REALISATION : John Woo
PRODUCTION : Cruise/Wagner Productions, Munich Film Partners & Company, Paramount Pictures
AVEC : Tom Cruise, Thandiwe Newton, Dougray Scott, Richard Roxburgh, Ving Rhames, John Polson, Brendan Gleeson, Rade Šerbedžija, Anthony Hopkins, William Mapother, Dominic Purcell
SCENARIO : Robert Towne
PHOTOGRAPHIE : Jeffrey L. Kimball
MONTAGE : Christian Wagner, Steven Kemper
BANDE ORIGINALE : Hans Zimmer
ORIGINE : Allemagne, Etats-Unis
TITRE ORIGINAL : M:I-2
GENRE : Action, Aventure, Espionnage, Thriller
DATE DE SORTIE : 26 juillet 2000
DUREE : 2h03
BANDE-ANNONCE
Synopsis : L’agent secret Ethan Hunt doit récupérer et détruire un virus mortel, baptisé la Chimère, qui a été dérobé par son ancien collègue Sean Ambrose. Ce dernier détient l’antidote et se terre dans un laboratoire de Sydney. Pour infiltrer son quartier général hautement sécurisé, Hunt et son assistant Luther Stickell tentent d’approcher Nyah Hall, voleuse professionnelle et ex-petite amie d’Ambrose…
Après le vertigineux De Palma-show de Brian, voici la furieuse Woolte-face de John. Sa patte formelle et sophistiquée shoote l’action et la romance comme des danses fiévreuses (et trompeuses) à haut risque.
Encore aujourd’hui, Mission : Impossible 2 passe pour le parent pauvre de la saga supervisée par Tom Cruise et inspirée de la série télévisée éponyme. En vrac : l’opus boursouflé qui jouerait les intrus, celui qui n’arriverait pas à être autre chose que fun, celui qui pousserait un immense cinéaste (John Woo, tout de même !) à revisiter ses fétiches les plus identifiables sur un mode mineur. C’était peut-être vrai il y a une ou deux décennies, mais comme le temps reste le meilleur critique qui soit (on cite là un cinéaste français, devinez lequel…), les choses ont changé. Revoir et réhabiliter l’opus de Woo n’est clairement pas de trop lorsqu’on voit le virage radical opéré par la franchise depuis que Christopher McQuarrie a repris le flambeau. En somme, adieu cette époque bénie où la saga Mission : Impossible pouvait s’imposer en locomotive matricielle du cinéma d’action contemporain, cartographiant avec brio toutes les mutations du genre à travers le style unique de cinéastes prestigieux se relayant à tour de rôle. Désormais, l’heure n’est plus aux tons qui varient et aux cinéastes qui se renouvellent, mais à la soumission aveugle aux diktats du tout-venant franchisé et aux conventions du politiquement correct, comme si la démarche du plus célèbre scientologue d’Hollywood consistait à formater ce qui ne l’était pas au départ et à suivre le troupeau des modes du moment au lieu de s’efforcer d’imposer de nouveaux standards. Que le bonhomme en soit arrivé à photocopier Top Gun, à faire dériver son interprétation de Jack Reacher sur un mode familial à deux balles et à devenir à son tour le pion des univers étendus avec une Momie merdique étaient des signes qui ne trompent pas. Désormais, sa franchise-phare n’est pas épargnée non plus : après un très frustrant Fallout qui partait dans tous les sens pour cause d’écriture au rabais, c’est au tour du futur Dead Reckoning de suivre la mode des films coupés en deux pour des raisons soi-disant tout sauf financières – mais bien sûr, les gars, on vous croit sur parole. Autant se faire plaisir en renouant avec les quatre premiers opus, et en particulier celui-ci qui, à bien des égards, fut un film ô combien déterminant dans la carrière de Tom Cruise.
