REALISATION : Robert Rodriguez, Ethan Maniquis
PRODUCTION : Dune Entertainment, Troublemaker Studios, Twentieth Century Fox
AVEC : Danny Trejo, Michelle Rodriguez, Jessica Alba, Robert De Niro, Jeff Fahey, Cheech Marin, Steven Seagal, Lindsay Lohan, Don Johnson, Tom Savini, Shea Whigham, Daryl Sabara
SCENARIO : Robert Rodriguez, Alvano Rodriguez
PHOTOGRAPHIE : Jimmy Lindsey
MONTAGE : Robert Rodriguez, Rebecca Rodriguez
BANDE ORIGINALE : Chingón
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Action, Comédie
DATE DE SORTIE : 1er décembre 2010
DUREE : 1h45
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Laissé pour mort après son affrontement avec le puissant baron de la drogue mexicain Torrez, l’ancien agent fédéral Machete s’est réfugié au Texas, où il cherche à oublier son passé. L’assassinat d’un sénateur et un coup monté font hélas de lui l’homme le plus recherché du pays. Cette fois, Machete est bien décidé à se laver de ces accusations et à dénoncer une corruption rampante et tentaculaire. Mais il va trouver sur sa route bon nombre d’adversaires et d’obstacles…
Il y a deux ans sortait en DVD le documentaire Electric Boogaloo, sorte de pendant délirant et objectif d’un autre docu très malhonnête – car trop hagiographique – nommé The Go-Go Boys et sorti quelques mois plus tôt. D’un côté comme de l’autre, le sujet d’étude était le même : Menahem Golan et Yoram Globus, alias les deux pontes de la firme Cannon. Soit deux opportunistes ayant accompli leur rêve américain en produisant plus de 300 films dans une indépendance totale, mais au prix d’un système de production aussi vicié que vicieux, souvent limité à racheter de nombreuses licences pour capitaliser à moindre frais sur des franchises connues. Il apparait très important de révéler leur tactique, plutôt maline à vrai dire : partir d’un objet prévisionnel élaboré en amont (une idée, une affiche, une bande-annonce, etc…) pour faire frétiller les futurs acheteurs, vendre l’idée au premier venu qui manifeste de l’intérêt, encaisser fissa le chèque afin de tourner le film en quatrième vitesse, et livrer la chose avec un casting quatre étoiles à faire bander n’importe quel cinéphile déviant. Dans un sens, et peut-être aussi parce que son réalisateur fut pendant longtemps le protégé de ces hijos de puta de frères Weinstein (soit les descendants parfaits du tandem Golan/Globus), Machete rejoint plus ou moins bien l’esprit de production de la Cannon. Le point de convergence existe, et il est simple à définir : si ce film a pu voir le jour, c’est parce que sa bande-annonce existait avant même qu’il ne soit tourné. Le point de divergence existe lui aussi, et il est d’abord assez difficile d’y souscrire : ce qui aurait pu n’être qu’une série Z sans mojo se révèle finalement être une série B+ riche en cojones, qui bande fort et qui cache bien son jeu.
ITINERAIRE BIS
Ce n’est pas tant une question d’évolution de point de vue, mais il est certain que la redécouverte du très foiré Planète Terreur a pesé très lourd dans la balance. Calé (recalé ?) en amuse-gueule du segment signé par Robert Rodriguez pour le projet Grindhouse (lui-même supervisé en duo avec l’ami Quentin Tarantino), Machete n’était alors que le désopilant trailer d’une apparente série Z à deux pesos, intégré dans une anthologie du cinoche bis en compagnie d’autres petits extraits de navets sanguinolents et tout aussi fictifs que lui. Sauf que voilà, la bande-annonce ayant eu un succès monstrueux auprès de la frange la plus déviante de la galaxie geek, il n’en fallait pas moins pour que le gringo Rodriguez ait soudain envie de donner chair à cet énième vengeur mexicain – il avouait par ailleurs en avoir eu l’idée sur le tournage de Desperado quinze ans plus tôt. Le doute régnait quand même : quand on voit ce qu’une invasion de morts-vivants avait pu donner entre ses mains (en gros une purée de clichés référentiels et d’idées folles mal canalisées), fallait-il laisser Rodriguez pousser le détournement de nanar au niveau 2, c’est-à-dire en réactualisant un gag de deux minutes à l’échelle d’un long-métrage entier ? Et si oui, allait-on se retrouver contraint de ressortir le vieil adage « Les blagues les plus courtes sont les meilleures » en cas de déception ? Un rapide retour en arrière sur la filmo du cinéaste tex-mex allait être d’une grande aide pour choisir le bon aiguillage.
