REALISATION : Simon Rouby
PRODUCTION : Naia Productions, Pipangaï Productions
AVEC : Azize Diabate Abdoulaye, Pascal N’Zonzi, Oxmo Puccino, Jack Amba…
SCENARIO : Julien Lilti, Simon Rouby
DECORS : Alice Dieudonné, Remi Salmont
MONTAGE : Jean-Baptiste Alazard
BANDE ORIGINALE : Pablo Pico
ORIGINE : France
GENRE : Animation
DATE DE SORTIE : 21 octobre 2015
DUREE : 1h22
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Adama, 12 ans, vit dans un village isolé d’Afrique de l’Ouest. Au-delà des falaises, s’étend le Monde des Souffles. Là où règnent les Nassaras. Une nuit, Samba, son frère aîné, disparaît. Adama, bravant l’interdit des anciens, décide de partir à sa recherche. Il entame, avec la détermination sans faille d’un enfant devenant homme, une quête qui va le mener au-delà des mers, au Nord, jusqu’aux lignes de front de la première guerre mondiale. Nous sommes en 1916.
Les premières minutes et le pitch pouvaient laisser craindre une leçon d’histoire ou une narration trop classique mais Simon Rouby, le réalisateur, va jusqu’au bout de son projet à la singulière esthétique.
Le récit devient de moins en moins littéral, abordant même un certain onirisme, si bien que la vision du réel se mêle à un conglomérat de visions tantôt cauchemardesques, tantôt cathartiques, le tout guidé par un personnage mi-sage mi-fou. S’il ne verse jamais dans le simplisme, le scénario reste simple et presque trop linéaire, si bien qu’on a l’impression que l’épilogue survient trop rapidement, nous laissant sur notre faim. Mais ne perdons pas de vue que le film – qui contentera les adultes, est surtout réalisé pour convenir aux enfants. La durée assez courte (1h22) et l’épuration narrative rendent ce conte très lisible et surtout nous épargne la violence physique (nous verrons peu de corps meurtris) de la guerre qui traumatiserait les plus jeunes. Bien heureusement, cette violence est malgré tout présente, tout autant que la tension psychologique qu’elle génère mais on n’apercevra pas une seule goutte de sang et les blessés de l’infirmerie seront dépeints avec une grande pudeur. Finalement, c’est plutôt le dissimulé des atrocités qui nous affecte le plus, tout en permettant aux plus jeunes de voir le film. Cela n’était pas si aisé quand on découvre que Simon Rouby et Julien Lilti, le scénariste, ont fait de Verdun l’apothéose du film.
En effet, à son approche, la tension monde de manière graduée et maîtrisée. On saluera donc la précision du rythme d’Adama, certes assez aisée vu la simplicité de l’intrigue qui suit son personnage éponyme, sans faire aucune digression. Ajoutons aussi qu’il s’agit du premier long-métrage du réalisateur, et surtout du premier film d’animation à être entièrement produit à La Réunion. On souligne l’originalité de l’animation du film aux techniques hybrides, alliant 3D et 2D, un véritable challenge technique. On fera la même observation que dans la critique de Tout en haut du monde, autre découverte applaudie dans la semaine : le traitement inhabituel de l’image aurait pu être un danger pour l’immersion du spectateur dans l’histoire mais la cohérence visuelle prime, tant et si bien que le film est agréable à suivre. Et, comble de la cohérence : les personnages (et seulement les personnages) ont d’abord été réalisés en argile, puis scannés et animés en 3D. L’équipe a ainsi dû travailler en étroite collaboration avec des artistiques plasticiens, évoquant la stop-motion. L’œuvre apparaît ainsi bien plus fluide qu’un film exclusivement tourné en stop motion.
Il nous semble finalement logique que la terre soit le vecteur visuel de l’aventure du héros qui prend source en ce sol. Par ailleurs, l’aîné enrôlé dans l’armée a décidé de combattre aux côtés des français (en réalité à leur service) précisément pour échapper au labourage.
« Ces choix visuels sont voulus et uniquement liés au scénario du film. Ils traduisent principalement la perception qu’a Adama du monde qui l’entoure », décrit Simon Rouby. À la lumière de cette déclaration, on comprend que le mélange des techniques, tout en permettant une grande immersion grâce à la 3D, propose des contours imparfaits qui se calquent sur la perception du réel. D’emblée, le parti pris graphique est lisible ; dans Adama, on s’intéressera plus au ressenti du jeune garçon qu’au réel lui-même. Cela épousera une certaine poésie de plus en plus prégnante, ne perdant jamais de vue l’origine de l’histoire : les terres africaines pétries de contes et légendes. Pas besoin de nombreuses scènes ou de dialogues multiples pour comprendre les enjeux du récit ou s’attacher aux personnages. Ce qu’Avril et le Monde truqué ne parvient pas à faire, c’est-à-dire immerger dans des ambiances, baigner le spectateur dans un univers dense, Adama le réalise.
Force est de constater que le film parvient en toute simplicité à nous saisir d’effroi pendant les scènes de guerre. Accessible aux enfants, il retranscrit la violence d’une Europe à feu et à sang par un jeu de couleurs ou de symboliques. De plus en plus fébriles à l’approche de Verdun, on se glisse véritablement dans la peau d’Adama.
Le jeune garçon, intrus sur le champ de bataille, observe ébahi des scènes inouïes, finalement à l’instar des tirailleurs africains enrôlés par la France. Étranger du territoire ou aux enjeux de cette guerre, il traverse le pays relativement insouciant, ne pouvant imaginer l’enfer vers lequel il se dirige. Ce que nous propose Adama, c’est un véritable voyage dans le temps. Le parallèle est alors fort entre notre ressenti de citoyen en zone pacifique et celui du héros qui débarque au milieu d’un carnage qu’il ne comprend pas. La plus grande réussite du film est donc de nous faire ressentir son statut d’étranger au cœur d’une guerre à laquelle il n’est pas censé participer. Chaque minute dégage une impression de surréalisme (qui confinera finalement au registre fantastique) rappelant que ces scènes, pourtant inspirées de l’histoire dramatique des soldats sénégalais enrôlés par l’armée française, sont une erreur de l’Histoire. La fin du film un peu précipitée laisse un vague sentiment d’inachevé mais réussit toutefois son pari : nos poumons, comprimés par la pression de Verdun, se remplissent à nouveau d’oxygène quand les couleurs dominantes à l’écran se teintent à nouveau d’ocre. Finalement, le soulagement ultime se déploie quand on aperçoit l’Afrique du siècle précédent. Cette vision, qui évoque pourtant l’inconnu au spectateur occidental de 2015, nous rassure. En redécouvrant un monde qui pourrait nous déstabiliser par son caractère exotique, on se sent chez soi. La fusion entre notre esprit et celui d’Adama est donc totale. C’est ce qu’on appelle du cinéma, tout simplement.