Dans Peggy Sue s’est mariée (1987), Francis Ford Coppola encadrait son histoire de retour dans le passé adolescent par deux plans à la symbolique visuelle significative. Dans le tout premier, la caméra démarrait sa trajectoire sur un écran de télévision montrant une publicité ridicule de Charlie (Nicolas Cage), l’amour de toujours de l’héroïne (Kathleen Turner) qu’elle cherchait pourtant à quitter depuis qu’il l’avait trompée. Puis, elle montrait une jeune femme (Helen Hunt) qui s’avèrera être leur fille et enfin l’héroïne (Kathleen Turner). Ça n’est pas tout : tandis que le même travelling arrière se poursuit, on découvre un cadre dans le cadre : un grand miroir que Peggy regarde avec une forme de malaise, constatant ce qu’elle est devenue, une quadra en quête d’une nouvelle jeunesse, d’un nouveau départ et dont la grande histoire d’amour est un échec. Dans l’ultime plan du film, les trois personnages étaient de nouveaux réunis dans le reflet d’un miroir (même mouvement de caméra) mais Peggy ne le regardait plus désormais, n’ayant plus à contempler le présent pour l’évaluer à l’aune du passé. Pour y avoir « séjourné » à nouveau, elle savait alors qu’elle n’y regrettait finalement pas grand-chose. Il est bien dommage de constater que, de pareilles trouvailles visuelles, certes simples mais chargées de sens, Camille redouble n’en comporte aucune. Correspondant bien à ce niveau-là à un cliché qui colle depuis des années au cinéma d’auteur français, le nouveau film de Noémie Lvovsky repose avant tout sur un travail d’écriture que l’on sent très appliqué, plein de fantaisie et d’intelligence, sans forcément que l’équilibre entre celles-ci parvienne à se maintenir tout au long du métrage…
Reconnaissons au film l’audace et le jusqu’au-boutisme d’un parti-pris réjouissant : lorsqu’après sa rupture avec Eric (Samir Guesmi), une visite chez un mystérieux horloger (Jean-Pierre Léaud) et un nouvel an trop arrosé, Camille se voit ramenée à ses seize ans par un mystérieux caprice du temps, elle est toujours incarnée par Noémie Lvovsky. Une coupe de cheveux différente, un maquillage subtilement modifié, un look approprié et surtout une attitude rajeunie suffisent : elle est de nouveau adolescente. Dès lors que l’on voit l’héroïne encadrée par des parents énervés par sa première grosse cuite (Yolande Moreau et Michel Vuillermoz, parfaits), l’air soudain juvénile parce qu’ébahie par ce voyage dans le temps, on se dit que c’est gagné. Ça fonctionne. Autant Coppola choisissait des acteurs soit entre deux âges, soit jeunes mais qu’il vieillissait avec un ridicule assumé, autant Lvovsky ose d’une manière bien plus radicale et euphorisante. Belle idée, également, que de conserver inchangés les interprètes des quelques personnes qui sont déterminantes dans la vie de Camille : les trois fidèles amies de lycée (Judith Chemla, India Hair et Julia Faure), le prof de physique qui l’aidera (Denis Podalydès), l’horloger qui est peut-être à l’origine de tout (Léaud) et bien sûr le Grand Amour. Comme pour dire que ce sont avec eux qu’inévitablement tout devra se jouer si Camille veut tenter d’infléchir son destin afin qu’il lui évite, la quarantaine arrivée, la dépression dans laquelle elle sombrait tout à fait en début de film.
