Il y a deux ans, Masaaki Yuasa était reparti du festival d’Annecy avec le cristal du long-métrage pour Lou et L’Île Aux Sirènes, une récompense bien méritée pour cette euphorisante et virtuose incursion du cinéaste dans un divertissement plus ouvert aux enfants. Malheureusement, le long-métrage n’a pas rencontré le succès et la consécration de Masaaki Yuasa auprès du grand public devait encore attendre. Peut-être cela explique-t-il la direction qu’il a choisie de prendre avec son nouveau film Ride Your Wave. Après son tétanisant Devilman Crybaby, il nous revient ici avec son œuvre la plus mainstream. Est-ce que Yuasa en serait arrivé à sacrifier sa créativité sur l’autel du succès commercial ? Rien n’est plus faux. On croise ainsi les doigts pour que le public daigne laisser une chance au film et se laisse séduire par la patte du cinéaste ici proposée dans sa forme la plus accessible. Et pour les fans de la première heure, c’est peut-être l’occasion de bien se rappeler ce qui est l’une des grandes forces de son cinéma.
Dingue, excessif, complexe, imprévisible, sensoriel… Voilà quelques mots qui reviennent systématiquement quand on parle du cinéma de Masaaki Yuasa. Si ceux-ci sont appropriés, il convient de mettre en avant un autre qualificatif : romantique. Au vu de sa filmographie, il ne fait aucun doute que le cinéaste a un cœur immense. Des romances démoniaques de Devilman Crybaby et Kemonozume aux jeux du hasard et du destin forcé dans Night is Short, Walk on Girl et The Tatami Galaxy en passant par le trip ultime Mind Game, l’amour a régulièrement une place importante dans ses films. On aurait certes tendance à l’oublier tant les ramifications de ses œuvres sont denses et brassent tellement de thématiques. Pourtant, l’amour tient souvent lieu de fil d’Ariane dans ce qui paraît comme des déchainements d’expérimentation filmique. Choisissant de traiter cette fois-ci la romance sans lui faire preuve des chemins tortueux, Ride Your Wave laisse éclater cet aspect de son cinéma.
Dans Ride Your Wave, Yuasa ne se cache plus derrière un dédale narratif. Cela dit, il aurait pu le faire au regard d’une thématique autour des insoupçonnées conséquences positives que peuvent avoir notre comportement sur autrui. Cela aurait pu être le terreau d’enchevêtrement de sous-intrigues et de rebondissements ahurissants. Mais de toute évidence, ça n’est pas ce qui tient à cœur au metteur en scène qui aime se positionner là où on ne l’attend pas. Il va donc privilégier la simplicité sans pour autant sacrifier son style. Yuasa ne renonce aucunement à ses instincts de mise en scène en privilégiant la linéarité des petits moments de la vie plutôt que de scander en permanence sa bizarrerie. Et toujours dans ce même registre, il est capable d’instiller dans son film quelques moments dingues (citer une « rom com » où une demoiselle se balade avec l’esprit de son copain enfermé dans un dauphin gonflable rempli d’eau). Le ton plus tempéré du film fait surtout ressortir la rigueur de son découpage constamment époustouflant. Outre de s’accorder aux émotions des personnages, il arrive presque à induire un sentiment de documentaire lorsqu’il illustre l’entraînement des pompiers ou l’apprentissage du surf. On retrouve également la dynamique musicale si typique de Yuasa avec cette chanson qui structure toute la relation au cœur du film. Et que dire de ces moments de pure animation qui en disent long, que ce soit une séquence de comédie physique illustrant l’existence précaire et instable de l’héroïne ou ce final où elle chevauche sa vague. Yuasa reste pétri d’idées de cinéma qui lui permettent d’embrasser toute l’âme de ses personnages. Ride Your Wave ne déroge pas ainsi à son désir de concilier les extrêmes, se posant comme une œuvre à la fois enthousiaste et mélancolique. Car si l’amour peut disparaître, les marques qu’il laisse durent toute la vie.
Le distributeur Eurozoom était particulièrement présent cette année à Annecy avec la présentation de cinq films : Promare, Spycies, Les Enfants de la Mer, The Relative Worlds et Buñuel Après L’Âge D’Or. Parmi ce lot, ce dernier est probablement le plus passionnant de tous (il est d’ailleurs reparti avec la mention du jury). En se focalisant sur le tournage de Terre Sans Pain, le long-métrage de Salvador Simo offre un captivant portrait du réalisateur mexicain. Si Terre Sans Pain était un documentaire constitué de fait et de mensonge, Buñuel Après L’Âge D’Or dépasse le statut de simple biopic ou making-of. Il use du pouvoir de l’animation pour toucher l’âme, la vérité du personnage. On aurait aimé vous en parler longuement mais il s’avère que nous avons été pris de court. En effet, Guillaume Lasvigne, ancien taulier du site et créateur d’Anima (alias la meilleure chaîne youtube ciné français), a signé un article en tout point parfait sur le sujet. Nous ne voyons rien à ajouter à cette critique relevant avec pertinence les forces du film.
Il nous faut préciser qu’en bon perfectionniste, il a également écrit un dossier sur Buñuel dans le quatrième numéro de Revus & Corrigés. C’est l’occasion de saluer l’initiative du magazine, cherchant à mettre en avant le cinéma de patrimoine. Alors que l’actualité est trop souvent phagocytée par des blockbusters de plus en plus indigents, on apprécie la passion émanant du magazine et son désir d’embrasser toute la pluralité du cinéma. À l’image de ce travail éditorial habité, on ne peut qu’espérer que Buñuel Après L’Age D’Or fera naître de nouvelles vocations envers le travail de l’artiste surréaliste.