REALISATION : John Lasseter, Andrew Stanton
PRODUCTION : Pixar Animation Studios, Walt Disney Pictures
AVEC : Dave Foley, Kevin Spacey, Julia Louis-Dreyfus, Hayden Panettiere…
SCENARIO : John Lasseter, Andrew Stanton, Joe Ranft, David Reynolds, Robert Lence…
PHOTOGRAPHIE : Sharon Calahan
MONTAGE : Lee Unkrich
BANDE ORIGINALE : Randy Newman
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Animation, Aventure
DATE DE SORTIE : 10 février 1999
DUREE : 1h35
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Tilt, fourmi quelque peu tête en l’air, détruit par inadvertance la récolte de la saison. La fourmilière est dans tous ses états. En effet cette bévue va rendre fou de rage le Borgne, méchant insecte qui chaque été fait main basse sur une partie de la récolte avec sa bande de sauterelles racketteuses. Fou de rage, ce dernier annonce qu’il reviendra à l’automne prélever le double de sa ration habituelle. Tilt décide alors, pour se faire pardonner, de quitter l’île pour recruter des mercenaires capables de chasser le Borgne.
John Lasseter l’aura suffisamment déclaré : chez Pixar, la technologie est toujours au service de l’histoire. L’animation en images de synthèse a ainsi cette particularité de pouvoir abolir les frontières matérielles propres à d’autres mediums, ce qui autorise les scénaristes à n’être limités que par leur seule imagination. Phase-clé de chacune de leurs productions, l’élaboration du scénario représente pour le studio une étape primordiale, nourrie sur le long terme au travers de multiples réunions et réécritures. Chaque idée, chaque élément du script est pensé, repensé, constamment réévalué à l’aune des modifications parallèles, afin de présenter au public une histoire limpide et épurée de toute excroissance superflue. Un mode opératoire spécifique aux studios Pixar (et qui a également fait l’âge d’or de Walt Disney) qui fait que le film terminé n’a parfois que très peu à voir avec le premier jet établi. A l’instar d’Andrew Stanton, qui aurait livré 208 versions du Monde de Nemo, la production de 1001 Pattes ne se fit pas sans de drastiques changements au niveau du récit : initialement nommé Red, Tilt était un meneur, une fourmi rouge vivant au sein d’un cirque. John Lasseter, Andrew Stanton et le chef scénariste Joe Ranft, persuadés qu’identification et intrigue gagneraient en intérêt avec un autre personnage principal (qu’ils jugeaient alors inutile), firent donc de Tilt le vilain petit canard de la fourmilière, à la fois inventif et gaffeur. 1001 Pattes est donc devenu cette histoire suivant un héros en marge d’une société normative, qui va quelque peu bouleverser l’ordre social en place. Soit strictement le même postulat de départ que Fourmiz, premier film en images de synthèse de la branche animation des studios Dreamworks, sorti un mois plus tôt.
Steve Jobs et John Lasseter ont présenté leur projet à Disney, à l’été 1994. Le studio aux grandes oreilles était alors dirigé par Jeffrey Katzenberg, lequel partit cofonder Dreamworks avec Steven Spielberg quelques mois plus tard. Nécessairement au courant de la production de 1001 Pattes, Katzenberg se lançait très vite dans ce que Lasseter appellera, au moment de la sortie, « une affaire de publicité » : la promotion de Fourmiz a ainsi pu s’axer sur le fait d’avoir devancé Disney. Impossible dès lors, pour le spectateur ayant vu celui-ci (sorti peu avant), de ne pas forcer la comparaison lors du visionnage du film réalisé par John Lasseter et Andrew Stanton. Second long-métrage d’animation de studios Pixar désormais côtés en bourse, 1001 Pattes liait son destin à celui de la société : en dehors de la pression liée aux résultats financiers, c’était aussi le réputé cap du second film que se devait de franchir Pixar, tout juste auréolé du succès retentissant de Toy Story. On ne reviendra évidemment pas sur la réussite incontestée de la firme, mais leur second bébé n’incarnait que les prémices d’une politique basée sur le renouvellement, le dépassement constant de soi et sur une remise en question permanente à tous les niveaux. S’il était peut-être déjà clair à l’époque, un constat est aujourd’hui irréfutable : 1001 Pattes explose Fourmiz dans ses moindres recoins, et bien plus encore.
