Quel était l’objectif de John McTiernan lorsqu’il se lança dans l’aventure Rollerball ? Une chose est sûre, il ne voulait probablement pas concevoir l’opus fatal de sa carrière. Le réalisateur de Piège De Cristal ne va pas juste laisser quelques plumes dans cette affaire mais carrément se faire mettre au rancart pour un petit moment. En effet, McTiernan se fera plus ou moins griller dans l’industrie cinématographique. Suite aux inévitables problèmes issus des projection-tests, le studio exige qu’il revoie sa copie. Il refusera catégoriquement et se retrouvera expulsé sans ménagement. En soit, l’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais McTiernan ira jusqu’à engager un détective privé pour espionner le producteur. Une écoute illégale plus tard, McTiernan est traîné devant les tribunaux. S’il évitera la prison, la situation suffit pour le discréditer. Aucun studio n’ayant envie d’engager quelqu’un d’aussi incontrôlable, McTiernan va alors traverser une longue période de chômage. Le constat est d’autant plus impardonnable que cette démarche ne permit pas d’accoucher d’un film considéré comme bon. Ça sera même un désastre commercial. Relayé par un accueil critique catastrophique, le public boudera le film qui ne récupèrera même pas la moitié de sa mise. Au-delà des maltraitances artistiques commises envers le film avec ces remontages et retournages, c’est définitivement sur ce rejet public que se situe le plus grand drame de Rollerball.
En remakant le film de Norman Jewison, McTiernan cherche à réaliser un film entretenant un lien complice et intime avec le spectateur. Après l’expérience désenchantée du 13ème Guerrier (l’autre grand film dont il a perdu le contrôle), on peut soupçonner que le metteur en scène avait besoin de retrouver de toute urgence cette connexion. Celle-ci se trouvait déjà dans Thomas Crown, époustouflant exercice fait de tours de passe-passe aussi subtils que savoureux. Mais Rollerball veut atteindre un niveau plus viscéral. S’il fallait rapprocher Rollerball d’un autre titre de la filmographie de McTiernan, ça serait probablement Last Action Hero. Pour rappel, ce dernier relatait l’histoire d’un enfant, fan de cinéma d’action, qui va plonger de l’autre côté de l’écran. Il se retrouve ainsi au cœur d’un univers fonctionnant entièrement selon les préceptes du cinéma hollywoodien. Le film chargeait forcément la Mecque du cinéma avec un certain esprit d’autodérision (la seule utilisation du double rôle d’Arnold Schwarzenegger). Toutefois, le propos du film est plus profond. En reprenant tous les codes du cinéma d’action lambda, McTiernan force le spectateur à y faire face avec du recul et à comprendre la stupidité de cette soupe qu’on lui sert. L’un des passages les plus représentatifs reste en ce sens la séquence d’Hamlet. Un professeur propose à sa classe de voir un extrait d’une adaptation par Laurence Olivier. Elle l’introduit comme le tout premier héros d’action. La projection est accueillie par des éclats de rires qui résument bien l’ambiance. Lorsqu’on se concentre sur le point de vue du héros, on attend un autre type de réaction. A l’écran, Hamlet est entrain de s’approcher de son oncle en brandissant une épée. Il s’apprête à donner le coup de grâce lorsqu’il arrête son geste et commence à questionner la portée de l’acte. Le héros nous fait alors part de sa frustration en hurlant « tais toi et tue le ! » avant d’imaginer ce que serait le film avec le colosse autrichien dans le rôle principal et pas cette lopette d’Olivier. McTiernan lance là un signal d’alarme à son spectateur. Il lui rappelle que le cinéma d’action ne peut se constituer que d’explosions et de fusillades mais que celles-ci doivent être l’expression des enjeux et de la motivation du héros.
McTiernan tente la même chose avec Rollerball. Il veut interloquer le regard du public, le pousser à interroger ce qu’il voit en le déstabilisant (quitte à ce qu’il se sente insulté). Grossièrement, on pourrait résumer la démarche par l’image du cinéaste chopant son spectateur par le col de la chemise et lui collant quelques baffes tout en lui demandant si ça lui fait plaisir. McTiernan bouscule le spectateur pour finalement en faire son allié. Malheureusement, McTiernan a fait une erreur et celle-ci est assez désolante : il a cru que son public serait plus intelligent qu’il n’est. En soit, il aurait dû prendre en considération que justement la démarche entreprise sur Last Action Hero n’a pas vraiment touché sa cible. Film culte dans nos contrées, le film a provoqué de tristes réactions outre-Atlantique (une pluie de nominations aux razzie awards quand même) et ne bénéficie toujours pas d’une reconnaissance à sa mesure (voir le piètre cinq sur dix ornant sa page imdb). Consciemment ou inconsciemment, le spectateur refuse qu’on remette en cause ses acquis et rejette tout processus de révélation. En conséquence, il s’arrête à une vision premier degré et déversera sa haine envers le long-métrage sans forcément comprendre que c’était justement là que le film voulait l’emmener. Car comme le rappelle Stéphane Moïssakis, Rollerball n’est pas un film qui veut se faire aimer.