FROM EUROPE TO ASIA
Si l’on revient quelques instants sur l’opus original signé Brian De Palma, c’est peu dire que le choc cinéphilique qu’il représenta à sa sortie en 1996 fut dévastateur. Pas seulement parce qu’il permettait au génial cinéaste de Blow Out et de L’Impasse de recycler ses thèmes les plus connus (voyeurisme, faux-semblants, trompe-l’œil théorique) dans un terrain géopolitique on ne peut plus adapté. Pas seulement parce que les ficelles d’un script manipulateur à l’extrême lui permettaient de dynamiter et de mettre en abîme le concept de la série – démarrer les festivités par l’échec inaugural de la mission était en soi une invitation à rebâtir l’identité même de la série, à savoir une mission à accomplir par le biais d’une mise en scène sophistiquée. Pas seulement parce que cette approche 2.0 de la science hitchcockienne nous poussait à considérer le personnage de Jim Phelps comme un double déguisé de Brian De Palma – le leader historique de l’équipe se changeait soudain en faiseur d’illusions aux intentions duplices. Mais surtout pour une armada de motifs théoriques prenant un sacré relief a posteriori : ouverture franche sur une Europe post-mur de Berlin, adieu immédiat à l’action urbaine (surtout Die Hard et son héros increvable en marcel), envol du genre vers un zénith inouï d’apesanteur et d’abstraction, profession de foi cérébrale où l’hommage au film d’espionnage faisait jeu égal avec l’ode à la puissance évocatrice du 7ème Art (ses illusions, ses mensonges, ses symboles qui décryptent la vérité). L’accroissement insidieux de la paranoïa, doublé d’un monde d’apparences et de duplicités que le démiurge sadique De Palma mettait un point d’honneur à architecturer, faisait alors le reste du boulot, entièrement bâti sur une ambiguïté tous azimuts, que ce soit par des faux-semblants montés en poupées russes ou par le triple sens d’un dialogue en conflit avec l’image. Tout transpirait une virtuosité inédite pour l’époque et fait encore aujourd’hui autorité sur le reste de la franchise. Une suite était forcément attendue, sinon redoutée. Elle n’aura pas déçu parce qu’elle aura su flairer l’air du temps – pas celui auquel il s’agit de se plier mais celui qui invite à anticiper le futur.
Il faut rappeler que la sortie de Mission : Impossible 2 à l’orée du troisième millénaire coïncidait pile poil avec ce moment-clé d’Hollywood où les codes du film d’action se voyaient tout à coup chamboulés par les artistes et influences en provenance d’Asie, dans une période allant de Volte/Face à Tigre et dragon en passant par le premier Matrix. Logique que Cruise, à peine revenu de la double meilleure expérience de sa carrière (enchaîner coup sur coup Eyes Wide Shut et Magnolia : qui dit mieux ?) ait rameuté fissa John Woo suite au désistement d’Oliver Stone. Nanti d’une aura d’enfer suite au succès critique et public de son furieux ballet identitaire avec John Travolta et Nicolas Cage, le génie formaliste de Hong Kong n’était cela dit pas à l’abri du risque. Investir une franchise déjà si populaire et tenue d’une main de fer par un Cruise aussi acteur que producteur pouvait déjà lui garantir une marge de manœuvre extrêmement limitée, le contraignant à intégrer le moule de la star tout en y apportant sa marque – soit le fameux art du « je vante la rupture sans rien changer » dont nos politicards restent les cadors. D’aucuns auront longtemps gardé en tête que le cinéaste se serait cassé les dents sur une commande vite résumée à une suite de compromis, du genre à y aller mollo sur la violence (lyrique ou tragique) ou à lécher le cul de la censure, au point de donner l’impression qu’un mauvais tâcheron lui aurait volé sa place et son nom en s’efforçant de l’imiter n’importe comment. Fausse impression, aujourd’hui balayée d’un coup de vent encore plus violent que celui qui rend si ondoyant le brushing Pétrole Hahn de Tom Cruise. Entre romance douce et action hard, la griffe du cinéaste laisse d’autant plus de jolies cicatrices que le scénario signé Robert Towne constitue sur bien des aspects un prolongement direct de Volte/Face.
