Quelques questions pour se remémorer une année d’images en tous genres, d’enchantement mais aussi de désillusion. Guillaume, Matthieu et Anaïs reviennent sur 2017 et nous annoncent leurs attentes pour 2018. N’hésitez pas à répondre vous aussi dans la section commentaire ou sur les réseaux sociaux avec le hashtag #GrandAngleSur2017 !
La meilleure surprise 2017
Guillaume : J’en choisis deux : un remake que j’imaginais aberrant et qui fut une formidable surprise (celui de Ghost in the Shell), une suite que je croyais aberrante et qui aura réussi à me hanter durant deux mois avant que je puisse enfin mettre des mots dessus (Blade Runner 2049)
Matthieu : Avec le temps, j’ai appris à me méfier des petites productions (surtout celles labellisées Blumhouse) précédées d’un gros buzz. Généralement, elles se révèlent être des coquilles vides. Ce fut donc une très heureuse surprise de trouver dans le Get Out de Jordan Peele un film digne de tous les éloges. Si certains ont été déçus que Peele change la fin originale, c’est pour moi au contraire la preuve irréfutable qu’il est cinéaste intelligent et pas un petit malin persuadé d’avoir inventé l’eau chaude. Son film socio-horrifique est ainsi une merveille d’habileté, divertissant son audience et le faisant réfléchir sans se poser en donneur de leçon. Une réussite sur tous les tableaux en somme.
Anaïs : Je pourrais citer Coco, film autour duquel je n’avais glané aucune information, aucune bande-annonce mais je pense que le film jouira déjà d’une exposition exceptionnelles alors je préfère citer Big Fish et Begonia sorti en 2016 en Chine mais qu’on a pu découvrir en France à Annecy 2017. Une symphonie visuelle, une épopée fantastique bouleversante mais surtout un film clé pour l’animation chinoise car il explore une histoire artistique fascinante qu’on ne saurait confondre avec des influences japonaises. Alors que le gouvernement chinois investit depuis quelques années à peine dans ce secteur, la nouvelle génération s’émancipe donc de la tutelle des studios Ghibli et cie et travaille avec acharnement pour se constituer une identité propre.
Les directions photo les plus marquantes de l’année
Guillaume : Roger Deakins sur Blade Runner 2049. J’ai déjà argumenté là-dessus, alors sans commentaire.
Matthieu : On pourra dire que la photographie de Roger Deakins sur Blade Runner 2049 est loin d’être son meilleur travail. C’est probablement vrai. Il n’en demeure pas moins que cette suite aussi improbable qu’étonnamment réussie démontre encore son incroyable talent. Des intérieurs de la tour Wallace à un Las Vegas en ruine, Deakins instaure une ambiance unique à chaque contexte par la seule grâce de sa lumière. Sa photographie a cette qualité extraordinaire de donner un caractère naturel à une scène tout en lui donnant un côté bigger-than-life. C’est le genre d’exploit comme seul un virtuose sait les accomplir.
Anaïs : La Planète des singes : Suprématie dont je n’attendais finalement pas grand chose. Même si j’avais fortement apprécié le précédent volet de la saga, la bande-annonce m’avait laissé imaginer du spectaculaire, de l’outrancier sans finesse. Et pourtant, la photographie de Michael Seresin qui plongeait L’Affrontement dans un clair-obscur magnifique aurait pu m’annoncer le meilleur. L’esthétique naturaliste et la création d’atmosphères et de colorimétries distinctes incarnent chaque lieu du film et donnent de la grandeur à l’aventure. L’immersion dans une nature qui reprend ses droits sur Terre est d’une telle qualité qu’on en oublie volontiers les imperfections scénaristiques, les grosses ficelles, la faiblesse du méchant ou les incohérences. Par la motion capture, la mise en scène, le talent des acteurs, j’en passe et des meilleurs, on observe un drôle de paradoxe : jamais les personnages principaux n’ont été si humains, on s’attache plus à César et sa famille qu’à la plupart des personnages de blockbusters actuels !
Un plan mémorable
Guillaume : Le plan final de Silence de Martin Scorsese. La forme au service du fond. Et une superbe leçon d’humanité par-dessus le marché.
