Au détour d’une conversation entre Flash McQueen et Sally, dans le premier Cars, cette dernière faisait allusion aux circonstances de son arrivée à Radiator Springs. Elle qui ne pouvait prendre le temps de vivre, avait décidé de se retrouver avec elle-même au détour du trajet l’amenant à cette ville dont elle tomba amoureuse. Loin de vanter le retour à un mode de vie archaïque et aux valeurs qui l’accompagnent, comme on a pu le lire et l’entendre à de multiples reprises lors de la sortie du film, cette anecdote ne faisait ni plus ni moins référence qu’au parcours personnel de John Lasseter, son réalisateur. Ce père de famille, qui n’avait pu voir ses enfants grandir depuis leur naissance jusqu’à l’achèvement de Toy Story 2, avait décidé de partir, en camping-car, sans destination précise et sans emprunter l’autoroute, avec sa famille. Il avouera alors avoir redécouvert ces interactions dont il n’avait pu bénéficier pleinement auparavant (avec le film précité, John Lasseter est également le réalisateur de Toy Story et 1001 Pattes, soit les trois premiers Pixar). De cette anecdote naîtront donc Cars et sa note d’intention exprimée par Sally : « Les gens ne prennent plus le temps. Ils gagnent du temps. » En résultait le parcours intime de Flash McQueen, lequel allait redécouvrir l’importance du collectif (comme l’expliquera Sally, il suffit que la distributrice d’essence de Radiator Springs s’en aille pour annihiler toute vie), du respect et de la confiance qu’il peut offrir, au mépris de l’orgueil qui avait provoqué sa perte en début de film. Une reconstruction littéralement symbolisée par celle de Radiator Springs (la route détruite à son arrivée), qui exprimait là aussi l’interdépendance nécessaire à toute évolution (sans Flash, pas de nouvelle route / sans route, pas d’apprentissage). Le héros achevait là une évolution typiquement Campbellienne, et lui comme la ville retrouvaient ainsi leur prestige passé grâce au renouveau.
Aussi est-il au final peu surprenant de constater le désamour suscité par sa suite. Car même si John Lasseter se plait à rappeler qu’il ne fait pas les films pour les critiques et que Toy Story a lui aussi été victime de réactions peu enthousiastes, Cars 2 est véritablement le premier vrai mal-aimé de Pixar. On lui reproche la minceur de son histoire, quand certains iront même jusqu’à parler d’échec artistique (parfois les mêmes ayant qualifié le dernier Harry Potter d’épique, mais ceci est une autre histoire). Il est vrai qu’a contrario des propos développés dans le premier épisode, cette séquelle prend clairement les attentes du public à revers. En s’inscrivant dans un genre précis, celui du film d’espionnage, celle-ci délaisse tout aspect contemplatif propre au premier opus et de fait, limite ses ambitions thématiques au strict minimum. Place à l’action quasi-continue pour un long-métrage explosif qui, et c’est bien nouveau chez Pixar, s’intéresse moins à ses personnages qu’à leurs péripéties. Flash McQueen est lui aussi en retrait, laissant la vedette au dépanneur Martin, peut-être le sidekick le moins populaire de la firme. Mais de sidekick il n’en est donc plus question, orientant ainsi Cars 2 vers une tonalité bien plus fun qu’à l’accoutumée puisque liée à la personnalité de ce nouveau héros. Déroutant, quand l’on sait que Pixar a toujours eu cette formidable capacité à plaire à tous les publics de par les multiples niveaux de lecture que ses films contiennent. Ils livrent ici, pour la première fois, un film avant tout destiné aux plus jeunes, dans une optique que beaucoup qualifieront d’opportuniste compte tenu de la popularité du premier opus chez ce public-ci (Cars ayant supplanté Winnie L’ourson en termes de merchandising). Qu’à cela ne tienne : nous parlons bien ici des génies derrière Wall.E ou Là-Haut, et par conséquent, tout cela devient très vite relatif.
Il faut à ce titre cerner que plus que toute autre œuvre des studios Pixar, Cars 2 ne ressemble à aucune autre qu’elle-même. Car dans la logique d’hommage sur laquelle il s’appuie (comme Cars avait pu le faire avec les mythes américains tels que la route 66) et en dépit de sa raison d’être (une suite, donc), le film de John Lasseter et Brad Lewis joue plus que jamais la carte d’une déférence totale envers le genre dans lequel il s’inscrit. Archétypes, situations, dialogues… On retrouve tout ce qui a fait le succès d’un cinéma, ici motorisé, que James Bond ou Alfred Hitchcock (ici dans le cadre de l’innocent pris dans un engrenage infernal) ont marqué de leur empreinte. Encore plus que dans Cars, aucune péripétie, aucun contexte, aucun rebondissement n’est inédit. Du moins dans l’absolu. Car dans la mesure où nous nous trouvons dans un monde quasi entièrement peuplé d’automobiles (bateaux, avions ou trains ayant tout de même leur place), toutes les situations connues jouent sur la notion de pastiche tout en étant renouvelées par les propriétés physiques des personnages. Et dans ce registre là, il s’agirait d’un euphémisme que de dire que le récit rivalise d’idées. Là où beaucoup ne voient déjà qu’une démarche mercantile dans la multiplication des personnages, Cars 2 approprie à chacun d’eux des capacités différentes, et par conséquent impose à ses scènes d’action une originalité sans cesse renouvelée, quand il ne s’agit pas de sources de gags aussi nombreux que réussis.