Avouons-le : entendre Woo répéter à longueur d’interviews que les suites et les remakes ne l’intéressent pas fait encore sourire. Rappeler l’existence du Syndicat du crime 2 pèse moins lourd que la virtuosité du cinéaste à redécliner ses motifs et ses obsessions dans des genres différents qui en accueillent positivement la greffe – ce que Windtalkers et Paycheck auront démontré chacun à leur façon. C’est désormais un acquis : même coulé dans un moule (hollywoodien ou autre), l’œil de Woo suffit à retravailler l’espace et le mouvement sous un angle inédit. Sans doute est-ce là ce que Tom Cruise recherchait en premier lieu, réclamant du cinéaste qu’il impose son style dans chaque scène du film tout en lui assurant le contrôle décisif de chaque intention de montage. Le risque de sentir Woo motivé à l’idée de singer De Palma était ainsi quasi nul, tant cette suite ne regarde jamais son prédécesseur dans le rétroviseur – seule la présence de Tom Cruise et de Ving Rhames au casting tend à entretenir un effet de continuité. Et si certains persistent à râler sous prétexte de label PG-13 qui biffe toute démesure sanglante, on rappellera que le style de Woo est moins affaire d’ultra-violence que de flamboyance, fusse-t-elle baroque ou opératique. Le cinéaste ayant toujours clamé haut et fort son désir de réaliser un vrai film romantique où l’élégance prendrait le relais (voire la place) de la fureur, il n’est pas étonnant qu’une mission impossible de cet acabit – transcender une intrigue de triangle amoureux qui positionne une femme fatale entre un héros et son double maléfique – ait pu l’emballer et le stimuler à ce point. Les traces de son enthousiasme continuent en tout cas d’imprimer la pellicule. Car la nature de cette dernière ne trompe ici personne : elle est enflammée, dans tous les sens du terme.
WOO’S ON FIRE
Comme pour bon nombre de blockbusters, le point sensible du relatif désaveu qui continue d’entourer Mission : Impossible 2 reste son scénario. Qu’on le juge linéaire et archétypal n’est pas faux mais pas péjoratif pour autant. Prendre des archétypes pour les solidifier, tirer profit de la linéarité d’un scénario pour poser les bases d’un précis d’action pure, faire appel à sa passion pour l’esprit chevaleresque afin de revisiter le combat du Bien et du Mal, témoigner de ses idéaux les plus humanistes via l’utilisation des contextes les plus violents en guise de contraste… Rien de tout cela n’a de secret pour John Woo. Ses films les plus marquants – ceux que tant de cinéphages se sont repassés en VHS jusqu’à faire rendre l’âme de leur magnétoscope – reposent là-dessus et témoignent encore aujourd’hui de cette constance. Et si le film paraît faire son beurre d’angoisses toujours très actuelles (osez prétendre qu’une épidémie virale sur fond de capitalisme sans foi ni loi n’aurait rien d’effrayant à notre époque plus complotiste tu meurs…), mieux vaut ne pas y voir le cahier des charges d’un cinéaste plus ou moins désireux de réaliser son néo-007 maison. Premier point : cette histoire de virus mortel drivée par l’avidité ne fait ici qu’honorer le principe hitchcockien du MacGuffin (en somme, l’intérêt est ailleurs). Second point : de Séville jusqu’à Sydney en passant par les montagnes de l’Utah, le scénario cherche moins à surprendre qu’à foncer tête baissée, telle une balle de revolver qui filerait droit jusqu’à son objectif, avec comme seul objectif de garder intacte la célérité de sa trajectoire jusqu’au point d’impact final – forcément le plus maximal. Un principe très « wooien » dans l’âme, et qui, pour l’occasion, s’incarne au travers de détails que l’œil et l’esprit, au départ trop focalisés sur une intrigue-prétexte qui fait figure de savant écran de fumée, peuvent ne pas repérer dès la première vision.