A l’inverse du film original, McTiernan ne s’oriente pas vers le questionnement politique soulevé par le sujet. Celle-ci est présente, ne serait-ce que par le choix de situer l’action en Asie centrale et la motivation du bad guy (l’accès aux médias américains), mais c’est la notion de spectacle qui fascine avant tout McTiernan. Chez Jewison, le rollerball était un moyen pour offrir des sensations fortes à une population sous le joug d’une société corporatiste aseptisée. Le film suivait la trajectoire d’un capitaine d’équipe dont la popularité croissante menaçait de prendre le pas sur la fonction du jeu. Sa réussite risque de ré-enseigner au peuple la réalisation de soi. Cette notion n’intervient pas chez McTiernan. Cela passe par le fait que le rollerball n’est plus tant un sport qu’un pur divertissement. La simplicité des règles du jeu de 1975 permettait la mise en place d’un accomplissement sportif. Les règles de 2001 ont été complexifiées dans le seul but de réduire à néant cette possibilité. Chez Jewison, il s’agissait juste de récupérer la balle et de la lancer dans le but adverse. Chez McTiernan, il faut désormais faire tout un tas de trajet sur le terrain avant d’avoir l’opportunité de tenter un lancer. Une complexification qui n’a d’autre but que d’obliger les joueurs/acteurs à faire quelques fanfaronnades plaisantes pour le public. Il ne s’agit définitivement plus de voir des personnes se dépasser par la pratique d’un sport mais l’exécution de la promesse d’un enchaînement de cascades spectaculaires. Cet aspect de compilation sans queue ni tête devrait déjà permettre de faire comprendre la vacuité du spectacle proposé. Celle-ci se prolonge dans l’exploitation de la notion de tricherie. La manipulation du jeu par son organisateur ressemble en effet à des mauvais scénarios écris à l’arraché. Prenons la première tricherie. La lanière du casque d’un joueur a été coupée afin que celui-ci tombe en cours de match. Cela laisse le joueur exposé au danger et il se fera rapidement étaler. Son équipe, contrariée par cet évènement, décide alors de se lâcher contre son adversaire en lui faisant mordre la poussière. Par un petit truchement, l’organisateur a mis en place tout un processus de vengeance qui ravira le public quand bien même celui-ci est puéril. Tout est du même acabit par la création d’évènements sensationnels artificiels dont les fondements sont au mieux ridicules.
L’organisateur et ses subalternes se définissent eux-mêmes comme étant au-dessus de l’humanité. Derrière cette prétention, ils affirment le refoulement de leurs émotions et embrassent une conception mécanique de la manière de les faire naître. Ainsi, ils croient sincèrement que les quelques actions qu’ils créent, aussi superficielles soient-elles, fonctionnent auprès du public. De cette manière, ils pensent ravir le public en lui offrant en grand final un match sans pénalité permettant la débauche de violence la plus totale. Face à de tels débordements gratuits, le public ne pourra que sentir un malaise et finira par comprendre à quel point on le manipule bêtement. Nul doute que c’est au même stade de raisonnement que McTiernan voulait amener sa propre audience. Dans cette démarche, il choisit de se fondre entièrement dans la forme de son sujet. L’esthétisme est une débauche outrancière de clinquant avec effets pyrotechniques, belles plantes dandinant leurs culs et costumes granguignolesques. Empruntant l’esprit frondeur et survitaminé du génial L’Enfer Du Dimanche d’Oliver Stone, McTiernan construit une véritable mise en abyme en juxtaposant le sentiment de divertissement procuré par le film avec celui du rollerball. Son film prend des aspects aussi putassiers et racoleurs que le jeu qu’elle critique pour induire à son spectateur que cette arnaque n’est guère différente de ce qu’on étale tous les jours sur ses écrans et qu’il accepte sans broncher. Toutefois, McTiernan a l’ambition de faire passer l’intégralité du propos par l’image. En conséquence, il n’explicite jamais clairement sa démarche et laisse parler sa mise en scène (comment ne pas voir que l’absence d’enjeux narratifs est purement et simplement due à la vacuité des matchs ?). Il faut juste pour cela que le spectateur remplisse son seul et unique devoir : assimiler et comprendre les images qu’on lui soumet. En ce sens, certains passages expriment clairement le principe d’exploitation. La plus emblématique reste probablement la séquence infrarouge. Plutôt que d’utiliser un trucage dans la photographie pour rendre lisible sa scène de poursuite nocturne, McTiernan décide de tout tourner dans l’obscurité en utilisant cette fonction de la caméra. Il s’agit là de nous faire prendre pleinement conscience du dispositif de mise en scène. Normalement, nous ne sommes pas censés pouvoir voir cette séquence. C’est parce qu’on prend soin de nous offrir la séquence d’action attendue qu’un tel dispositif est utilisé. On nous donne ce que l’on veut voir, un spectacle dynamique et agressif mais celui-ci est dénué d’émotion.