Moins fin et théorique que son comparse Tarantino, Robert Rodriguez a longtemps eu pour lui deux qualités difficiles à trouver à Hollywood : la modestie et la transparence. Soit un statut d’homme-orchestre embrassant avec joie toutes les composantes créatives d’un long-métrage (réalisation, scénario, montage, musique, photo…), maniant l’indépendance artistique dans son ranch d’Austin avec un sens aigu du low-budget, et carburant à l’énergie pure sans aucune attention portée sur le caractère réflexif d’une œuvre de fiction (ce qu’il revendique). Et ne soyons pas aveugles : si Hollywood a soudain braqué ses projecteurs sur lui au début de sa carrière, c’était juste en raison du stupéfiant rapport coût/rentabilité obtenu par El Mariachi, premier volet d’une trilogie vite complétée par le diptyque Desperado. D’où le reproche que bon nombre de ses détracteurs s’acharnent à entretenir : le type ne serait qu’un énième tâcheron low-cost, capable du meilleur comme du pire, mais qui pour le pire resterait le meilleur. On ne leur donnerait pas tort, ne serait-ce qu’au vu d’une jolie tripotée de produits torchés vite fait mal fait, du bancal The Faculty au méconnu Shorts en passant par la grotesque saga Spy Kids. On aurait même de quoi qualifier Rodriguez de parangon d’opportunisme monté sur burnes au regard de sa transposition (et non pas adaptation !) de Sin City : aussi fun, hardcore et anticonformiste soit-il, le résultat devait ses qualités (un génial récit métaphorique et des cadres flamboyants) au travail graphique originel de Frank Miller, sans parler du fait que copier-coller les cases de la BD sans mise à jour préalable au travers des codes du langage cinématographique ne pouvait qu’en travestir l’esprit.
On peut toutefois admettre que son entrée remarquée dans la Tarantino’s family aura changé la donne, lui conférant mine de rien une aura de cinéphage bisseux et mal élevé, visiblement obsédé par l’envie de mixer John Woo et comic-book en un énorme chili con carne bien relevé, assaisonné par un amas de mexicains bourrés et de violence grandguignolesque. C’est en tout cas ce que les deux Desperado et Une nuit en enfer – de loin ses péloches les plus virtuoses – auront su entretenir avec force jusqu’à présent. Son cinéma s’en retrouvait alors grandi, voire acquis à la jouissance pure et coupable de son audience, transcendant sa mollesse formelle et ses défauts de fabrication (le découpage et la scénographie ont toujours été ses points faibles) par une recherche constante du rythme effréné et du « plan qui tue ». Qu’il s’agisse pour lui de viser l’anthologie foutraque du cinoche bis qu’il affectionne ou d’orchestrer de délirants ballets pyrotechniques où tout est multiplié par dix, sa force tenait dans peu de choses : décliner les codes du genre bisseux par une déformation tout aussi bisseuse, c’est-à-dire modeste dans sa forme et à fond dans la coolitude burlesque, sans autre arrière-pensée que celle de (se) faire plaisir.