Si l’on s’en tient à cette intrigue de thriller bactériologique, la symbolique choisie par le scénariste Robert Towne va jusqu’à intégrer la mythologie grecque dans sa propre diégèse : ici, on nomme un virus « Chimère » et son antidote « Bellérophon », ce qui devrait suffire à donner clés en main des grilles de lecture aux flemmards. Sauf qu’ici, le sens est clarifié et explicité en deux secondes, comme pour couper net à toute dimension théorique – la rupture avec la logique de l’opus signé Brian De Palma est ainsi actée. Ainsi donc, il suffit ici au personnage d’Ethan Hunt d’évoquer en deux phrases le combat du prince grec Bellérophon contre la Chimère, non pas pour amorcer un vertige symbolique qui irait crescendo mais juste pour passer fissa à autre chose – il n’y a plus qu’à aller de l’avant vu que c’est aussi simple que ça. Pas un gramme de prise de tête chez Woo, c’est au contraire droit devant que la tête est destinée à foncer. Même chose lorsque les deux braquages spectaculaires au cœur de la mission sont édictés à la manière d’un heist-movie : d’abord détruire un virus dans un immeuble high-tech, ensuite voler l’antivirus lors d’une réunion secrète dans un bunker ultra-sécurisé. Dans les deux cas, le principe demeure le même : toujours un découpage fluide et parfaitement lisible qui parallélise une anticipation (celle de l’action à effectuer) à une autre (celle de la façon dont l’adversaire va à coup sûr effectuer cette même action) sans jamais chercher à encombrer chaque détail de l’action d’un surplus théorique. En soi, c’est comme un effet de miroir intégré en creux du récit et redisposé en motif récurrent tout au long d’une narration qui file tout droit, très vite, trop grisée par sa quête d’adrénaline et d’efficacité pour prendre le temps de théoriser ce qui s’installe. L’entrisme de Woo est à chercher là, dans cette quête de la ligne claire, de la route droite, du raisonnement de chaque action en termes de vitesse et d’exécution. Mine de rien, Mission : Impossible 2 ouvrait au début des années 2000 une ère « pure » pour le cinéma d’action moderne : celle d’un temps présent on fire, d’une action-sensation spontanée et shootée en direct sans aucune distanciation théorique. L’épisode suivant, réalisé cinq ans plus tard par J.J. Abrams, allait très clairement enfoncer le clou avec un brio quasi identique.
Sur cette ligne claire à toute épreuve, le film greffe trop de visions mémorables et de motifs iconiques pour ne pas laisser une trace durable dans l’esprit. Les défis que s’est ici lancé John Woo ont là encore beaucoup à voir avec la dimension explosive de l’action, et une fois de plus, il suffit de se baisser pour ramasser les preuves. Le pré-générique frappe déjà très fort en la matière : d’abord un piratage d’avion en plein vol, ensuite une varappe vertigineuse sur fond de Zap Mama où Tom Cruise signe le premier money shot suicidaire de sa (très) longue collection, enfin une relecture high-tech de l’autodestruction du fameux message (finie la bande magnétique qui fume, place à la paire de lunettes de sport qui explose plein cadre !). La suite ne démérite pas. Si une poignée de gunfights virtuoses et les deux braquages que l’on évoquait plus haut se taillent une part conséquente au sein du découpage, rien n’est ici plus jouissif que de sentir John Woo profiter de chaque scène un tant soit peu agitée pour réinventer à loisir la figure du duel. Des exemples ? Mettez deux cabriolets qui se frôlent (et qui se rentrent parfois dedans) sur une route de montagne, et vous avez une scène de flirt détourné, laquelle s’achève d’ailleurs par une tendre étreinte au bord du vide. Laissez deux motos furieuses se courser l’une l’autre avant de se défier face-à-face (bel effet de lignes de force géométriques), le tout avec assez de vrombissements et de hard-rock (merci Metallica et Limp Bizkit !) pour faire imploser votre installation home-cinéma, et le résultat frise autant le pur concours de bites que la redéclinaison du climax d’Une Balle dans la tête sous forme de corrida mécanique. Lâchez enfin un combat mano à mano sur le sable d’une plage, en prenant soin d’en rythmer toute la brutalité par le fracas ralenti des vagues sur le récif à l’entour, et c’est comme si Woo avait enfin trouvé autre chose que ses précieuses colombes pour incarner ce lien de pureté entre les éléments (la terre et le feu d’un côté, le ciel et la mer de l’autre). Sa marque de fabrique n’a de toute façon plus rien d’un secret cinéphile, et ce depuis trop longtemps. Chez lui, l’archétype devient mythe, l’action est une danse, l’espace redessine un ballet de mort, la violence se transmute en art lyrique, le ralenti sublime l’impact, le mélo fait jeu égal avec le polar, le flingue ne cache rien du cœur, le signe de pureté se réincarne au sein du chaos.
