Découvrir des films via la télévision devient aujourd’hui un exercice de plus en plus périlleux pour le cinéphile. Il s’agit bien sûr là d’une rengaine récurrente de la part d’une audience favorisant plus volontiers le grand écran à la petite lucarne. Quand bien même cette dernière reste le moyen le plus direct d’accéder à une cinématographie plus ou moins variée, il faut pourtant reconnaître que la télévision n’a jamais vraiment volé sa triste réputation et que la tendance s’est largement accentuée ces dernières années. Le choix d’imposer la VF sur la quasi-intégralité des films diffusés est certes un souci ancestral auquel s’ajoute la tendance à pratiquer systématiquement des recadrages éhontées et le sabrage régulier des génériques de fin. C’est ce dernier point qui nous enquiquine particulièrement aujourd’hui. Sous le prétexte que l’enchaînement du nom des participants au film qu’ils viennent de voir n’intéresse pas les téléspectateurs, les chaînes de télé ont pris l’habitude de les passer en accéléré, voir à littéralement les supprimer de la diffusion. Ses précieuses minutes coupées au profit des annonceurs rendent ainsi au mieux illisibles le nom de participants et au pire invisibles. Le cinéphile dans tous ça n’est alors plus que dans l’ignorance pour savoir à qui il doit attribuer les qualités du film et ne peut même plus laisser son inconscient s’imprégner de certains noms. Heureusement que cela n’a pas toujours été le cas. Ainsi, même si vous ne savez probablement pas qui il est, vous avez très probablement déjà croisé le nom de Walter Murch.
Pourtant, Murch n’exerce pas la profession cinématographique qui retient le plus l’attention. Le bonhomme s’est en effet avant tout distinguer en tant que monteur et en travaillant dans le domaine du sound design. Deux domaines techniques globalement assez négligés dans lesquels il est toutefois considéré comme un génie. Pourquoi alors devrait-on connaître son nom ? Peut-être parce qu’il apparaît régulièrement sur quelques purs chefs d’œuvre du septième art. Murch est ainsi un collaborateur de longue date de Francis Ford Coppola. On le retrouve au générique d’Apocalypse now, de Conversation secrète ou encore du Parrain 2. Sa collaboration avec Coppola s’étendra même jusqu’à ses derniers opus, les excellents Tetro et L’homme sans âge. Il travailla logiquement dans les années 70 avec le protégé de Coppola, George Lucas. Il sera même co-scénariste de son premier long-métrage de Lucas, THX 1138. Il s’agit là de sa seule incursion à un poste dit prestigieux avec la réalisation de Return To Oz. Et pour son unique réalisation, il signe un grand film méritant plus qu’une réputation flatteuse mais confidentielle.
Le seul fait qu’un tel film existe et soit produit par Disney tient déjà du miracle. Dans les années 80, le studio fait face à une sérieuse crise financière et tâtonne de nouvelles approches plus adolescentes. Cela donne Le trou noir de Gary Nelson, La foire des ténèbres de Jack Clayton, Le dragon du lac de feu de Matthew Robbins, Tron de Steven Lisberger et donc ce Oz, un monde extraordinaire. Si cette proposition d’une relecture adulte de l’œuvre de Frank Baum n’apparaît pas hors de propos dans cette optique, elle reste néanmoins délicate notamment par rapport à l’attachement du public pour le chef d’œuvre de Victor Fleming. Le producteur Gary Kurtz trouvera une parade en demandant à George Lucas de se porter caution sur les compétences de Murch. Il le fit volontiers (bénéficiant ainsi de sa place dans les remerciements du générique de fin) et Murch pu mener librement sa barque… Ce qu’il fit de main de maître. Il accomplit d’ailleurs tellement bien sa tâche qu’à sa sortie, les jeunes spectateurs furent littéralement traumatisés par ce qu’ils venaient de voir. Les parents scandalisés se chargèrent de faire véhiculer un bouche-à-oreille catastrophique. Un bide de plus pour le Disney des eighties qui se contentera au final de laisser reposer le long-métrage au fond d’un carton comme il le fit avec tant d’autres congénères du même cru. Triste destin pour un divertissement approchant du chef d’œuvre total.
Comme son titre français ne l’indique pas, Return To Oz n’est pas une adaptation stricto sensus du Magicien d’Oz mais une suite au célèbre conte qui voit l’héroïne replongée dans son univers imaginaire (procédé scénaristique qui sera réemployé des années plus tard dans le Hook de Steven Spielberg et le Alice Au Pays Des Merveilles de Tim Burton). Le terme “son” est évidemment fort important puisqu’il faut rappeler qu’Oz peut généralement se percevoir comme l’extension de la psyché de l’héroïne. Celle-ci a donc beau être revenu au Kansas, elle reste toujours repliée sur ce monde imaginaire. Murch illustrera cette idée dans le plan d’ouverture où Dorothy scrute le ciel à travers la fenêtre grâce à son reflet dans le miroir. Par là, elle affirme sa préférence envers l’abstraction plutôt que le réel. Forcément, les parents de la petite voit d’un mauvais œil cette fuite de la réalité et la conduise vers un docteur qui promet de la guérir grâce à sa machine électrique. C’est là que les parents commencent généralement à porter leurs enfants en pleurs jusqu’à la sortie de secours.