S’il n’avait certes que très peu de chances d’égaler le tempo irréprochable d’Une nuit en enfer, Machete (prononcez-le avec l’accent de Guadalajara : « ma-tché-té ») aurait tout aussi bien pu n’être qu’une petite déflagration potache, laissant sa recherche du « cool » patauger pépère dans un guacamole de clichés néo-texans. Sauf que là, en plus de réparer toutes les gaffes de Planète Terreur, le résultat invite Rodriguez à ajouter une pincée de révolution dans sa cuisine du genre. Histoire de titiller notre fibre de cinéphage assidu, on précisera tout d’abord qu’il existait déjà un film d’exploitation de 1958 portant le même nom, réalisé par Kurt Neumann, dans lequel Lee Van Cleef maniait de temps en temps cet outil tranchant au fil des confrontations avec un triangle amoureux assez malsain. Rien à voir ici, bien sûr, mais on parierait que Rodriguez connaissait ce film au point d’avoir envie de réutiliser son ustensile fétiche à ses propres fins – tout comme la série de films Walking Tall avait obtenu son statut culte par l’utilisation faite par Joe Don Baker d’une banale planche en bois ! L’usage de la machette chez Rodriguez va évidemment de pair avec ce qui donnait envie à Antonio Banderas de dégainer sa guitare-mitraillette dans Desperado : là encore, il est question d’une vengeance à accomplir et de vilains à transformer fissa en carnitas, point barre. Par contre, cette fois-ci, la nouveauté vient avant tout du relief du personnage, en particulier de sa consistance dramaturgique. Pourquoi ? Parce qu’elle n’existe pas !
« ARE YOU A MEXICAN OR A MEXICAN’T ? »
On pourrait penser au premier abord que le plus dur serait de trouver ce qui rend ce Machete prodigieusement drôle, mais la raison est toute simple, et elle tient en deux mots : Danny Trejo. Cette gueule cassée, regard transperçant et musculature de dieu grec, cousin germain de Rodriguez et ancien taulard junkie, avait jusqu’ici traîné sa bosse en jouant des rôles « adaptés » dans un grand nombre de péloches pour Michael Mann (Heat), Rob Zombie (The Devil’s Rejects), Gregg Araki (Smiley Face) ou encore Simon West (l’affreux « Juanito 23 » des Ailes de l’enfer !). Première surprise : devenir enfin le héros d’un film d’action cousu sur mesure pour lui permet paradoxalement à Trejo de larguer sa longue collection de brutes sadiques pour embrasser un génie comique dont lui-même n’était sans doute pas conscient. Concrètement, on dira que le personnage de Machete tient autant de Black Dynamite que de Jason Voorhees. Du premier, il conserve l’idée d’un personnage à la lisière du mythe et du ringard, singeant les standards du cinoche bis (la Blaxploitation laisse ici la place au nanar tex-mex) avec un sérieux imperturbable d’où peut facilement s’extraire le plus bidonnant des décalages. Du second, il réactive la posture de la machine à tuer gorillesque qui avance sans dire un mot (ou alors très peu) avec sa machette aiguisée, histoire de s’en tenir à un objectif basique (zigouiller le plus de crétins possibles dans un déluge de gore qui pique) et de régler les problèmes en donnant l’impression de n’y prêter aucune attention. Ajoutez à tout cela un joli art du bavardage à la troisième personne, en soi générateur de répliques cultes à la pelle (« Machete n’envoie pas de textos », « Machete trouve des preuves », « Machete improvise »…), et l’affaire est dans le sac.
