On a déjà suffisamment de recul pour s’en rendre compte : mine de rien, Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri ont sûrement été, pendant une dizaine d’années, les scénaristes-dialoguistes les plus enthousiasmants du cinéma français, redonnant pour un temps ses lettres d’or à une profession qui avait largement souffert de ce qu’avaient pu en dire les jeunes turcs de la Nouvelle Vague au tournant des années 1960. La série de films que constituent Un Air de Famille (1996), Le Goût des Autres (2000) ou encore Comme une Image (2004) questionnait dans des dialogues admirables les codes sociaux et les barrières que ceux-ci posent sur la voie des individus vers l’épanouissement. Mais déjà en 2008, Parlez-moi de la Pluie montrait les limites de la capacité de JaBa à multiplier les personnages et à les faire vivre tous et dans toute leur complexité. La présence de Jamel Debbouze, notamment, donnait un drôle de cocktail comique, assez indigeste. Voilà quelque chose que l’on peut déjà dire d’Au Bout du Conte : le choix des acteurs, notamment, y est parfois hasardeux. On conçoit qu’Agathe Bonitzer ait un physique qui puisse évoquer facilement celui de jolies princesses de contes d’antan (peau très blanche, belle chevelure rousse), ou que Benjamin Biolay ait le côté ténébreux et mystérieux nécessaire à un personnage de « Grand Méchant Loup », mais encore faudrait-il qu’ils soient bons acteurs pour que le film « tienne » mieux.
C’est le problème général de ce nouvel opus : les intentions du duo Bacri-Jaoui sont on ne peut plus transparentes sur bien des points, mais l’effet escompté de chacune d’entre elles est très peu probant. La raison principale en est précisément cette transparence de la recherche de légèreté, qui vire paradoxalement à la lourdeur. Partir des contes classiques comme de mythologies structurant encore bien des rapports humains aujourd’hui n’est pas une mauvaise idée en soi. Ils peuvent bien permettre d’appréhender – comme souvent chez le tandem – les états du couple et le rapport des individus aux impératifs sociaux qui les étouffent. Pour autant, le résultat est figé dans une forme sur-travaillée d’espièglerie, trop fabriquée pour fonctionner réellement (en appuyant moins les références, Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm arrivaient par exemple à un bien meilleur résultat dans La Guerre est déclarée). Agnès Jaoui prend visiblement plaisir à travailler la forme plus que jamais auparavant mais le fait jusqu’au trop-plein envahissant de clins d’œil. L’expérience du spectateur s’en trouve parfois réduite à une recherche de sens caché dans les ramifications inutiles de l’histoire : entre les pauses poseuses que des images très picturales amènent dans le récit, les noms de lieux renvoyant à des contes ou les costumes et décors tout sauf subtils, c’est trop. Lorsque cela parasite l’histoire en elle-même, c’est plus gênant encore : à quoi sert le personnage de la mère de l’héroïne si ce n’est à apporter une actualisation supplémentaire d’un conte bien connu (comme la Belle-Mère de Blanche-Neige, elle est obsédée par son physique et entretient sa jeunesse… par de la chirurgie esthétique!) ? Bacri et Jaoui gèrent donc assez mal la polyphonie de leur récit, multipliant les pistes thématiques sans les mener toutes à bout. Sans surprise, c’est à eux-mêmes qu’ils s’offrent les rôles les plus intéressants, ceux auxquels le fond du film – qui s’avère nettement moins enchanté que prévu – tient le plus. « Au bout du conte », après la fin des illusions, n’y a-t-il pas finalement qu’un monde de compromis et de passages à vide entre deux rayons de bonheur ? Sans surprise, le tandem n’est finalement à son meilleur que lorsqu’il quitte ses fanfreluches pour se montrer pleinement au naturel…