On parlait du feu, et c’est peu dire qu’il est ici omniprésent. Concret ou symbolique au détour de simples gestes ou événements (un objet qui se désintègre en vol, une bougie que l’on éteint de la paume de la main, une fête rituelle en pleine rue…), mais surtout propagé par une myriade de choix photographiques et de décors, lesquels ne font qu’amplifier les couleurs de la chaleur et de la passion. De quoi donner au feu des scènes d’action un relief supplémentaire, c’est évident, mais surtout un choix qui entérine l’envie de John Woo de quêter à tout prix le romantisme, celui-là même dont la couleur se rapproche le plus de cette de la violence dont il a toujours été le peintre. L’une des premières séquences du film, située dans une soirée à Séville, mérite que l’on s’y attarde. Sans aucune propension au dépliant touristique, Woo y capture surtout l’impact à la fois romantique et plastique du flamenco, l’isolant dans un magnifique ralenti le temps d’un simple jeu de regards ou assimilant carrément le bruit des claquettes à des battements de cœur calés sur la rythmique d’un braquage (cette scène de danse est aussi une scène de vol). On le sait grand fan de Jacques Demy, et pour le coup, Woo réussit enfin à circonscrire un coup de foudre au travers d’un ballet à la dynamique variable. Entre flammes et flamenco, entre la pesanteur virile des bolides et l’apesanteur graphique de la danse, tout Mission : Impossible 2 est affaire de rythme et de sensualité, le tout fluidifié par un découpage hors pair et une caméra qui confère à l’ensemble des formes très clairement féminines. Rien qu’avec ça, cette hypothèse bidon selon laquelle la paire Woo/Cruise loucherait sur les terres de James Bond ou viserait à en remâcher bêtement les codes stylistiques s’autodétruit en moins de cinq secondes. A cela s’ajoute aussi la relecture du conte, via cette « princesse » qui pénètre consciemment (et par amour) dans la tanière d’un « ogre » – Woo ose d’ailleurs un effet de ralenti sur une écharpe (envolée puis rattrapée) qui se passe de commentaires. Quant à ces colombes si chères au cœur d’un cinéaste que l’on sait chrétien, leur usage s’en retrouve ici détourné à des fins ironiques : en surgissant lors d’un face-à-face interposé entre le héros et le vilain, ce n’est en soi qu’une façon de préfigurer la raclée que le premier va bientôt infliger au second. Basique ? Oui, peut-être, mais cela s’accorde néanmoins avec la dialectique du combat entre le Bien et le Mal tel que l’affectionne John Woo.