Sans rattachement bidon à tout un éventail de références mythiques du cinéma bis qu’il s’agirait de mimer avec paresse (soit très exactement ce qui rendait les personnages de Planète Terreur aussi creux que limités), Machete s’incarne en tronc d’arbre bourrin, impassible, monosyllabique et génialement benêt, à la gueule et à la posture dépourvues d’expressivité, invitant mine de rien toute forme d’art dramatique à aller se prendre un coup violent dans les cojones. On peut presque y voir un résidu évident – mais hypertrophié – d’un cinéma bis généralement considéré comme « déclassé » – il est d’ailleurs tout à fait logique que le personnage devienne ici le vengeur d’une classe sociale martyrisée. Et à mesure que les lois du monde moderne tendent à se corrompre ou à friser l’absurdité la plus totale, la désinvolture de ce personnage devient aisément créatrice d’un vrai sens du burlesque, que Rodriguez alimente avec brio en se focalisant sur des détails crédibles (il est un as de la machette !) et improbables (toutes les nanas ont chaud à l’entre-jambe rien qu’en le regardant ?!?). Comme contrepoint comique à une intrigue chorale où des enjeux très sérieux et très actuels finissent peu à peu par se dessiner, difficile de trouver meilleure arme de destruction massive que ce nouveau desperado, taciturne et électrique.
A ce stade-là, il y a donc un épicentre burlesque autour duquel toute l’action va se définir. Mais tenir un film entier sur un tel principe serait forcément insuffisant sans un panel d’enjeux adaptés et de figures bigger than life qui viendraient tenir la chandelle à cet improbable héros. Côté scénario, Rodriguez se la joue modeste : ni plus ni moins qu’un petit script de série B, où Machete, ancien agent fédéral mexicain devenu banal ouvrier suite à l’assassinat de sa femme, accepte le contrat d’un puissant cartel, visant à assassiner un aspirant sénateur du Texas dont le hobbie favori consiste à jouer au tir aux pigeons avec les chicanos qui traversent clandestinement la frontière. Trop basique ? Pas de problème : Rodriguez injecte quelques piments juteux dans son shaker à cocktail, secoue fort et sert le tout bien bouillant. L’univers ouvertement manichéen qu’il met ici en scène se révèle peu à peu régi par une sorte de paranoïa collective, alimentée par des journaux télévisés et des clips propagandistes, le tout sous couvert d’un inquiétant projet de clôture électrifiée entourant la frontière mexicaine – un détail autrefois anodin qui sonne aujourd’hui comme prophétique au vu de l’actualité.
Sans que l’on sache si Rodriguez en était réellement conscient (on suppose que non), Machete passe aujourd’hui pour le seul film préfigurant malgré lui les dérives de la politique de Donald Trump vis-à-vis de la question minoritaire, faisant presque figure de grenade à fragmentation là où le récent et trop timoré Get Out se la jouait pétard taquin au sein d’une soirée mondaine réac. L’usage des spots propagandistes tutoie parfois – toutes proportions gardées – l’impact de ceux qui trouaient le récit ultra-satirique de Starship Troopers, un peu comme si le film devait mettre côte-à-côte une réalité truquée (de la vidéo ripolinée par la HD) et son arme de résistance (du film de genre fauché mais boosté par une sacrée rage intérieure). Et si le film n’hésite pas à prendre parti pour un camp en caricaturant à outrance celui d’en face, c’est avant tout dans un souci d’injecter de la dérision dans un contexte politique dont le taux élevé de n’importe quoi n’est plus un secret pour personne. De ce fait, Rodriguez ne prend pas de gants et s’acharne à tout déformer. D’un côté les bons mexicains exploités et charcutés comme d’horribles cucarachas ; de l’autre une classe américaine WASP plus réac tu meurs, pour le coup totalement dégénérée au vu du bain de perversions qui la caractérise (drogue, inceste, xénophobie, corruption…). D’un côté comme de l’autre, c’est kif-kif : tout le monde en fait des tonnes, quitte à être aussi comique que pathétique. Et au beau milieu de tout ce bordel, il y a donc Machete : tout sauf un arbitre qui compte les points, mais un gros bourrin tout ce qu’il y a de plus abruti et sommaire, qui botte le cul des cartels et des cercles politiques – tous deux forcément liés et gorgés de salopards sous perfusion.
