REALISATION : Nicolas Winding Refn
PRODUCTION : Le Pacte, Vertigo Films, Wild Side
AVEC : Tom Hardy, Matt King, Kelly Adams, James Lance, Amanda Burton, Joe Tucker, Hugh Ross, Helen Grayson
SCENARIO : Brock Norman Brock, Nicolas Winding Refn
PHOTOGRAPHIE : Larry Smith
MONTAGE : Matthew Newman
ORIGINE : Royaume-Uni
GENRE : Biopic, Drame, Thriller
DATE DE SORTIE : 15 juillet 2009
DUREE : 1h32
BANDE-ANNONCE
Synopsis : 1974. Livré à lui-même, Michael Peterson, 19 ans, cherche à faire la Une des journaux. Rêvant de devenir célèbre, il tente de braquer un bureau de poste avec un fusil à canon scié qu’il a lui-même bricolé. Rapidement interpellé, il est d’abord condamné à sept ans de prison. A ce jour, il a passé trente-quatre années en prison, dont trente en isolement cellulaire. Voici l’histoire de la métamorphose de Mickey Peterson en Charles Bronson, devenu le détenu le plus dangereux d’Angleterre…
Son nom est Charles Bronson, et il a toujours voulu être célèbre. Correction : son nom est Michael Peterson, et il n’a jamais su ce qu’il voulait faire. Ceux qui s’attendaient à un biopic sur l’acteur d’Un justicier dans la ville peuvent tout de suite redescendre sur Terre, d’autant que le spécimen en question s’avère bien plus viril et moustachu que son homonyme. Autoproclamé « prisonnier le plus dangereux d’Angleterre », ce fameux Bronson aura passé près de quarante années en isolement (durant lesquelles sa liberté se sera comptée en mois et sur les doigts d’une main). Meurtrier ? Violeur ? Pédophile ? Même pas ! Depuis le braquage d’un bureau de poste avec un petit fusil à canon scié (maigre butin : à peine vingt-six livres !) qui lui aura valu sept ans de détention, Bronson aura vu sa peine constamment rallongée et ses conditions de détention de plus en plus aggravées en raison de ses violences en milieu carcéral. Sauf que sa détention, en fin de compte, sera traitée comme une œuvre à part entière, poussant Bronson à rédiger ses propres mémoires ou à écrire des poèmes et des livres (dont un sur la musculation). Le sujet est là : une quête de liberté impossible à travers l’art dans un univers gorgé de contraintes exponentielles. Et en conséquence, en l’état très éloigné d’un biopic balisé comme Hollywood en chie une dizaine par trimestre, Bronson a autant comme sujet son protagoniste que son cinéaste. Pour un film de commande qu’il ne souhaitait pas faire à la base, Nicolas Winding Refn aura trouvé la parade idéale en se l’appropriant à des fins introspectives et en utilisant à nouveau le cinéma comme un exutoire à ses divers soucis personnels.
Clairement expérimental dans sa conception, Bronson est souvent qualifié de film le plus autobiographique de Refn. C’est loin d’être faux, mais pour le coup, on préfère nuancer les choses. D’abord en raison de la découverte tardive de Bleeder (où l’invitation au sein du « jardin intime » du cinéaste danois faisait l’effet d’une gifle), ensuite parce que son immense talent – découlant d’une passion évidente pour la création d’images – et celui de Charles Bronson – résultant d’une incapacité totale à définir sa réelle vocation – peuvent difficilement être mis sur un pied d’égalité. En revanche, la démarche intime qui ordonne leurs quêtes d’absolu respectives puisse sa sève à la même racine. On avait pu précédemment évoquer les connexions qu’entretenait le mystérieux Inside Job avec le cinéma des frères Coen, mais Bronson élève le curseur comparatif dans une zone particulièrement bouillante. Si l’on s’en tient au fait que ce film fantasque et outrancier fut traité par Refn comme un exutoire expérimental à sa longue réflexion intérieure durant la préparation du magnifique Valhalla Rising, impossible de ne pas relier la démarche à celle des frères Coen qui, en 1990, se lancèrent impulsivement dans l’écriture de Barton Fink dans le but de contrer une panne d’inspiration durant l’écriture de Miller’s Crossing.
