REALISATION : Atom Egoyan
AVEC : Ryan Reynolds, Mireille Enos, Rosario Dawson, Scott Speedman, Kevin Durand, Alexia Fast, Bruce Greenwood
SCENARIO : Atom Egoyan, David Fraser
PHOTOGRAPHIE : Paul Sarossy
MONTAGE : Susan Shipton
BANDE ORIGINALE : Mychael Danna
ORIGINE : Canada
GENRE : Thriller
DATE DE SORTIE : 7 janvier 2015
DUREE : 1h52
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Huit ans après la disparition de Cassandra, quelques indices troublants semblent indiquer qu’elle est toujours vivante. La police, ses parents et Cassandra elle-même vont essayer d’élucider le mystère de sa disparition…
Il y quatre ans, on avait placé notre jugement définitif sur Atom Egoyan entre parenthèses, au bord du précipice. Il n’y avait plus que deux possibilités : la chute ou le sauvetage. Remake pataud d’un film déjà pas terrible d’Anne Fontaine (Nathalie…), Chloe sonnait comme une alerte, comme le signe d’un talent peu décidé à quitter la zone de danger. On misait donc tout sur Captives pour vérifier si le cinéaste canadien, prodige théorique pour certains et véritable Wim Wenders du pauvre pour d’autres, avait encore quelque chose d’intéressant à raconter. Même s’il accuse parfois la différence par rapport aux meilleurs films du cinéaste, Captives fait figure de retour gagnant : non seulement Egoyan revient à la case du thriller mélancolique qui a fait sa renommée (tendance Exotica ou De beaux lendemains), mais surtout, le trop-plein de sophistication gratuite qu’on pouvait souvent lui reprocher s’est évaporé. Pas sûr que cela suffise à replacer le cinéaste sur le devant de la scène, surtout au vu du pétard mouillé qu’aura représenté la présentation du film en compétition officielle lors du dernier festival de Cannes. Ce qui ressort de ce rejet assez étrange, surtout depuis le Grand Prix cannois remporté par De beaux lendemains en 1996, ce serait donc l’image d’un cinéaste « oublié », passé sous silence, tellement discret et constant qu’il n’y aurait pas de quoi s’y intéresser. En ce qui nous concerne, on s’écartera du cirque cannois pour braquer nos lumières sur un résultat tout sauf déshonorant.
Comme l’indique a priori son synopsis, Captives serait centré sur la disparition d’une petite fille nommée Cassandra, sur la douleur de ses parents (Ryan Reynolds et Mireille Enos), et sur les efforts d’un tandem d’enquêteurs en lutte contre les réseaux pédophiles (Scott Speedman et Rosario Dawson) pour la retrouver. Or, quand on regarde le film, et plus précisément le premier quart d’heure, on devine que le sujet n’est pas là. Fugue ? Kidnapping ? Assassinat ? Le sort de la gamine est révélé dès l’ouverture – ne pas s’attendre à un sous-Prisoners – et le scénario embraye alors sur une suite de séquences temporellement éloignées, où les flashbacks et les prolepses vont s’enchaîner sans alerte. On retrouve là l’efficacité traditionnelle du cinéma d’Egoyan, conteur hors pair qui joue d’une narration éclatée aussi bien pour favoriser la dissémination des infos – le suspense aurait été nul dans le cas d’un montage chronologique – que pour isoler les états existentiels des personnages sous forme de petites saynètes, lesquelles composent ici une fascinante cartographie. Même le titre français du film est en soi un indice très intéressant : le choix du pluriel offre au film de viser tout le monde dans la grille analytique de la captivité, chacun n’en finissant jamais ici de rester prisonnier de son passé, de souffrir de sa propre culpabilité, d’avoir du mal à contrôler ses pulsions ou de dissimuler ses secrets les plus inavouables.
Le montage du film, à la fois calme et tranquille, pour ne pas dire à l’extrême lisière d’un anti-suspense, est à mettre en rapport avec le choix judicieux des décors enneigés : ce territoire de glaciation extrême décrit par Egoyan n’est pas seulement à l’image de personnages paralysés par leur trouble intérieur, il est avant tout un univers où le Mal s’est installé, vainqueur, implacable, invisible. Quant à la mise en scène à la fois formelle et recueillie d’Egoyan, dénuée de tout élément spectaculaire à l’exception d’une poursuite en voiture sans relief, elle joue magistralement des plans fixes et des panoramiques pour laisser infuser la tension, rendant la noirceur du récit aussi diabolique que discrète, cachée sous un décor à la blancheur irradiante. La beauté de Captives est donc à chercher ici, dans cette inquiétante tranquillité dont la sève est autant celle de la mélancolie que du malaise, ainsi que dans un récit limpide mais peuplé de zones d’ombres (impossible, donc, de sortir du film dans un état « calme »), qui recolle les pièces de son puzzle tout en faisant preuve d’une empathie absolue pour ses protagonistes ravagés.
Pour autant, au-delà du thriller gagné par la mélancolie, que peut-on retenir d’un tel scénario ? D’abord qu’il y a des écrans partout – un détail qui ne manquera pas de faire sourire les fans du cinéaste. Atom Egoyan est passé maître dans l’art d’intégrer « l’image dans l’image » à des fins conceptuelles et symboliques, et s’en donne donc à cœur joie en ce qui concerne le kidnappeur (Kevin Durand, à la fois flippant et grotesque), occupé à épier sa captive et les parents de celle-ci sur ses écrans de contrôle, avec un miroir qui isole son propre visage. La mise en abyme est ici un outil visant à verrouiller un caractère, mais aussi un « gimmick », exploité aussi bien par Egoyan lui-même que par le personnage de Cassandra lors d’un dialogue-clé (mais chut…). La définition de ce terme évoquant aussi bien la marque récurrente d’un artiste qu’une forme de répétition destinée à rester indélébile, il n’y aura aucun souci à lire Captives comme une suite de « gimmicks » qui hantent ceux qui peuplent l’écran autant que ceux qui le regardent. Pour autant, rien n’est plus monstrueux ici que la façon dont Egoyan fait de son film une mise en abyme perturbante de son propre travail. Si le mystérieux réseau met ici Cassandra à contribution, la forçant à évoquer face caméra des souvenirs heureux pour appâter de futures jeunes victimes, difficile de ne pas y voir un lien avec le 7ème Art, dont l’un des principes est de manipuler l’émotion par le biais de l’association image/dialogue. L’image n’est plus ici un miroir de l’être, mais une déformation issue d’un esprit pervers. Celui d’un cinéaste enfin revenu à ses fondamentaux, et qui, au travers de ce que révèle l’image, active une noirceur des plus aveuglantes.