Sitôt la première séquence érigée en note d’intention, on attend toutefois le duo de réalisateurs sur un point précis qui n’a jamais fait défaut aux œuvres de Pixar. Aussi ingénieuses soient-elles sur le papier, chaque scène d’action présente des caractéristiques qui font de Cars 2 l’un des films d’animation les plus complexes et ambitieux jamais créés. Ajoutée à cela une 3D qui n’avait pas été gérée sur le premier opus, une internationalisation des environnements (comme la promo l’a abusément répété, les personnages passent par Londres ou Paris) et vous aurez une vague idée de la démesure et de la beauté promises par le long-métrage. À ces impératifs de clarté visuelle et de dynamisme rares dans le monde de l’animation, le film répond par une jouissance visuelle hors du commun. Peut-être une nouvelle fois aidés par le cinéma virtuel, méthodologie employée sur le premier Cars lors des courses automobiles, Cars 2 dégage une impression de puissance jusque là peut-être à peine atteinte par Les indestructibles. Si la lisibilité s’avère évidemment excellente, la surprise réside dans le découpage, lequel parvient à trouver un équilibre improbable entre spectaculaire… et contemplation ! Lors des séquences de course notamment : il n’est pas rare qu’un long et rapide travelling à ras du sol, en plein milieu d’une course, laisse le cadre être envahit par l’immensité de l’environnement dans lequel prennent place les circuits, la 3D offrant une profondeur de champ simplement jouissive par instants. Parallèlement, les quelques séquences aériennes leur emboîtent le pas et substituent des secondes grisantes à la folle intensité de l’action en cours. Cars 2 est à ce titre tout aussi réussi : si l’on s’attendait à ne pas s’ennuyer, on n’aurait espéré rythme aussi soutenu. Ce que d’aucuns pourront par ailleurs stigmatiser, tant pour la première fois thématiques et personnages semblent secondaires.
Francesco Bernoulli, la Formule 1, en est un exemple flagrant. D’abord caractérisé comme réminiscence du Flash McQueen orgueilleux d’autrefois, on s’attend à une confrontation de caractères sur laquelle reposerait la morale du film. Si celle-ci a bien lieu, elle se fait de manière sporadique et ne tient pas un rôle essentiel dans l’évolution du personnage de Martin, nouveau héros et sujet au propos principal du film. Par ailleurs clamé de manière moins subtile que d’habitude, celui-ci se révèle convenu même s’il dissimule sans doute de temps à autre des anecdotes faisant référence à la relation entre John Lasseter et Joe Ranft (homme-clé de Pixar, co-réalisateur du premier épisode et décédé en 2005), déjà sous-entendue dans Cars. Placé sur le devant de la scène, le dépanneur idiot gagne ici en présence et par conséquent, invite le spectateur à rire de sa bêtise. Un risque, compte tenu des répliques et des gags loin d’être inoubliables auxquels on l’associe. Que l’on adhère ou non, il était toutefois essentiel que le spectateur soit longuement confronté à Martin pour rire de lui, le trouver bête, pour ainsi s’identifier à Flash McQueen et réagir avec lui au gré des reproches qui lui seront fait. La pression sociale (Flash veut que Martin se comporte différemment selon les gens avec lesquels il se trouve), éternel terreau de réflexion sur lequel Lasseter et Lewis ne prennent guère de risques. Toujours est-il que cela fonctionne, la magnificence du spectacle concomitant ne laissant de toute façon que peu de place aux regrets.
Aussi ce nouvel opus, qui marque le 25ème anniversaire des studios, est-il à voir comme une sorte de pause récréative pour John Lasseter et Pixar. Un peu à la manière de Hayao Miyazaki avec un Porco Rosso qu’il désirait plus léger que ses précédentes oeuvres. Si la comparaison s’arrête là, il est certain que l’un comme l’autre ne représentent en aucun cas une baisse de qualité chez leur auteur respectif. C’est à se demander comment il était possible d’en douter.
Réalisation : John Lasseter et Brad Lewis
Scénario : John Lasseter, Brad Lewis, Dan Fogelman et Ben Queen
Production : Denise Ream
Direction artistique : Jay Shuster
Bande originale : Michael Giacchino
Origine : USA
Titre original : Cars 2
Date de sortie 27 Juillet 2011
NOTE : 5/6