Dans les deux cas, le principe reste le même, sans parler des conséquences sur le résultat final : qu’il s’agisse de l’angoisse de la page blanche chez les Coen ou de l’angoisse de l’immobilisme chez Refn, les deux films intègrent chacun à leur manière le mental de leurs créateurs (réalisateurs et personnages), poussés par accident ou par impulsion à une remise en question. Une introspection maladive qui, au travers d’un thème commun (à savoir la quête d’une liberté peut-être impossible), englobe un vivier d’expérimentations visuelles et narratives, où le too much devient la lumière du phare narratif qui aiguille le projet au beau milieu des vagues. Du coup, face à la possibilité de vomir toute sa frustration de créateur à travers un tsunami de références au cinéma pop anglais des années 60 (en particulier Ken Russell et Kenneth Anger), Refn ne se fixe strictement aucune limite, tant dans l’esthétisation de la violence que dans l’hétérogénéité de la bande-son (où Wagner et Verdi côtoient New Order et Pet Shop Boys). Mais si le cinéaste donne l’impression d’en faire des caisses, c’est parce qu’il se reconnait lui-même dans son protagoniste : un homme délaissé, excessif et marginal, qui questionne son identité sociétale et sa place dans un système qui semble incapable de l’accepter ou de le comprendre.
Ce parti pris à cheval entre le jeu de miroir et la schizophrénie suffit en soi à justifier la logique narrative du film, fuyant toute perspective d’analyse sur le personnage de Bronson au profit d’une plongée radicale au sein de son énigme intérieure. Que ce personnage ne fasse ressortir de lui rien d’autre qu’une attitude d’acteur dévoré par une outrance de tous les diables suffit de notre côté à adhérer à cette idée d’un monologue intérieur, lequel constitue ici l’épicentre de la mise en scène de Refn. Dès le premier plan, tout est posé : Bronson, seul, face à un public visiblement très cossu qui l’écoute raconter son parcours. Contrairement à ce qu’il laisse entendre dans l’une de ses premières répliques, si Bronson possède bien un talent, c’est celui d’acteur. On le voit ici – incarné par un Tom Hardy littéralement métamorphosé – dans un numéro de clown grimaçant, dans un dialogue joué au travers d’un maquillage à double face, dans une posture où il tient un masque en étant recouvert de noir (image symbolique très forte), ou même dans un numéro de playback alors que défilent derrière lui les images d’archive de sa protestation sur les toits de la prison de Broadmoor. Autre détail très intéressant, on entend souvent le public rire à gorge déployée de ses récits lorsque ceux-ci abordent une réaction ultraviolente de sa part. De là à y voir un clin d’œil au plan final monstrueusement ironique d’Orange mécanique, qui voyait la classe bourgeoise applaudir au retour des pulsions violentes et sexuelles d’un être momentanément désocialisé, il n’y a qu’un pas que l’on franchit sans hésiter.
Histoire de valider le comparatif élogieux mis en avant sur l’affiche du film, le lien entre Bronson et le chef-d’œuvre subversif de Stanley Kubrick peine à se limiter à ce détail-là. De par la quête de liberté qu’il s’impose en cognant comme un taré sur les normes sociales, le film de Refn se mue aisément en une peinture sans concessions d’un libre arbitre sclérosé de toutes parts. D’un côté, une prison sociétale régie par une fixité permanente (surtout celle de ses conventions) et peuplée d’êtres sans la moindre énergie interne – d’où l’omniprésence de plans fixes au sein de la mise en scène de Refn. De l’autre, une propension à user de l’art, vivant par définition, violent par extension, dont le mouvement perpétuel infuse autant une énergie salvatrice qu’un espoir – fût-il éphémère – de se libérer de ses chaînes. Reste que l’art, en tant que démarche laissant parfois fuser le n’importe quoi, reste une vue de l’esprit, notamment au vu de cette curieuse imitation d’une toile de Magritte par un Bronson utilisant son professeur d’arts plastiques comme modèle et comme otage. Et au vu d’un parcours aussi chaotique, où la célébrité du prisonnier et la dureté de ses conditions de détention grimpent en parallèle, Bronson s’achève sur l’image d’un être enfermé dans une cage en acier évoquant presque un cercueil. C’est une vision double, celle d’un artiste condamné à l’isolement par le système autant que celle d’une liberté délimitée par un petit espace clos. Nicolas Winding Refn, lui, n’aura pas eu droit au même destin tragique que Charles Bronson : en faisant ce film, il aura réussi à se libérer de ses chaînes. On connait la suite.