Atomik Circus

REALISATION : Didier Poiraud, Thierry Poiraud
PRODUCTION : Entropie Films, TF1 International, TFM Distribution
AVEC : Vanessa Paradis, Benoît Poelvoorde, Jean-Pierre Marielle, Jason Flemyng, Venantino Venantini, Vincent Tavier, Mar Sodupe, Bouli Lanners, Dominique Bettenfeld, Vincent Belorgey
SCENARIO : Didier Poiraud, Thierry Poiraud, Jean-Philippe Dugand, Vincent Tavier, Marie Garel-Weiss
PHOTOGRAPHIE : Philippe Le Sourd
MONTAGE : Mario Battistel
BANDE ORIGINALE : Vanessa Paradis, The Little Rabbits
ORIGINE : France
GENRE : Comédie, Fantastique, Horreur, Science-fiction, Western
DATE DE SORTIE : 21 juillet 2004
DUREE : 1h30
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Une ville improbable, mi-française mi-américaine, Skotlett City, s’apprête à fêter la grande fête de la tarte à la vache alors que James Bataille s’échappe de prison pour retrouver Concia sa fiancée. Mais, à son retour au village, des extraterrestres sanguinaires viennent jouer les trouble-fêtes…

Anomalie jouissive dans une industrie cinématographique française rongée par la connerie suprême de ses exécutifs, l’ovni culte des frères Poiraud célèbre la contre-culture poisseuse avec brio. Un régal.

Entre un film qui ressemble à tout et un film qui ne ressemble à rien, il faut faire son choix. Toujours avaler les mêmes formules jusqu’à finir gavé comme une oie ou accueillir l’anomalie dans tout ce qu’elle peut avoir d’osé et de frais ? Quand deux frangins tarés débarquent de nulle part avec un ovni cinématographique maxi-barré et jeté en pâture au beau milieu des mastodontes commerciaux de l’été, le sens des priorités se fait déjà tout tracé pour l’auteur de ces lignes. Le sourire s’élargit encore lorsque l’historique insensé du projet éclate au grand jour. Ce qui fut conçu dès le départ comme une série B foutraque avec des aliens en plastique et du sang partout fut hélas survendu par les exécutifs décérébrés de TF1, toujours à l’affût du moindre truc branchouille susceptible de multiplier les zéros au box-office. C’est sûr que pour ces derniers, peu importe le scénario et inutile même de le lire, du moment qu’on réunit deux pubards surdoués, qu’on se fournit de la star bankable en sachet et qu’on chope les aides publiques pour valider un budget costaud de 14 millions. Quoi d’étonnant de les voir tirer une tronche de déterré lorsque la nature totalement invendable de la chose leur éclate à la gueule, même si, pour le coup, le box-office ne fut pas déshonorant. A bien des égards, Atomik Circus – sous-titré Le retour de James Bataille – fit date à sa sortie en juillet 2004, éclairant aussi bien cette schizophrénie du système de production français (ici vérolé par une logique mercantile absurde) que la préciosité des accidents industriels qui peuvent parfois en découler – on peut facilement rajouter le Blueberry de Jan Kounen et le Steak de Quentin Dupieux à la liste. Tout maudit et détraqué soit-il, le résultat séduit encore de par sa folie, tant frondeuse que bordélique, qui fait voler en éclats tous les codes de la grosse machine formatée et/ou franchouillarde. Son pitch lézardé de la cafetière le rend aussi dément qu’on pouvait s’y attendre, et sa seule existence a valeur de victoire pour tout cinéphile n’ayant jamais laissé de côté le goût de la curiosité et de l’aventure propre à sa passion.

A l’origine de ce projet, il y eut donc une BD imaginée des années auparavant mais laissée à l’état de brouillon, via laquelle les frères Didier et Thierry Poiraud finirent par compiler en roue libre tout ce qui leur passait par la tête, de leur passion pour le rock alternatif à leurs goûts cinéphiles (science-fiction, western, action, comédie, horreur, road-movie) en passant par leurs idées mises en pratique durant leur carrière dans la publicité. Car si les frangins n’étaient pas connus du grand public, leur travail l’était depuis longtemps. La bouteille-boogeyman d’Orangina Rouge, c’était eux. La Statue de la Liberté qui se désape et plonge dans l’océan après avoir mâché un chewing-gum, c’était aussi eux. En passant au format ciné, ils lâchent enfin les chiens, forts de gros moyens vraiment visibles à l’écran : production design intemporelle, trinité Paradis-Poelvoorde-Marielle qui s’éclate et seconds rôles bien cintrés (Bouli Lanners, Vincent Tavier, Dominique Bettenfeld, Vincent « Kavinsky » Belorgey, Venantino Venantini, etc…). Et le scénario ? Comment résumer ce bazar en une ligne ? On pourrait dire qu’il est question d’une jeune chanteuse coursée par un impresario lubrique et des aliens tentaculaires. Mais vu qu’on doit aussi y ajouter un bled paumé rempli de bouseux décérébrés, un obscur « festival de la tarte à la vache », un orchestre de zigotos blonds qui se prétendent mariachis et un fugitif qui se la joue David Vincent fringué en cosmonaute, ce qui pouvait relever d’une intrigue joyeusement dingo se mue vite en un tableau bien bordélique, justifiant par la même occasion son propre titre. Mieux vaut ne pas rester sur la première impression laissée par cette trame, en l’état pas plus potache et immature que ne l’étaient déjà les premiers travaux de Sam Raimi ou de Peter Jackson. Seule compte la démarche singulière de cet ovni, perpétuellement écartelé entre le clin d’œil familier et le WTF nonsensique.