Rétrospectivement, on peut situer le film comme l’un des projets les plus risqués de Pixar. En faisant suite à Toy Story, tout devenait d’un coup plus ambitieux et plus complexe, compte tenu à la fois de partis-pris artistiques inédits (le passage au format scope, entre autres) et du milieu dans lequel prenait place l’histoire. Nous ne sommes plus dans des chambres d’enfants entre jouets, mais en pleine nature au sein de décors protéiformes, plus vastes et par essence plus nombreux que ceux des alentours d’une maison. La fourmilière implique un nombre ahurissant de personnages en mouvements, ce qui, ajouté à leur environnement, dépend d’un nombre d’animateurs plus importants que pour Toy Story et d’un temps de travail inévitablement décuplé. Bref, toute décision était une prise de risques significative à l’aune du contexte de production, mais l’alliance de talent et d’intelligence des différents postes techniques aura finit par aboutir à une œuvre visuellement splendide et à l’intégrité totale, en cela bien éloignée des préoccupations publicitaires de ce grand manitou de Katzenberg.
Le plan-séquence d’ouverture impose très vite la supériorité de 1001 Pattes sur son homologue de Dreamworks. Là où les scénaristes de Fourmiz ont décidé de situer la majorité de l’action sous terre, peu aidés par ailleurs par des décisions esthétiques absurdes (direction artistique, production-design sombrent dans une obscurité d’une laideur absolue), Pixar ouvre son film sur la majesté d’un soleil inondant un ciel bleu, dont les rayons sont embarqués par un ample mouvement de caméra quittant l’immensité aérienne pour rejoindre le microcosme d’une fourmilière. Un univers régit par une organisation sans pareil où chaque insecte possède un rôle précis, au point de ne pas être capable d’effectuer d’autre tâche que celle qui lui est confiée. Une simple feuille d’arbre peut annihiler tout cheminement (et fait office de premier gag de la part des scénaristes) : 1001 Pattes introduit ainsi l’idée de place inamovible dans une société où le libre-arbitre n’a pas sa place (la fourmi n’a même pas l’idée de contourner la feuille), idée reprise dix ans plus tard dans le magnifique Wall.E également réalisé par Andrew Stanton. Avec deux lignes de dialogue et leurs seules images, le duo de cinéastes orchestre ainsi, d’une manière autrement plus subtile et ludique il faut l’avouer, la même thématique que dans Fourmiz. Sauf que chez Dreamworks, on nous montrait des bébés défiler à la chaîne, auxquels on donnait un casque ou une arme pour signifier leur place future.
La caractérisation du héros est à l’avenant. Dans Fourmiz, Z est une fourmi dépressive qui se plaint toutes les deux secondes de ne pas aimer son travail, et rumine à l’envi son désespoir face à une notion de choix dont il ne dispose pas. Dans 1001 Pattes, Tilt agit une première fois hors-champ. Une herbe atterrit sur le corps de la princesse fourmi, le plan suivant laissant apparaître l’ouvrier, isolé dans le cadre, se plaisant à récolter des brindilles avec une machine de sa conception. Le personnage est littéralement en dehors du rang découvert précédemment, et agit à sa manière pour faire avancer les choses (à savoir, cultiver plus et plus rapidement). C’est ce qui lui vaudra d’être rejeté par les siens, à la suite d’une gaffe provoquant l’énervement de sauterelles venues chercher la nourriture qui leur était due. Par cela, 1001 Pattes décrit un mécanisme selon lequel des exploités enrichissent les puissants. Des puissants qui ne le sont plus lorsque les exploités s’assemblent et se rebellent, comme lors du final vers lequel tout le film a aspiré. On a vu propos plus simplistes dans un cinéma dit « pour enfants », surtout à une époque où les dessins animés étaient rythmés par des chansons pas forcément subtiles.
