REALISATION : Bernie Bonvoisin
PRODUCTION : EuropaCorp, Les Films de la Suane
AVEC : Lou Doillon, Roschdy Zem, Jean Rochefort, Antoine de Caunes, Carole Bouquet, José Garcia, Pierre Laplace, Antoine Basler, Albert Dray, Gérard Depardieu, Marc Lavoine, Amel Djemel
SCENARIO : Bernie Bonvoisin
PHOTOGRAPHIE : Bernard Cavalié
MONTAGE : Guillaume Dujour
BANDE ORIGINALE : Bernie Bonvoisin
ORIGINE : France
GENRE : Aventure, Cape et épée, Comédie, Western
DATE DE SORTIE : 18 septembre 2002
DUREE : 1h34
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Au XVIIe siècle, Blanche De Péronne, une gamine de quatorze ans, est témoin du meurtre sauvage de ses parents par le capitaine KKK, responsable des « Escadrons de la mort », milice privée du cardinal Mazarin. Quinze ans plus tard, elle se retrouve à la tête d’une bande de malfrats et souhaite venger la mort de ses parents. Se présente alors à elle celui qu’on nomme « L’Etranger », un mercenaire solitaire qui lui propose de braquer un convoi spécial destiné au cruel cardinal. L’embuscade réussit, et la bande de Blanche se retrouve en possession d’un bien très convoité par Mazarin : une « poudre du Diable » aux effets dévastateurs…
C’est le genre de film qu’on a eu envie d’oublier fissa après l’avoir découvert. Mais c’est aussi le genre de film qui fut traîné dans la boue jusqu’à la souillure parce que les – très hautes – promesses placées en lui n’ont semble-t-il jamais été tenues. C’était trop beau pour être vrai : même pas deux ans après le triomphe d’un Pacte des loups très maîtrisé dans son patchwork, on annonçait là un film de cape et d’épée blindé de stars hexagonales, de déconnade argotique et de clins d’œil au western, le tout revu et corrigé par la personnalité bien agitée du chanteur du groupe Trust. Tous les voyants étaient donc au rouge pour laisser présager un gros délire à se péter la durite. À l’arrivée, malgré un box-office pas trop dégueu (environ 850 000 entrées), la critique fut on ne peut plus assassine, étrillant sans complexe un résultat jugé bordélique et mal branlé que beaucoup ont fini par zapper de leur mémoire. Ce n’est pas notre cas. Revoir aujourd’hui à tête reposée le troisième long-métrage de Bernie Bonvoisin (après Les Démons de Jésus et Les Grandes bouches) n’a finalement rien d’une expérience désagréable. À vrai dire, la difficulté consiste ici à essayer de juger et d’accepter le film tel qu’il est sans avoir à songer constamment à ce qu’il aurait pu être. Une indulgence sans doute un peu déplacée face à un résultat qui hurle son échec et ses blessures à chaque raccord de plan, mais que l’on galère à esquiver. Bref, rien n’est simple avec cette Blanche qui s’est visiblement enfilé un peu trop de poudre du diable dans les naseaux et qui semble en avoir payé le prix fort.
Difficile de résumer la chose à la simple vendetta menée par une jeune femme rebelle (Lou Doillon) envers un Mazarin machiavélique (Jean Rochefort) et son sous-fifre sadique (Antoine de Caunes) qui ont exterminé sa famille : cette intrigue, avouons-le, on s’en fiche éperdument et on finit même par la qualifier de « prétexte ». Difficile, aussi, de juger cette combinaison de langage moderne et d’époque ancienne sous l’angle d’une parabole soi-disant intemporelle sur les méfaits du pouvoir et le désir de révolte : certes, cela colle à merveille avec la sensibilité libertaire de son cinéaste-scénariste-rockeur-agitateur, mais ça ne surnage jamais à l’écran par le biais des choix de cadre et de découpage. Tout juste peut-on relever, peu avant un climax final affreusement bâclé qui tombe comme un cheveu sur la soupe, un speech en voix off lu d’une voix monocorde par le réalisateur lui-même qui s’achève par une courte phrase synthétique : « Seule la révolte nous fera retrouver la beauté ». Le hic, c’est qu’un tel monologue apparait des plus déplacés au vu de ce qui peuple le reste du film. Thématique abordée n’importe comment ou propos charcuté a posteriori par un monteur à la ramasse ? On connait désormais la vérité. Dans une interview sur France Info diffusée le 14 mars 2017, Bernie Bonvoisin dévoilait cash l’identité du coupable, à savoir Luc Besson (estampillé distributeur du film via sa boîte EuropaCorp), afin de mieux expliquer comment il en était arrivé là :
« J’ai rendu un film qui durait 1h43. Mes bandes ont ensuite disparu pendant trois semaines, et après, à leur réapparition, mon monteur son m’a appelé pour me demander pourquoi il y avait eu 1200 coupes dans le film. J’ai découvert que Luc Besson avait pris soin de couper toutes les « respirations » dans les dialogues afin de ramener la durée du film à 1h30. Tout ce travail qu’on avait fait sur les dialogues avec ces acteurs absolument formidables s’en retrouvait gâché : on avait alors l’impression qu’ils parlaient comme des mitraillettes. Je n’ai rien pu faire. Philippe Rousselet, le producteur du film, s’en battait les couilles. Il s’est barré deux mois à la Barbade une fois le tournage achevé. À son retour, j’ai eu beau lui expliquer la problématique, il m’a indiqué qu’EuropaCorp avait mis beaucoup d’argent dans la distribution, que c’était donc trop compliqué, etc… Du coup, je savais qu’on allait se faire démonter »
Bernie Bonvoisin
Voilà qui éclaire bien des choses, en particulier pour tous ceux qui, comme nous, avaient pris la peine de conserver chez eux l’excellent DVD collector du film. La lecture du script d’origine et la découverte tardive des scènes coupées (bien moins surdécoupées que celles restées dans le montage final) donne ainsi une idée assez précise de ces « instants de respiration » qui auraient pu fluidifier le récit au lieu de vouloir le précipiter. Nul doute que pour les monteurs des usines EuropaCorp, il semble vital d’aller toujours plus vite que la pensée du spectateur afin de ne surtout pas susciter chez lui le moindre début de réflexion et d’imprégnation. A ceux-là, on aimerait conseiller d’y aller mollo sur la taurine, et surtout d’arrêter de confondre cinéma et fast-food. La matière brouillonne à laquelle peut se résumer le montage final de Blanche est ainsi à deux doigts d’évoquer une tambouille qu’on aurait touillée trop vite, un mélange d’ingrédients passés au mixeur avec un mauvais réglage et sans avoir refermé le couvercle. Bref, une occasion en or sacrifiée sur l’autel des décisions aberrantes de ceux qui tiennent la chandelle de la distribution made in France. Pour autant, même si Besson et ses sécateurs à la con auront indiscutablement fait beaucoup de mal au film, Bonvoisin a aussi sa part de responsabilité. Car dans ce film qui aurait voulu en quelque sorte montrer Diderot jeter ses bonnes manières aux chiottes en picolant avec San Antonio, le bonhomme n’en loupe jamais une pour prouver à la puissance mille ses limites de cinéaste, déjà très perceptibles dans ses deux premiers essais.