Pour l’esprit d’un jeune bambin, il faut effectivement avouer que l’expérience ne sera pas sans accroc. Le pauvre sera probablement mis à mal rien que par l’exploration de l’institution. Quittant les grandes plaines ouvertes auquel elle était habituée, Dorothy se retrouve confronté à un monde scientifique doté d’une pensée étriquée (les couloirs de l’institution sont extrêmement étroits) et sans aucune tendresse (les chambres sont vides et impersonnelles). Inutile de préciser qu’elle va rapidement vouloir s’extirper de cet environnement pour rejoindre le monde extraordinaire d’Oz. Malheureusement, cette pression du monde réel pour clore les portes du monde imaginaire (la clé que récupérera Dorothy et qui lui permettra de débuter sa quête est marquée d’un O et d’un Z mélangé formant un sigle d’interdiction) ne sera pas sans effet sur Oz. En revenant à Oz, notre gamine découvre une cité en ruine où la plupart de ses anciens compagnons de route ont été transformés en statue. L’imaginaire s’est figé et commence à s’effriter. La magie semble s’être perdue en chemin. Le Oz de Murch n’a effet rien à voir avec le Oz de Fleming. Les formidables décors en carton-pâte sublimés par un enchantant technicolor cèdent la place à des environnements naturels plus crus. Ainsi, ça n’est plus par l’image rocambolesque de sa maison emportée par une tornade que l’héroïne arrivera à Oz. A la place, elle se fera chahuter par les eaux déchaînées d’une rivière sous une pluie battante. Oz flirte donc avec la désillusion au fur et à mesure que se dévoile un univers désormais plus agressif esthétiquement. Un autre point qui a dû faire fondre en larme les gamins. Car ceux qui croyaient qu’après cette première partie aucunement merveilleuse, la féerie prendrait le dessus à l’arrivée dans Oz en auront pour leurs frais. Murch et son scénariste Gill Dennis font clairement d’Oz le prolongement fantasy du monde réel.
Les éléments les plus terrifiants de l’acte introductif sont ainsi repris et carrément amplifiés par cette transfiguration de l’imaginaire. Le brancard sur lequel a été attaché l’héroïne devient des roulettes, inquiétantes créatures sur roues jouées par des acteurs en flagrant délit de cabotinage (l’une des rares fautes de goût du film). La scène où une infirmière traîne Dorothy jusqu’à sa chambre est reproduite à l’identique lorsqu’une reine (interprété par la même actrice) l’emprisonne en attendant que sa tête soit assez mûre pour qu’elle l’a prenne. Le pire (ou le meilleur) sera le docteur qui se retrouve promu roi des nomes, grand méchant volant la magie de Dorothy (c’est lui récupèrera les souliers de rubis perdus) pour mieux la détruire en se persuadant que ça le rend humain. Face à ses concepts, on se demande facilement comment des trucs pareils ont pu être inventés. Il y a véritablement un côté déglingué dans ce film dévoilant un imaginaire partant dans ses protubérances les plus folles. Le pompon sera atteint lorsque grâce à une poudre de vie, l’héroïne construira une improbable créature à base de plante de verte, d’un canapé et d’une tête de cerf. Il s’agit d’ailleurs là d’une occasion de saluer le travail sur les effets spéciaux qui, outre leurs charmes délicieusement rétro, participent activement à ce côté déglingué. Bien qu’il ne refuse pas l’utilisation de matte painting et de claymotion (technique dérivée de la stop motion), Murch favorise surtout les effets live à base de maquillages, de prothèses et d’animatroniques. Le résultat est d’une étonnante réussite, Murch réussissant à mettre en avant l’imperfection de ses créations tout en ne nous faisant jamais douter de la vie et de l’authenticité des personnages. En soit, c’est son talent dans le montage et le son qui font la différence. Un simple insert donne toute sa force au trucage le plus simple et l’ambiance sonore ajoute également en véracité (les bruits entourant l’épouvantail par exemple nous font véritablement croire qu’il est constitué de bois).
Œuvre d’une grande intelligence et réalisée avec un talent fou, Return To Oz offre un voyage incomparable par-delà le réel et l’imaginaire, le fabuleux et le mélancolique. Le fait que les spectateurs enfants qui ont été impressionnés à sa sortie reviennent aujourd’hui dessus avec bonheur est un signe : il s’agit juste là d’un grand film.
Réalisation : Walter Murch
Scénario : Gill Dennis et Walter Murch
Production : Walt Disney Pictures
Bande originale : David Shire
Photographie : David Watkin
Origine : USA
Titre original : Return To Oz
Année de production : 1985