Dans 1001 Pattes, comme plus tard dans Wall.E, c’est le mauvais rouage d’un ensemble qui perturbe la pensée unique, qui intime de sortir du rang pour évoluer et à entretenir l’esprit de groupe pour transcender sa propre condition. « On obtient de l’authenticité par manque d’authenticité » indique John Lasseter dans le commentaire audio : comme chaque scénario de chaque film Pixar, la limpidité, la simplicité apparente des enjeux ne dissimule que trop bien une écriture de longue haleine et une précision d’orfèvre dans l’information distillée par ses dialogues. 1001 Pattes recourt très souvent à l’humour pour faire passer ses idées, au gré de gags et de personnages attachants, de quiproquos imparables mis en scène sous haute influence (les auteurs citent notamment Frazetta au détour d’un plan particulièrement jouissif).
C’est là tout le sens du détail d’une équipe de génies qui ne cèdent jamais à la facilité, sous prétexte de donner à son public ce qu’il est venu chercher. Il serait ainsi méprisant de cultiver la comparaison entre le film et Fourmiz, ne serait-ce qu’en des termes visuels. On l’a dit, le Dreamworks fait preuve d’une non-inventivité terrifiante, quand Pixar fait des merveilles à chaque cadre qu’il compose avec le plus grand soin. Bourré d’idées folles (les intérieurs sont éclairés en lumière naturelle par… des champignons phosphorescents), de décors fouillés comme jamais (jusqu’à la plus petite ombre à l’arrière d’une feuille) de jeux d’échelles hallucinants (on ressent réellement la simple fissure dans le sol comme une crevasse, du point de vue d’une fourmi), 1001 Pattes est en outre baigné par une superbe photographie qui comme toujours chez Pixar, envoûte et accentue les émotions quand elle s’acharne à traduire à l’image les faits en cours. Au fond, la dichotomie entre les deux œuvres est un peu représentative de l’histoire de ces deux géants de l’animation : d’un côté, de rares coups de génie (comme Dragons) noyés dans le recyclage et l’opportunisme. De l’autre, une profession de foi nourrie par l’amour du public et du Cinéma. Chez Courte-Focale, on a depuis longtemps choisi notre camp.
3 Comments
Je garde un excellent souvenir de ce dessin animé inventif et trépident que j'ai vu une bonne dizaines de fois. Je le préfère largement à Fourmiz d'ailleurs, même au-delà des graphismes (trop sommaire pou fourmiz, virtuose pour 1001 pattes) où je trouve l'histoire de 1001 pattes bien plus passionnante. Peut-être pas le meilleur pixar, mais un excellent dessin animé.
Très bon article pour un super film.
Je me permets d'ajouter parce que mes chevilles aiment ça, au début le scénar est légèrement calqué sur les 7 Samouraïs jusqu'à la scène qui reprend la scène de la grange.
Par contre Fourmiz il est pas si mal je trouve… Et pour le personnage de Z qui fait que se plaindre de son boulot, la dernière réplique "J'ai enfin pu choisir ma place. C'est la même qu'avant… Mais la différence, c'est que je l'ai choisie" est l'explicitation ultime des enjeux du films, pas si creux et superficiels que ça au final.
Après évidemment Fourmiz <<<<< 1001 Pattes.
Houla… Piwar et moi, ça fait deux..Je n'ai jamais état fan de ce film d'animation. Je trouve que les images d'animations rendent le film moins 'magique' qu'un disney ou qu'un dessin animé classique… Je suis assez déçu.