit ces audaces tout au long du métrage, précisément parce que celles-ci ont tendance à devenir de vraies forces dans une scène pour ensuite se transformer en faiblesses dans celle qui suit. Vraiment pas simple à aborder, ce film, qui l’on pourrait presque assimiler à un (heureux) accident industriel.
On le précisait, tout commence donc par une mort (celle du héros) et se poursuit par un long flash-back, éclairant un parcours sacrificiel au cœur d’un univers moderne et survolté. Voici donc Charlie Countryman, jeune adolescent anéanti par la mort de sa mère, qui quitte les Etats-Unis pour s’enfuir à Bucarest. Sa rencontre avec la belle Gabi sera un coup de foudre, mais aussi le déclencheur d’une série d’emmerdes, l’ancien amant de celle-ci se révélant être un dangereux caïd qui continue de la harceler et de menacer toute personne qui s’approcherait d’elle. Sauf que pour Charlie, son amour pour Gabi est si fort qu’il vaut bien tous les risques du monde… Un tel synopsis renifle le trip techno-sensuel à cent kilomètres, ce que le film reflète d’ailleurs assez bien. Sauf que Fredrik Bond semble larguer les amarres de sa narration à chaque scène, sans pour autant esquiver les pièges d’une telle démarche. Le fait de mouiller la chemise en enchaînant les ruptures de ton sans perdre de vue la ligne directrice de l’intrigue peut se révéler un atout monstrueux (près de 90% des cinéastes sud-coréens en savent quelque chose), mais encore faut-il rester en équilibre sans basculer dans le vide de l’improbable.
C’est précisément là que Bond, à force d’aller trop vite, a tendance à finir sa course plus d’une fois dans le décor : basé sur une fuite en terre inconnue dont l’origine reste du domaine de l’incompréhensible (Charlie s’enfuit pour la Roumanie sous les conseils du fantôme de sa mère : euh…), son scénario se révèle gavé de raccourcis trop brutaux et de péripéties souvent peu crédibles, dévoilant ses enjeux de façon trop sporadique quand il ne tourne parfois pas carrément en rond. Plus gênant encore, Bond semble ne jamais vouloir assumer la noirceur de son propos, pourtant focalisé avant tout sur un parcours de rédemption suicidaire que le prologue présente comme irrémédiablement voué à l’échec. Du coup, on peine à expliquer pourquoi le cinéaste opère en définitive un virage à 180° lors de sa scène finale, réduisant ainsi ce postulat au rang de fausse piste manipulatrice et contredisant du même coup tout ce à quoi il tentait de nous faire adhérer. Et si l’on ajoute à cela un casting totalement barré où plein d’acteurs anglo-saxons (en particulier Til Schweiger, Mads Mikkelsen et Evan Rachel Wood) peinent à élever la crédibilité de leur jeu en prenant très mal l’accent slave, le film a tout pour se transformer en objet de détestation.
Sauf que non : même avec autant de casseroles qui traînent, on ne peut pas détester un tel film. Déjà parce que sa mise en scène, que d’aucuns ne manqueront pas d’assimiler à un gros clip électro et planant (merci à M83 de rendre le final un tant soit peu galvanisant), déballe une énergie souvent démentielle. Certes, le choix des focales et du format large reste profondément discutable à force de ne donner qu’un relief timoré à l’ensemble des plans, mais c’est ici le montage des plans, entièrement basé sur un découpage musical et sensoriel, qui donne tout son sel au film. Il règne au cœur de ce Bucarest filmé comme chez Danny Boyle une sorte de maniérisme instable, tour à tour fiévreux et cotonneux, où le ralenti s’invite au beau milieu d’une accélération du récit, où l’humour désamorce soudain la tension, où l’hallucination acquiert le relief d’un contre-pied maîtrisé. Et du coup, à force de télescoper autant de tonalités en à peine deux heures, l’instabilité de la construction narrative finit par tout emporter, les égarements autant que les moments de grâce. C’est même logique, étant donné que le scénario, aussi bordélique soit-il, se sert du parcours de son héros (incarné par un Shia LaBeouf qui excelle dans le contre-emploi) pour refléter le désir de « vivre vite » et de tordre la ligne du destin par une suite de choix inattendus. En cela, Charlie Countryman constitue un étrange voyage en terre inconnue, celui d’un cinéaste désireux de tout essayer et de tout explorer, quitte à faire trop de promesses au départ, à se manger le mur à l’arrivée et à trop en faire entre les deux. Seul le voyage en tant que tel compte pour lui. Du coup, inutile de chercher à expliquer davantage ce qui rend ce film aussi space : il suffisait juste de se laisser griser par son rythme et d’en sortir un peu désorienté.