KILLING MACHINE
L’idée subversive est ici très simple, pour ne pas dire simpliste : « faire le sale boulot » est un rôle ingrat qui revient ici à un immigré mexicain, en l’état représentatif de ceux que l’Oncle Sam rêve d’occire sans pourtant être capable de s’en passer. Cohérente dans cette idée d’une série B qui ne cesse d’hypertrophier son terrain de jeu, la punition qu’inflige alors Rodriguez à la patrie du psychopathe à mèche blonde est donc sans appel : chahuter de l’intérieur la culture WASP par un zeste de culture latino qui vide tout son pot de sauce chili dans le barbecue. On pourrait citer comme exemple ce délirant Alamo final entre militaires texans et bagnoles à suspension customisées en mode Pimp my Ride, ou encore cette attaque frontale de l’imagerie US par l’usage d’un attentat truqué à des fins politiciennes – on retrouve là le schéma traumatique et complotiste de l’attentat contre Kennedy. Mais en l’état, rien ne fait plus d’effet que de voir simplement un ancien faire-valoir tel que Danny Trejo occuper le haut de l’affiche en faisant la nique à tout ce que Hollywood compte de figures glorieuses (De Niro, Johnson, Alba…) ou de parias déchus (Lohan, Fahey, Seagal…). Et là, la surprise est clairement de taille : la synergie entre un casting anobli et une écriture ramollie ne passe plus chez Rodriguez pour un effet de mode, tant ses invités ne sont plus ses subordonnés et n’ont peur de rien – surtout pas du ridicule.
Pour le coup, l’obsession du cinéaste à dévorer les pages jaunes des stars promptes à faire frétiller le caleçon du geek trouve enfin sa justification la plus franche et la plus pure. Tout le monde s’en donne à cœur joie dans la déviation pince-sans-rire, à commencer par ce cher Robert De Niro qui, désormais engagé dans une fin de carrière qui ressemble à un potager, lâche ici contre toute attente un taux d’autodérision anormalement élevé. Le reste de la smala lui emboîte le pas en beauté : Don Johnson confère à son personnage de milicien xénophobe une folie psychotique même pas dissimulée (l’entendre utiliser le terme « Helter Skelter » pour désigner la prétendue invasion mexicaine en ferait presque un émule de Charles Manson), Jessica Alba abuse des poses aguicheuses en gigotant sur sa Kinect ou en apparaissant toute nue sous la douche (même si on sait désormais que le plan est truqué !), Cheech Marin joue le curé flingueur et fraternel (Machete a donc un hermano qui est aussi un Padre !) qui finira ironiquement crucifié par des rednecks texans à deux de QI, Tom Savini s’offre un patronyme improbable (Osiris Aminpour !) pour incarner un tueur très actif sur les moteurs de recherche, et Lindsay Lohan surjoue salement la fille à papa pourrie gâtée et exhibitionniste qui invite sa mère dans ses vidéos porno (!) avant de virer religieuse par rédemption suite au meurtre de son papounet (idée gonflée : c’est grâce à elle que la guerre prendra fin !). Sans oublier la pochette-surprise du film : un Steven Seagal à la fuck you attitude toujours aussi bidonnante, traitant tout le monde de puñeta tout en tirant profit de son inexpressivité légendaire – mention spéciale à cet amusant duel de Némésis entre lui et Trejo.
Tout ce poil-à-gratter politico-déglingué donne cependant l’impression que Rodriguez n’en a cure de se la jouer idéologue du dimanche. Seule compte pour lui la joie irrésistible de révéler le côté foutraque et absurde de cette dichotomie politique, et d’en profiter pour y laisser s’épanouir son indémodable rouleau-compresseur narratif où la bouffonnerie se mêle à une gestion brillante du lâcher d’élastique. Il n’est certes pas le premier à avoir misé sur ce jeu-là. Dans le meilleur des cas, cela pouvait donner ce Troisième Reich revisité en théâtre bouffon et burlesque par le Quentin Tarantino d’Inglourious Basterds. Dans le pire des cas, cela pouvait donner un trip subversif et féministe sur la planète rouge, hélas décalé par le John Carpenter de Ghosts of Mars sur le versant du bain de gore fainéant et de culture geek zombifiée. Machete permet à Rodriguez de se caler pile poil entre les deux sensibilités : certes pas assez virtuose de la caméra et sampleur du genre pour égaler DJ Tarantino (question technique, désolé, ça coince toujours…), mais heureusement pas assez référentiel pour s’inscrire dans la lignée d’un Carpenter devenu l’ombre de lui-même, alors réduit à revisiter en mode mineur la mythologie anticonformiste qui lui avait autrefois permis de transcender tous les genres.
