Au fil d’une carrière en dents de scie, alternant aussi bien les réussites et les déceptions que les provocations et les assagissements, François Ozon aura fait preuve d’une vraie singularité dans le cinéma français, parfois au point de porter très bien son nom de famille. Mais il est des jours où le désir de provoquer peut surtout révéler son incapacité à aborder un sujet précis, et le jour où le réalisateur s’est lancé dans l’écriture du scénario de Jeune & jolie était de ceux-là. Cela dit, on exagère un peu : Ozon le dit lui-même, le film n’a pas pour volonté de choquer, mais d’être avant tout une exploration du mystère de l’adolescence. Le sujet : une adolescente d’à peine 17 ans qui se prostitue sans nécessité apparente. Beau programme. Sauf que ce rejet d’une explication crée d’entrée un problème. Pourquoi cette fille se prostitue-t-elle ? Par souci d’argent ? Vu le cadre bourgeois et très confortable dans lequel elle a grandi, on en doute sérieusement. Par pulsion nymphomane ? Bof, pas sûr du tout, vu les deux expressions faciales dont la jeune fille est réduite tout au long du film (timide et mutique lorsqu’elle passe à l’acte, râleuse et rebelle lorsqu’elle est avec sa famille). Alors quoi, par plaisir ? Par l’envie d’explorer sa sexualité de façon plus frontale ? C’est ce que l’on aurait pu penser au vu de l’ouverture ensoleillée du film (où la belle subit un dépucelage assez désastreux), mais là encore, la persistance d’Ozon à jouer sur les ellipses et les non-dits parasite le propos plus qu’elle ne le laisse ouvert. Scène après scène, on voit surtout une garce allumeuse au schéma interne impossible à décoder, et on se demande vraiment s’il y a quelque chose à comprendre dans ce film. Au point d’y voir un cinéaste sans sujet ni point de vue, feignant de sublimer une forme de mystère féminin en s’en servant comme d’une diversion intellectuelle. Or, dissimuler une absence totale de propos est impossible dans ce sens : sans point de repère thématique ou narratif qui placerait le spectateur au cœur de la réflexion en le laissant libre de s’en imprégner (ce qu’Ozon avait très bien réussi avec Swimming pool), le plantage pointe son pif dès les premières scènes. Le reste, entre un clone fadasse de Laetitia Casta (Marine Vacth, pourtant qualifiée de « révélation ») et l’utilisation des chansons de Françoise Hardy (où le cinéaste tente d’expliciter ce qu’il n’a pas su exprimer par sa mise en scène), entérine pour de bon l’échec du projet. Et nous persuade aussi que le dérapage d’Ozon sur la Croisette (« La prostitution est un fantasme commun à de nombreuses femmes » : ah bon ?) aurait paradoxalement donné un film moins creux et plus intéressant que celui-ci.