Dans ce décor bouseux et caniculaire où les œufs cuisent dans le frigo, où la brume plane tellement au-dessus des marais qu’on jurerait l’eau bouillante, où l’on fait chanter un chien en appuyant super fort sur sa pustule, et où les autochtones locaux empaillent leur grand-mère quand ils ne cautérisent pas leurs plaies à l’essence (si si), il y a du clin d’œil à gogo – Alfred Hitchcock, David Cronenberg, Oliver Stone et Tobe Hooper jouent du coude à chaque raccord de plan. Mais sous le vernis de la grosse poilade référentielle se dissimule surtout un véritable maelström de contre-culture débridée dont les Poiraud régurgitent les fétiches et les sensations sans se fixer de limites. Punk-rock, cha-cha-cha, bande dessinée, cinéma de quartier, série télévisée, littérature fantastique, splatter ultra-gore, humour régressif, dialogues fleuris, esthétique kitsch et artisanat créatif rejaillissent ici sous forme de fragments bien digérés que les deux zigotos rassemblent en un tout cohérent. Alors, bien sûr, la moindre idée forte finit fatalement par se manger le revers de la médaille. Cette recherche d’un gros fourre-tout narratif s’accompagne ainsi d’un manque flagrant d’ancrages scénaristiques, le mixage référentiel fait jeu égal avec des tics auteuristes inégaux (dont la voix off d’un obscur animateur radio), chaque personnage n’existe véritablement que lorsqu’il confronte sa partition déjantée à celle d’un autre, et le gonflement au format Scope d’un tournage caméra à l’épaule force des cadres d’une beauté fracassante à cohabiter avec des scènes dont le montage frise la purée hystérique. Reste que cet entre-deux permanent entre la fulgurance et le ratage, entre la maîtrise et le bâclé, est précisément ce qui assoit la cohérence – et donc la réussite – de l’ensemble. En lieu et place d’un objet parfaitement lustré (gage de formatage) ou totalement foiré (gage de navet), les frères Poiraud accouchent d’un grand écart qui tire à hue et à dia, chahutant leur audience au fil d’effets sonores proches du cartoon et d’une mise en scène qui s’imprègne elle-même du chaos ambiant – la superbe photo délavée de Philippe Le Sourd imprime sueur et poussière sur la pellicule. Et surtout, ils savent s’y prendre pour relancer les cartes de leur gros bordel. Dès lors que la mécanique du récit menace de tourner à vide, la jouissive férocité de Benoît Poelvoorde – ici très clairement en mode C’est arrivé près de chez vous – remet fissa un coup de boost dans le carburateur. De même que le choix d’une comédie musicale déglinguée tombe ici sous le sens à force de laisser la série Z gore strier des scènes musicales où Vanessa Paradis – trop craquante en Barbie pétroleuse – libère son timbre sensuel sur fond du rock nantais des Little Rabbits.

Pour un film où les personnages passent la plupart du temps non pas à remplir du vide mais à tenter d’absorber l’incongruité de tout ce qui rentre dans le cadre (avec un « Euh… OK… » en guise de réponse !), on peut dire que la science de l’absurde propre au cinéma de Quentin Dupieux n’est jamais bien loin. C’est de toute façon la pureté et l’énergie d’un geste de cinéma pas comme les autres qui suffisent ici à contrebalancer aussi bien les trous d’écriture du bazar que la caractérisation bête et méchante de tout ce qui le peuple (le magazine Première avait qualifié le film de « Massacre à la tronçonneuse revu et corrigé par les Deschiens » !). Trop de répliques hilarantes, de caractères défractés et de ruptures de ton surréalistes prennent racine pour ne pas donner envie d’y revenir à répétition, histoire d’en alimenter encore le culte. Et puis, il y a surtout ce climax psychotronique en trois temps : d’abord un massacre ultra-gore où les extraterrestres – tantôt pieuvres lovecraftiennes tantôt scies circulaires – y vont franco dans le coulis d’hémoglobine et l’explosion de tripaille, ensuite un face-à-face déjanté entre un cosmonaute et un mutant cronenbergien, enfin un épilogue hallucinatoire qui revisite le cliffhanger final de La Planète des Singes sous l’angle d’une pirouette absurde. Tout cela participe à la force d’un pot-pourri unique en son genre, bébé difforme d’une hydre à deux têtes pour qui le cinéma consiste moins à arrondir des angles qu’à les rendre toujours plus biscornus sous l’effet d’une créativité sans limite ni mode d’emploi. De vrais sales gosses, ouais. Et on leur en sait gré.

Photos : © TFM Distribution. Tous droits réservés

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