Matthieu : Dans La Planète Des Singes : Suprématie de Matt Reeves, un père part l’arme au poing pour venger la mort de sa famille. Le personnage est centré dans l’image. L’arrière-plan est flou et obscurci. Il y a laissé ses compagnons pour accomplir seul sa vengeance. Malgré l’épuisement, il avance sans relâche. Sa détermination est accentuée par un travelling accompagnant plus lentement son déplacement. On plonge de plus en plus dans le regard de cet être meurtri. La sensation de froid ne provient plus seulement du décor de cette plaine déserte et enneigé. Elle vient de l’âme d’un père entièrement consumé par la colère. Pourtant, dans les derniers instants du plan, une autre émotion s’éveille en lui car il va constater les conséquences de son obsession. Ah oui et le personnages en question est donc un singe.
Anaïs : Un des derniers plans de Mindhunter qui confronte le personnage principal à ses démons. Non seulement, je ne l’avais pas vu venir mais la tension créée marque l’apogée émotionnelle de la saison.
La scène que tu n’as pas vue venir
Guillaume : À peu près toutes celles qui constituent Mother! de Darren Aronofsky et qui ne figuraient pas dans sa bande-annonce trompeuse… Putain, ce choc de fou furieux !
Matthieu : «And if you have to break things, then by God, you break them !» Certes, on peut difficilement dire que cette scène de Quelques Minutes Après Minuit était inattendue. Tout le film de Juan Antonio Bayona préparait cette séquence et, étant donné la justesse incroyable dont il fit preuve jusqu’alors, il n’y avait nul doute que ça serait un grand moment de tristesse. Il était moins envisageable à quel point cette scène serait d’un universalisme dévastateur. En trois minutes, Bayona retranscrit bien mieux qu’on ne saura jamais l’expliquer la complexité des émotions que nous éprouverons tous à moment de notre existence. C’est après tout pour cela que l’art est aussi important.
Anaïs : Le premier retournement de situation amené par The Good Place m’a déstabilisée car je ne l’avais pas du tout anticipé et pourtant, les séries TV nous ont habitué au fil du temps à de multiples poncifs. La comédie créée par Michael Schur est si inventive qu’elle les contourne habilement et nous place dans un flou total quant à l’avenir. Impossible de prédire les directions qu’elle prendra et c’est ô combien rafraîchissant. À intervalle régulier, les fans s’écrient donc devant leurs écrans « what the fork ! » à l’instar du personnage interprété par Kristen Bell dont les jurons sont systématiquement censurés et remplacés par des petits mots insignifiants à la sonorité proche de vulgarités bien connues. Une réplique qui définit la série toute entière et peut-être même ses réflexions métaphysiques, à mi-chemin entre nihilisme et quête de sens.
Un coup de gueule
Guillaume : Trop de comédies françaises torchées vite fait mal fait pour les impôts, trop de franchises épuisées et inutilement transformées en univers étendus, trop d’univers geek sacrifiés sur l’autel du roi pognon, trop de producteurs chez qui l’intérêt pour la qualité cinématographique ne se compte qu’en dividendes, trop de connards qui jouent du portable dans les multiplexes, trop de films précieux qui n’ont droit qu’à une dizaine de salles avant de disparaître, trop d’infos à la con qui pullulent sur les réseaux d’information, etc… Oui, je sais, je répète chaque année la même chose, mais tant pis…
Matthieu : Comme tous les ans, on aura eu droit à une pelleté de films de super-héros au mieux oubliables. Encore l’occasion de constater à quel point le genre n’est guère plus envisagé que sous l’angle pécuniaire et ne cherche pas à rendre véritablement honneur au matériel de base. Justice League a marqué cette année une nouvelle étape dans ce renoncement artistique. Le malheur veut que le genre ne soit finalement qu’un exemple parmi d’autres dans une industrie ne pensant plus qu’en terme de marque et non de contenu.
Anaïs : Les gens qui quittent les salles de ciné alors que le générique de fin n’a même pas commencé, se lèvent et obstruent votre champ de vision, s’esclaffent joyeusement, rallument leur téléphone alors que vous êtes encore immergés dans l’ambiance du film, le coeur embué de larmes. Shame on you.
