Critique de Zero Impunity et avis liminaire quant à Ville Neuve de Félix Dufour-Laperrière : on réunit aujourd’hui les deux films les plus engagés de la sélection Contrechamp du Festival International d’Animation d’Annecy, l’un sous la forme du documentaire et l’autre par le prisme de l’intime révolutionnaire.
Zero Impunity
Il faut tout d’abord rappeler que Zero Impunity n’est pas seulement un documentaire mais un projet transmedia qui s’est construit autour de différents happenings et interpellations de gouvernements. Meilleure idée de cette entreprise : diffuser des témoignages de journalistes d’investigation (féminines) à travers le monde, sur des bâtiments hautement symboliques tels que des Ministères européens ou bien dans des lieux de passage, arcades de l’indifférence. Vous apercevrez quelques un de ces lieux dans la bande-annonce ci-dessous :
Dans un premier temps, le choix de mêler l’animation aux prises de vue réelles fut tout pragmatique : en effet les victimes qui témoignaient ne devaient pas être reconnues et il fallait donc pouvoir troubler les pistes à leur sujet tout en rendant ces témoignages plus touchants et humains qu’avec de simples voix-off. Il fallait donner visage humain à toutes ces femmes qu’on fait taire quand elles osent s’exprimer et dont l’entourage nie systématiquement les drames. Cependant, les frères Stéphane Hueber-Blies et Nicolas Blies ainsi que leur co-réalisateur Denis Lambert ont réussi, par le biais du film d’animation, à instiller une douloureuse poésie dans le documentaire. Même si la technique est rudimentaire – de l’animation flash – ils ont su tirer parti de leurs contraintes avec un sens artistique intéressant. Quelques plans tournés en prise de vue réelle sont également assez remarquables même si l’on devine que les moyens techniques déployés étaient minimaux. En revanche, c’est le découpage technique qui pose problème : la division en chapitres est trop didactique et surtout, le dernier tiers s’étire inutilement. En effet, on n’a plus le sentiment d’y apprendre quoi que ce soit ; on nous répète inlassablement qu’il faut libérer les paroles pour réveiller les politiciens mais ça, nous l’avions bien vite compris, nul besoin d’y revenir sans cesse. Les auteurs craignent visiblement de trop intellectualiser leur propos si bien qu’ils en restent à la surface. Si le film secoue les consciences, on aurait aimé que son contenu soit plus approfondi. La fin du film se détache de l’intime pour se concentrer davantage sur le politique, c’est alors qu’on attendait des témoignages d’experts, par exemple des sociologues ou des historiens.
Ville Neuve
La bande-annonce du deuxième long-métrage de Félix Dufour-Laperrière laissait présager une histoire d’amour émouvante. On pensait découvrir l’usure d’une romance, l’amertume des non-dits, la tendresse qui brille encore ; de quoi ressortir totalement bouleversé de la séance. L’angle est pourtant tout autre : si ces éléments sont présents, ils n’en tapissent que l’arrière-plan et c’est le discours social et politique qui prend le dessus. Les personnages principaux sont des auteurs, Emma écrit de la poésie en prose et la fait découvrir à Joseph, son ex-mari qui de son côté a cessé d’écrire. Son texte, nous le découvrons en voix-off et on comprend subtilement qu’il caractérise son ancien amant. Ce film, c’est donc l’histoire de Joseph, personnage ambigu, un peu bourru, pétri d’idéaux et donc de désillusions. Le discours n’est jamais didactique mais toujours viscéral, il manque toutefois quelques climax pour illustrer le feu qui brûle encore dans l’âme du personnage. Car les anaphores visuelles et langagières renvoient toutes davantage à son épuisement moral qu’à son envie de combattre encore. Le film nous fait donc épouser le point de vue d’un homme que la société a tenté d’étouffer et qui retrouve de l’oxygène à Ville Neuve, petite ville littorale au charme suranné. Il est toutefois difficile d’écrire une critique de Ville Neuve, tant l’imagerie du film est dense, tant ses tableaux animés épousent les contours des dialogues qui sont scandés par des comédiens talentueux. Il serait plus adéquat d’en analyser des séquences choisies, nous y reviendrons donc peut-être prochainement après nouveau visionnage. Quoi qu’il en soit, il y a de la littérature dans Ville Neuve, indubitablement, et elle rejoint savamment les arts visuels. On aurait apprécié qu’une note d’espoir puisse clore le film, réunissant le couple déchu et nous permettant de vibrer davantage à leur égard. Il faudra se contenter d’un vague sentiment de résilience.
Si vous aimez la poésie, allez voir Ville Neuve qui sortira en France le 26 juin. Toutefois à éviter si vous gisez déjà dans un gouffre de désillusion.