Là intervient l’incompréhension des producteurs. Une des grandes modifications apportées au montage de McTiernan provient du premier acte. Celui-ci devait intégralement se dérouler par les yeux du commentateur, seul personnage s’exprimant alors en anglais. Un point d’ancrage pour le spectateur clairement déstabilisant par la distance qu’il installe avec les personnages principaux et la nature du personnage (un gros beauf beuglant avec dépit les notes débiles qu’on lui sert). Le film distribué s’ouvre désormais sur une course de luge dans les rues de San Francisco introduisant directement les héros. Cet ajout sert clairement à humaniser les personnages et à créer un tantinet d’empathie. Or il s’agit là d’une méprise complète. Dans le processus critique, les personnages se devaient de rester basiques et archétypaux. Ce sont juste des pions qui ne peuvent en aucun cas être caractérisés par des motivations mais uniquement par l’image qu’ils renvoient. Toute la fin se construit sur cette idée. On se fout que le héros foute la pâtée au méchant parce que celui-ci l’a exploité et a tué son pote. Son accomplissement personnel est surfait et n’a pas d’intérêt. C’est ce que l’image a traduit de son action qui importe. En l’occurrence, tout est résumé par la dernière réplique de l’héroïne : « tu as affronté un des monstres qui les oppressait… et ils t’ont vu le faire ». Par l’image, le héros (arborant durant tous les matchs un T-shirt représentant un symbole même de liberté) devient une figure quasi-messianique motivant le peuple à se rebeller.
En se fourvoyant dans une démarche d’humanisation des personnages (les dernières secondes de cette conclusion ressemblent d’ailleurs à un mauvais ajout de dernière minute), le studio ruine le film et ne fait que rendre plus instable un cocktail déjà bien explosif. Avouons que McTiernan a pris un grand risque en construisant un film remettant en cause le spectateur sans lui offrir de mode d’emploi clair. Une telle démarche demandait clairement un savant dosage des images et toutes interférences ne risquaient que de l’atténuer. En l’état, les images demeurent ce qu’elles sont et leurs puissances sont là pour nous faire ressentir ce que devait être le film initial.
Réalisation : John McTiernan
Scénario : Larry Ferguson et John Pogue
Production : Metro Goldwyn Mayer
Bande originale : Eric Serra
Photographie : Steve Mason
Origine : USA
Titre original : Rollerball
Année de production : 2002
3 Comments
Pas vu ce Rollerball. C'était juste pour réagir là-dessus : "Alors que se profile à l’horizon le blu-ray du Treizième Guerrier nous promettant d’apprendre enfin ce que contenait le montage original".
Sauf erreur de ma part, il n'existe qu'un seul montage de ce film. Et aucun director's cut à l'horizon. McTiernan l’a dit l’année dernière à Gerardmer, il n’a aucune intention de remonter ce film. Et même s’il changeait d’avis, il n’a actuellement aucun pouvoir décisionnaire à Hollywood pour que cela puisse arriver.
Ça t'apprendra à ne pas lire certains papiers, mécréant : http://www.courte-focale.fr/cinema/livres/les-man…
Sinon, hop : http://www.forgottensilver.net/2011/09/20/le-13em…
Voilà :)
Je ne lirai toujours pas votre papier sur les Mangeurs de Morts, vil gredin. Et oui, si tu veux mettre l'accent sur le documentaire inédit, j'en avais entendu parler. Seulement McT n'étant pas fan de l'exercice et son interview datant de peu après la sortie du film, je doute que les révélations fusent. Enfin on verra… Quoi qu'il en soit, c'est toujours cette version cinéma que le réal renie qu'on se tapera !