Un DVD/Blu-Ray ?
Guillaume : Le coffret DVD édité par Carlotta et consacré à Walerian Borowczyk. Ou comment absorber l’intégralité d’une filmographie si riche et si atypique en un seul objet cinéphile. Prévoyez quelques jours de RTT pour regarder tout ce qu’il contient.
Matthieu : Les deux films phares des années 80 avec William Petersen : Manhunter de Michael Mann et Police Fédérale Los Angeles de William Friedkin. Deux grands films signés par deux non moins grands cinéastes qui n’ont jamais eu l’honneur chez nous d’une édition digne de ce nom. Cette terrible injustice est aujourd’hui réparée avec deux éditions certes coûteuses mais si impeccables qu’elles méritent largement l’investissement.
Anaïs : Terminator 2 en Blu-Ray 3D. Immense lacune, je n’avais jamais vu le film et j’ai pu le découvrir pour la première fois en 3D sur écran télévisé.
Le film sous-côté de 2017
Guillaume : Je ne sais pas si cela vient du bashing-Besson systématique ou d’un abus de cynisme chez certains spectateurs, mais je considère que Valerian a été trop sous-estimé.
Matthieu : Malgré son prix au festival d’Annecy et des critiques globalement bonnes, Lou Et L’île Aux Sirènes de Masaaki Yuasa reste certainement le film le plus mésestimé de l’année. En dehors du cercle des initiés, le film n’a pas vraiment fait parler de lui. Ce qui est fort triste au regard de son extraordinaire qualité. On se plaint régulièrement d’une industrie se formatant de plus en plus mais au bout du compte, une œuvre accessible, originale et inventive est délaissée. Heureusement qu’on peut se dire que le temps lui rendra justice.
Anaïs : Death Note ! (non, je déconne) Les Gardiens de la galaxie Vol.2 ont, me semble-t-il, déçus les cinéphiles par un ensemble un peu convenu qui n’apporterait donc aucune valeur ajoutée au Vol.1 mais j’ai trouvé l’univers toujours aussi captivant et cohérent, les personnages attachants. L’intrigue principale et son vilain m’ont déçue mais l’envie de suivre la joyeuse bande dans de nouvelles aventures n’a pas été altérée, je suppose que c’est bon signe (et assez rare pour être mentionné dans le paysage super-héroesque actuel, ce ne sera par exemple jamais le cas pour Suicide Squad). Côté animation, je pourrais citer Ana Y Bruno s’il était déjà sorti en France mais aucune date n’a encore été annoncée. Je le cite parce qu’il me semble qu’il est passé relativement inaperçu au festival d’Annecy et que les rares retours le concernant ont été peu élogieux ; pourtant j’y vois beaucoup de similitudes avec Coco. Son budget est monumental, son héroïne est l’une des plus attachantes que je connaisse (chara design étonnant), sa direction artistique est aussi fine que pertinente. Bref, j’espère que le public français aura l’occasion de le voir sur grand écran car il fait beaucoup parler de lui dans son pays d’origine, le Mexique (Cuaron et Del Toro l’auraient couvert de louanges d’après certains articles).
Le livre à lire pour être plus intelligent
Guillaume : Le livre d’entretiens de Samuel Blumenfeld avec Brian De Palma, récemment réédité par Carlotta. Une merveille pour étudier le rapport du cinéaste (et du spectateur) à l’image et à son ambiguïté. Et en plus, six films du réalisateur (et clairement pas les moins bons !) sont inclus en DVD dans le livre ! Just buy it !
Matthieu : Avec la sortie de l’insipide film réalisé par Patty Jenkins, Urban Comics (dont on ne saluera jamais assez le formidable travail éditorial) a édité le run de Wonder Woman par George Pérez. Si vous pensez que les histoires de super-héros ne sont que des gamineries accompagnées de pif paf pouf, voilà une lecture qui vous fera changer d’avis. Plus qu’un divertissement brassant des thèmes de société (féminisme, média, guerre), le run de Pérez est une grande aventure mythologique où le lecteur se confronte aux puissances de son propre esprit. Au travers d’une fresque épique portée par des dessins incroyablement denses, Pérez met en emphase tout le chaos de l’âme humaine et les pistes pour y remettre de l’ordre.
