Blue Valentine est un projet cher à son réalisateur. Sans atteindre les remous que Darren Aronofsky connut lors de la production de The Fountain, le film de Derek Cianfrance avait pourtant presque tout de l’œuvre maudite. Initialement pensé en 2000, deux ans après le succès critique d’un Brother Tied toujours inédit dans nos contrées, Blue Valentine ne put se finaliser que très récemment après une cinquantaine de réécritures et le décès d’Heath Ledger (le compagnon de l’actrice principale Michelle Williams). De même, sa sortie fut accompagnée de la décision d’une ratification NC-17 par le comité de classification américain, la MPAA. Injustement assimilé à un porno pour une scène ne contenant ni violence ni sexe explicite, l’affaire trouva heureusement une fin relativement heureuse grâce à ses producteurs, dont un Harvey Weinstein qui sait parfois faire preuve d’un amour immodéré pour ses films (après avoir milité il y a peu pour l’entrée de The Artist en compétition officielle à Cannes). Bref, sans avoir frôlé le development hell, Blue Valentine est une œuvre personnelle portée par les désirs de cinéma de son auteur. Mais coup sur coup agréable et énervant, caricatural et magnifique, le long-métrage se révèle malheureusement très inégal, quand il n’est pas parfois pénible à suivre.
Dean et Cindy forment un couple ordinaire, bien sous tous rapports, comme bénéficiaire d’un american way of life fantasmé que le cinéaste se plait à dévoiler, au gré d’une relation complice entre Dean et sa fille, de jeux avec la mère ou de petit déjeuner sans histoire. Mais sous l’apparente chronique familiale anodine se cache en réalité un enjeu plus profond, celui de la destruction d’une cellule familiale que l’on devine symbolisée par la fuite (et la mort) de leur chien (soit l’image typique de la famille idéale et heureuse, ici en fin de vie). Les deux mariés sont en pleine crise existentielle, mâtinée d’engueulades permanentes et de recherche (ou non) d’une passion consommée. Ce sont ces dérives et cet amour perdu qu’explore Blue Valentine, au sein d’une structure narrative conjuguant passé et présent dans le cadre de propos sinon pessimistes, en tout cas sans parti-pris sur les responsabilités des uns et des autres. La décadence du couple et rien d’autre, soit une alternative mature à un (500) jours ensemble niais comme jamais, dont la narration agrémentée de flashbacks était également employée à des fins observatrices. À ceci près que la maturité revendiquée du film se noie parfois dans une caricature outrancière, à l’image de cette séquence de cinq minutes où la volonté de témoigner d’une impossibilité à communiquer se targue d’une jalousie lassante et de dialogues ou comportements rébarbatifs (symbolique lourdingue à la clé). Les personnages ne deviennent donc pas tant antipathiques de façon voulue et cohérente, que par la vacuité d’un scénario que l’on croirait sorti du plus horrible des films d’auteurs français, l’accent indépendant en plus. Il s’agit fort heureusement de scories rares, uniquement présentes dans la seule unité temporelle suivant la dégradation du couple, mais qui de par leur intensité gâchent souvent la vision d’un film ne manquant pas de qualités.
Car par ailleurs, Blue Valentine parvient, non sans rejeter toute originalité, à trouver le ton juste et captive sur des situations vues un millier de fois ailleurs. La naissance de la relation entre les deux protagonistes évite presque tout écueil (la grossesse de l’héroïne est peut-être de trop), et l’empathie, l’émotion de surcroit, s’installe avec bonheur au travers de séquences touchantes, magnifiquement filmées par un Derek Cianfrance qui a de toute évidence pensé son sujet, et ce en dépit de parti-pris artistiques que l’on ne saurait que trop aisément taxer de faciles. Black Swan avait brillamment rappelé en début d’année que le super 16, employé intelligemment, était un format au potentiel esthétique puissant et concourrait à offrir des images au moins aussi sensorielles que le 35mm classique. Une évidence certes, mais dont on a que trop rarement l’occasion de bénéficier : son utilisation dans de multiples séquences de Blue Valentine est tout simplement un plaisir de chaque instant. Le reste du film est à l’avenant, la superbe photographie d’Andrij Parekh parvenant à polir les passages les plus disgracieux du métrage dans une dichotomie que l’on ne peut qu’apprécier. Ce n’est pas la plus plaisante des forces d’un film plus visuel qu’autre chose. C’est bien simple, Ryan Gosling et Michelle Williams donnent vie à leurs personnages avec une énergie terrassante, parfois effrayante (l’ultime conflit familial est un monument d’acting), et participent plus que de raison à une nécessaire réhabilitation de Blue Valentine, semi-ratage scénaristique mais dont la beauté des images mérite allègrement une seconde vision.
Réalisation : Derek Cianfrance
Scénario : Derek Cianfrance, Cami Delavigne et Joey Curtis
Production : Lynette Howell, Alex Orlovsky, Jamie Patricof
Bande originale : Patrick Doyle
Photographie : Andrij Parekh
Montage : Jim Helton
Origine : USA
Date de sortie 15 juin 2011
NOTE : 3/6