D’abord les points forts. Question invention langagière et dialogue rococo, l’ami Bernie a largement de quoi tout défoncer à coups de pelle : son art de la punchline mal élevée, du grand mot ordurier, du sous-entendu salace ou de la provocation politico-anarchiste explose ici dans une forme assez gonflée – certaines répliques ont un potentiel culte si évident que d’aucuns n’hésiteront pas à se les réciter entre potes. La complicité évidente du gratin du cinoche hexagonal (Rochefort, Depardieu, Bouquet, Garcia, Zem, Doillon, De Caunes : excusez du peu !) lui a visiblement donné des ailes, ces derniers n’hésitant pas à se lâcher et à désinhiber leur langue avec gourmandise. Notre réplique préférée ? Antoine de Caunes en exécuteur des basses besognes du nom de KKK (prononcez « KèKèKè ») qui évoque ce qui le pousse lui et ses hommes à violer (l’orphelin) et à massacrer (la veuve) : « On vient de Marseille. Nos soutes sont pleines, on est comme les canadairs : si on ne se vide pas, on prend des risques ! ». Sans oublier un joli doublé de répliques incompréhensibles sorties de la bouche d’un Jean Rochefort fiévreux (« Seigneur, que serais-je sans moi qui vint à ma rencontre ? » et « Console-toi, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas trouvé ») et toujours suivies de la même réponse de son interlocuteur (« C’est de qui ? »). Un gros délire inventif et punchy qui, à défaut de servir de Viagra pour nos oreilles de sales gosses, suscite souvent un vrai début de rigolade. Sans ce montage aberrant qui fait passer l’énergie des acteurs pour une hystérie perpétuelle et quasi inaudible (mention spéciale à cette ridicule bacchanale baroque casée pile poil au milieu du film), Bonvoisin aurait pu frapper très fort.
Maintenant les points faibles, à savoir tout le reste. Frappons déjà sur le casting : si Rochefort et De Caunes s’en sortent très bien (surtout le second), tous les autres partent en roue libre (Garcia avec une bougie dans le cul, Bouquet avec fouet et porte-jarretelle), s’en tiennent au minimum syndical (Zem) ou rejouent leur gloire passée en traînant du pied (Depardieu joue ici un D’Artagnan qui aurait voulu imiter Cyrano pour la MJC du coin). Avec, au beau milieu de tout ça, une monumentale erreur de casting en la personne de Lou Doillon, laquelle réussit par son surjeu irritant et son expressivité zéro à transformer Blanche en une sorte de pile électrique, aussi têtue que casse-couille, donc incapable de faire susciter la moindre identification à l’héroïne frondeuse qu’elle prétend incarner. Une héroïne qui finit écrasée et ridiculisée par les seconds rôles qui étaient censés lui servir la soupe, parfois, ça suffit à vous ruiner un bon scénario. Il en est hélas de même pour la mise en scène, pas assez foutraque pour se la jouer Monty Python, pas assez extrême pour tutoyer le moindre début de subversion, pas assez lyrique pour donner la moindre envergure à quoi que ce soit (l’attaque de la diligence est de loin la scène la plus plate de tout le film !). Quant aux diverses références anachroniques, elles font sens sans pour autant faire effet. Oui, Mazarin fait du trafic de drogue et d’enfants avec le cartel de Medellin (!). Oui, KKK et ses capuches coniques sont une référence évidente au Ku Klux Klan. Mais jamais Bonvoisin n’arrive à agencer et à rassembler ces références historiques en un tout cohérent, aboutissant de ce fait à un curieux no man’s land d’idées, rock mais jamais baroque, joyeusement branque mais incapable de faire sauter la banque. Rien d’autre, en définitive, que le cadavre d’un film rêvé. C’est un fait : un film raté, c’est frustrant, mais quand il conserve en plus les miettes d’un destin potentiellement glorieux, ça l’est dix fois plus. Amen.
1 Comment
Un film qui s’annoncait comme une sublime gourmandise et qui s’´est révélé être un infect flan. Bonvoisin devrait pouvoir nous montrer son montage originel.