Anaïs : Frames of Anime, il date de 2010 mais je l’ai découvert seulement l’an dernier. Il évoque le rapport du Japon à l’image et la manière dont ses traditions ont pu mener à l’animation, en passant par la Chine ou la Corée. Absolument passionnant !
Un film français à sauver
Guillaume : Laissez bronzer les cadavres d’Hélène Cattet et Bruno Forzani : un film visuellement maîtrisé et habité avec du cœur et des couilles, ça change des ruminations bobo-hipsters, glauques et pleurnichardes que réalise Vincent Macaigne !
Matthieu : Du peu que j’ai vu, c’est sans problème Au Revoir Là-Haut d’Albert Dupontel. Cela fait du bien qu’un cinéaste français vienne rappeler qu’il est possible de faire un divertissement populaire ne méprisant pas son audience. Dupontel offre un spectacle sachant se montrer à la fois drôle et émouvant, sans jamais se faire simpliste. En ce sens, il ne se laisse pas emprisonner par la verbalisation et préfère raconter au travers de l’image. Poignant et réjouissant !
Anaïs : Zombillénium mais je dois avouer que j’ai très peu de référents français pour 2017. Ma méfiance vis à vis des films live hexagonaux étant très souvent justifiée, je m’y risque rarement et passe sûrement à côté de pépites. J’ai bien envie de découvrir Le Redoutable et Au Revoir Là-Haut par exemple et je me suis promis d’en visionner davantage après être tombée sous le charme de L’Odyssée fin 2016 (résolution avortée pour 2017 que je renouvelle donc pour 2018).
Un film très attendu pour 2018 ?
Guillaume : Entre le futur Terrence Malick, le futur Paul Verhoeven et le futur Lars Von Trier, il y a du très lourd en matière d’attentes. Mais après avoir vu le trailer cinquante fois et lu le bouquin trois fois, ma préférence va très clairement à Ready Player One de Steven Spielberg. Future pierre philosophale de la culture geek ? Je croise les doigts…
Matthieu : The Shape Of Water de Guillermo Del Toro. Pourquoi ? Ben parce que Guillermo Del Toro voyons !
Anaïs : The Shape of Water, mais puisqu’on vous dit que c’est LE film qu’on attend ! (parce que Guillermo Del Toro également, est-ce que cela suppose une autre forme d’argumentation ?)
5 Comments
Je retiens: « Le livre d’entretiens de Samuel Blumenfeld avec Brian De Palma, récemment réédité par Carlotta. Une merveille pour étudier le rapport du cinéaste (et du spectateur) à l’image et à son ambiguïté. » Merci!
Le coffret des oeuvres de Valerian Borowczyk est une super idée. Découvrir ce réalisateur peut-être un choc pour beaucoup.
Je vous souhaite à tous les trois une excellente année 2018, qu’elle exauce vos voeux les plus chers, et continuez à nous faire découvrir de nouveaux films (même anciens)
Heureuse année à vous également ! Nous avons déjà quelques textes en projets pour le mois de janvier et réfléchissons aux festivals que nous pourrions couvrir, l’année sera donc riche en découvertes culturelles…
Bonne année 2018 à tous les trois , rédacteurs de talent et un grand merci pour ce site de qualité que je lis attentivement et très régulièrement (un compliment supplémentaire au passage pour la version mobile qui est très esthétique, pratique et vraiment agréable à consulter) . Depuis quelques années à présent, j’ai toujours un immense plaisir à vous lire et découvrir vos analyses pertinentes. J’aimerais y déposer davantage de commentaires cette année. Ce sera ma résolution. Amitiés d’une cinéphile fidèle. Kathnel (Catherine)
Intéressante la sélection (bien qu’il soit dommage de ne pas trouver de film français autre que Valerian ou présent dans la catégorie « à sauver »). De notre côté, nous avons trouvé deux films français à faire figurer dans notre top 10. Pour le reste, je vous rejoins notamment sur l’excellence (pas tout à fait la perfection) de Blade runner 2049 et le naufrage évident côté DC comics. Bonne année à vous !