Les premiers temps du retour à cet âge pas si ingrat, que la cinéaste peint plein de couleurs et de musiques, sont euphorisants. Autant par son jeu d’actrice que par son sens du rythme dans la mise en scène et le montage, Lvovsky nous fait partager son émerveillement initial : plaisir de retrouver les idoles de jeunesse placardées aux murs de sa chambre, joie de pédaler vers le lycée avec « 99 Luftballons » de Nena sur son walkman, euphorie de tenir tête à nouveau à un professeur et même amusement insoupçonné de se faire coller par la CPE. En raconteuse d’histoires consciencieuse, elle rejoint progressivement mais sûrement, au milieu de ces fantaisies délicieuses, le fil conducteur qu’est la relation avec Eric. Elle met le doigt, à tous les niveaux, sur le trivial comme terreau du décisif, des sentiments profonds. Un premier baiser, forcément inoubliable, ne tient après tout qu’à un pseudo-défit bien lourdaud ! Elle parvient également à rendre parfaitement intelligible et émotionnellement fort le fait que Camille soit à la fois « dedans » et « dehors », actrice et spectatrice de cette vie d’ado, avec l’expérience de ses quarante ans bien passés. Spontanément ravie par un mot d’amour d’Eric comme elle l’aurait été à seize ans, son regard s’assombrit bien vite : non, cela ne marchera pas, la quadra en elle le sait déjà. Camille redouble est donc peut-être fort de la sensibilité toute féminine de son auteur, là où Retour vers le Futur de Robert Zemeckis (1985) ou Peggy Sue s’est mariée, films d’hommes, étaient un peu moins dans les sentiments et davantage dans l’action. Lvovsky sait donner corps à cet âge auquel elle dit qu’on a « un peu tous les âges à la fois, la maturité d’un vieillard et la candeur ou l’innocence d’un petit enfant ».
Dommage qu’en raconteuse d’histoire trop consciencieuse, elle juge utile d’expliciter constamment les questionnements que son histoire était largement à même de susciter d’elle-même chez le spectateur. Dans des moments subitement très illustratifs, on « sort » du film, attentif non plus à ce qui s’y joue mais à telle musique que la réalisatrice a retenue pour accompagner la scène tout en rappelant le thème : « One day baby we’ll be old, and think of all the stories that we could have told » chante ainsi Asaf Avidan, récemment remis au goût du jour par le DJ allemand Wankelmut. Pesant. Le lyrisme des dialogues de Lvovsky, qui avait pu faire la beauté de ses Sentiments (2003) n’évite pas toujours de sombrer dans l’excès voire dans le ridicule (la dernière scène, notamment, sonne faux, et l’on regrette bien de conserver cette dernière impression). La drôlerie des dialogues ne parvient pas toujours à en contrebalancer le sérieux soudain et maladroit, de même que le personnage de Jean-Pierre Léaud a moins l’air joliment fantaisiste que carrément lourdingue lorsqu’il débite ses théories sur le temps vécu et le temps universel, sur le temps comme éternelle histoire de décalage. On préfère nettement ces petits bouts de drame, pudiques et beaux, que nous livre çà et là la cinéaste : les yeux soudain tristes de Camille après qu’elle a su conserver une ironie mordante en mettant son ex à la porte ; le rire mêlé de larmes d’une amie de lycée qui apprend sans trop y croire qu’elle va devenir bientôt aveugle, alors que nous en sommes déjà surs, nous ; l’attente longue de plusieurs décennies qui a creusé de rides le visage du prof joué par Denis Podalydès. Ou surtout ce choix de ce qui traversera le temps avec le plus d’intensité pour l’héroïne : une photographie volée, le portrait d’une fille qui n’existe pour l’instant qu’au futur antérieur, le son d’une douce voix maternelle captée dans un moment absurde, une chanson de Barbara qu’on se choisit à deux. Préservant pour l’avenir le film de son passé ou préparant dans le passé celui de son avenir, Camille se fait ainsi story-boardeur, perchman, compositrice. Le personnage, dans ses attentions, ne fait alors plus qu’un avec la réalisatrice qui choisit les éléments qui vont charrier l’émotion. Un choix de cinéaste en somme.
Réalisation : Noémie Lvovsky
Scénario : Noémie Lvovsky, Maud Ameline, Pierre-Olivier Mattei et Florence Seyvos
Production : Jean-Louis Livi et Philippe Carcassonne
Bande originale : Gaëtan Roussel
Photographie : Jean-Marc Fabre
Montage : Annette Dutertre
Origine : France
Date de sortie : 12 septembre 2012
NOTE : 3/6