Peut-être qu’après une expérience commune avec Frank Miller sur Sin City, cette collaboration avec le monteur Ethan Maniquis – ici coréalisateur – a contribué à rendre sa mise en scène plus fluide et moins flemmarde qu’à l’accoutumée. La modestie, répétons-le, reste ici sa force : l’impact de la pellicule d’époque – certes un peu esquintée dans le prologue – n’est plus utilisée comme palliatif à sa flemmardise visuelle, ses choix de découpage sont déjà plus adéquats (voir ce plan astral sur la décapitation circulaire de trois cabrones), déroule une intrigue similaire à celle de Desperado 2 (la révolte mexicaine face à une corruption grandissante) sans jamais se précipiter ou charcuter sa narration, parsème son burrito filmique de quelques clins d’œil discrets (la confession à l’église évoque celle de Desperado) et s’autorise quelques petits jeux de suspense à la simplicité payante (on relève un court instant de tension entre Alba et Trejo avec un flingue et un couteau de cuisine). Tout juste peut-on lui reprocher de recourir à un effet minable de split-screen (durée : trois fois ½ seconde !) pour booster en vain une bagarre sans intérêt, ou encore d’enfiler les faux raccords dans un plan tout bête où Jessica Alba téléphone à son patron (le dialogue est continu : on devrait donc avoir un plan simple, on en a finalement quatorze, qui plus est avec des changements d’axes totalement injustifiés !). Là, on retrouve le Rodriguez que l’on s’autorise souvent à fustiger pour de bonnes raisons. Mais comme ces défauts sont ici moins des boulets que des miettes, on passe le balai dessus sans rechigner.
Reste le credo favori de Rodriguez : son indécrottable recherche du « plan qui tue », censée dynamiter chaque recoin de son gros portnawak guacamole. Là-dessus, la lâcheté de son montage aide à transformer la moindre idée en fulgurance totale, avec un vrai bénéfice à tirer d’une intrigue qui associe une vraie substance de récit à un tas de tronches caricaturales qui existent au lieu d’être des pantins sans âme. Sans surprise, Rodriguez ouvre ici les vannes en matière d’idées cinglées : un relookage malin des accessoires (un flingue-bouteille, une moto-mitrailleuse qui voltige dans les airs…), un thermomètre virant au rouge cramoisi sur un cadavre cramé par une explosion, un intestin grêle utilisé comme corde pour une varappe sur la façade d’un hôpital (un gag très Sam Raimi dans l’âme !), un portable facile à cacher dans l’intimité d’une chicana callipyge (on espère qu’il n’était pas en mode vibreur…), sans oublier une machette à la dimension phallique assumée dès l’intro (une bombe latine balance fissa à Machete un sensuel « C’est quoi ce truc long et dur ? ») ou utilisée comme volant après qu’elle ait traversé le ventre d’un conducteur (tournez à gauche ou à droite en fonction de votre itinéraire). Jubilatoire de bout en bout, Machete fait donc figure de piqûre de rappel sur ce qu’Une nuit en enfer avait démontré : Robert Rodriguez n’a strictement rien à dire, mais il le dit mieux que personne quand il maîtrise son affaire, la caméra-flingue dans une main, la bouteille de téquila dans l’autre, un sourire de gros beauf communicatif sur le visage. C’est rock, taré, hilarant, sexy, méga-violent, et ça pimente la pellicule jusqu’à ce qu’on finisse soi-même par s’enflammer. Pigé, cabrón ?