Profitons-en aussi pour creuser ce lien thématique avec Volte/Face que l’on évoquait plus haut. Si le trouble de l’identité et les histoires de rivalité sur fond d’amitié trahie ont toujours été au cœur de la filmo de Woo, l’univers de la série Mission : Impossible, inondé de faux-semblants, de jeux de masques et d’usurpations d’identité en tous genres, l’invite non pas à se répéter mais à élargir la force de frappe orientée « auteur » qui le caractérise clairement. De quoi nous induire à rentrer pour le coup dans une lecture théorique que le film et son montage effréné ne cherchent ni à imposer ni à expliciter (on insiste encore très fort là-dessus !), mais qui se révèle des plus passionnantes pour l’exégèse averti. Mission : Impossible 2 ne fait pas qu’orchestrer le combat entre un héros et son ennemi, il met d’entrée en exergue, par le biais d’une réplique introductive en off, le besoin pour l’un de se définir au travers de l’autre, comme si ces deux entités, plus consubstantielles qu’elles n’en ont l’air, étaient destinées à s’échanger leurs attributs pour parfaire et clarifier leur propre dualité. Au fond, Ethan Hunt et son ennemi Sean Ambrose (Dougray Scott) passent ici pour les deux faces d’une même pièce dans un jeu où tout n’est que confusion – chaque scène entretient le doute sur le « masque qui cache le visage ». Que l’enjeu central de cette mascarade duelliste se résume très rapidement à une femme, en l’occurrence la voleuse féline Nyah Hall (Thandiwe Newton), aide à mettre les points sur les i. Le cadre est défini : une femme courageuse et indépendante qui renonce au double rôle de l’arbitre et de l’appât au profit de celui du chien fou (Nyah utilise ici son corps comme boîte de Petri en s’injectant elle-même le virus), sur fond d’un combat entre deux formes de virilité, tantôt frimeuses tantôt fiévreuses, qui se jaugent autant par l’affrontement que par la provocation – on relève parfois une pointe de misogynie dans les termes employés.
Et Tom Cruise, alors ? Egal à lui-même (c’est-à-dire parfait), over-sexué dans chaque photogramme, troquant la figure du jeune espion hyper-stressé du premier film pour celle du grand ado avec un sourire Colgate scotché non-stop sur sa tronche de rockeur, et surtout moteur d’une décontraction si cannibale que les seconds rôles qui l’entourent passent pour des satellites sans affect – c’est peu dire que Ving Rhames et John Polson n’ont ici que des miettes à se mettre sous la dent. Encore un point commun entre De Palma et Woo : le premier avait pris tout le monde à contre-pied en décimant d’entrée son équipe d’espions pour laisser les pleins pouvoirs à Cruise, le second aura adopté la même désinvolture vis-à-vis de la série en faisant à peine l’effort de rebâtir cet effet de groupe – il faudra attendre l’opus 4 signé Brad Bird pour repartir sur ce genre de dynamique. De plus, en partant du principe que le personnage d’Ethan Hunt n’est jamais ici en désaveu ou en rébellion vis-à-vis de l’agence qui l’emploie (un cas encore unique dans la saga), Woo dirige moins son acteur qu’il ne le laisse s’auto-éduquer sur ce qui constitue son champ d’action (cascades, mouvements, chorégraphies : un domaine risqué que Cruise ne cessera par la suite d’investir à chaque nouveau projet). Et même si le narcissisme de la star crève souvent le plafond, aucun doute n’existe vis-à-vis de son talent d’acteur comme de ses surprenants efforts à lorgner vers la splendeur figurative des stars asiatiques que John Woo a su iconiser dans le passé, Chow Yun-fat en tête. Un effort surhumain qui en devient cool et naturel : c’est ce standard-là qui fait passer Mission : Impossible 2 pour un tournant décisif dans la carrière de Tom Cruise. Lui et John Woo l’ont d’ailleurs clamé haut et fort à la sortie du film : ils sont moins des stars que des gens normaux qui vivent une vie normale. L’ultime plan du film, qui voit Ethan et Nyah se fondre dans une foule paisible à Sydney, pourrait donc passer pour un effet de signature. Or, inutile de se leurrer : pour quelqu’un de « normal » (d’un côté ou de l’autre de la caméra), réussir à escalader un tel pic de démesure flamboyante, c’est juste mission impossible. Le choc des titans a bel et bien eu lieu.