Il signifie « libre comme l’air », « sans attache ». Un titre d’une certaine ironie pour un film qui s’intéressait moins à cette notion de liberté qu’à la quête nécessaire à son obtention. Débarqué dans un petit village imaginaire de l’Utah, un jeune homme originaire de Chicago doit se soumettre à des lois prohibitives établies suite à un accident de la route où des jeunes furent tués. La musique, la danse, l’alcool ou la drogue furent perçus comme la cause de ces décès, et ont conséquemment été interdits. Footloose raconte la recherche d’émancipation qui en découle. À sa sortie en 1984, le long-métrage est un succès aux Etats-Unis où il engrange plus de 80 millions de dollars de recettes pour un budget dix fois inférieur. Kevin Bacon, Chris Penn ou Sarah Jessica Parker sont révélés au grand public et le film devient culte, véritable phénomène d’une génération qui se reconnaissait visiblement dans des personnages qui leurs ressemblaient. Aussi bien ode à la liberté de penser et d’agir que quête identitaire, les deux thématiques allant naturellement de pair, Footloose s’inscrivait en témoin d’une époque (aussi bien l’adolescence que les années 80) où le puritanisme n’était pas encore légion, notamment au cinéma où les films de John Hugues (The breakfast club et La folle journée de Ferris Bueller en tête), d’Allan Moyle (Pump up the volume, Empire Records) et autres Fatal games se feraient plus tard l’étendard d’une jeunesse fortement contestataire à l’encontre des modèles idéologiques qu’on leur imposait.
Aussi un remake pouvait-il paraître risqué, voire totalement hors de propos au premier abord. De par son évolution, le teen-movie actuel risquait de dénaturer profondément l’esprit du film original, ne serait-ce que par la propension certaine des productions contemporaines à ne pas déstabiliser leur audience, que ce soit au détour des sujets évoqués (sexe, drogue, alcool… rien de tout ça dans Footloose), de leurs enjeux (problèmes de couple, rumeurs… n’ont pas lieu d’être dans le film de Herbert Ross) ou même de leur cadre géographique (le remake se situe cette fois dans le Tennessee). Certes, le genre possède quelques très jolies réussites ayant pourtant employé ou détourné ces mêmes codes (Eurotrip, Supergrave, Hellphone, Une nuit à New-York, Easy girl ou Scott Pilgrim sont de ceux-là). La question était de savoir dans quelle mesure ceux-ci pouvaient être intégrés à une relecture d’un classique n’ayant rien en commun avec eux, qui plus est après plus d’une décennie de comédies standardisées. À moins que la Paramount ne fasse fi de toutes ces considérations pour rester le plus fidèle possible à l’original ? Doux miracle.
Et vint la séquence d’ouverture. Dans le Footloose millésimé 1984, celle-ci se veut aussi simple que porteuse de sens. Par le biais de plans constamment fixes, nous voyons des personnes danser sur la célèbre chanson éponyme de Kenny Logins. Plus précisément, ce sont leurs pieds qui nous sont montrés. Fondamentalement, le film raconte le quotidien d’une jeunesse tiraillée entre ses désirs et la réalité qui les interdit. Une dichotomie qui nous est présentée dans ce générique : séparés du reste du corps, on retrouve cette idée d’autonomie dans des pieds dont nous ignorons les propriétaires, par extension ceux qui les contrôlent. Ceux-ci sont libres, n’obéissent à l’image qu’à rien d’autre qu’eux-mêmes, semblent libres. La fixité du cadre nuance pourtant cette idée, voir l’abolit : ils ne peuvent en réalité se mouvoir que dans l’espace qu’on leur offre, extrêmement restreint. La caméra ne suivra par exemple pas un moonwalk dans sa totalité, condamnant une partie des pas au hors-champ : autrement dit, ici, ne pas danser revient à ne pas exister. Les arrière-plans, monochromes et dans le flou de l’image, accentuent cet enfermement. Dans une évidente logique narrative, certains plans de la danse finale reprendront cette idée, à ceci près que des travellings latéraux remplaceront les plans fixes, tout comme la mise au point et les lycéens viendront offrir une profondeur au champ. Une manière de traduire visuellement l’évolution du récit ayant eu lieu entre les deux séquences.
Alors que l’on peut logiquement s’attendre à du fan-service du fait de la renommée de ces séquences, en particulier de la première, le nouveau Footloose parvient à déjouer les attentes et propose quelques idées que l’on devine être la note d’intention d’un remake installé entre rupture et continuité. Caractéristique la plus évidente : terminés, ou presque, les pieds esseulés en plan fixe. S’ils sont présents, ils figurent au milieu de corps, parfois entiers, qui dansent sans contrainte d’espace. De même, si la chanson qui ouvrait l’original semblait être intra-diégétique, elle ne s’inscrivait pas dans une narration particulière. Ici, elle est non seulement identique (le final, là aussi pour illustrer une évolution, emploiera une reprise contemporaine de celle-ci), mais est ouvertement écoutée par les danseurs. Qui plus est, elle est connue de ces derniers qui en chantent les paroles. Pour le coup, on peut être tenté de voir la scène comme une sorte de mise en abyme, de croire en des personnages ayant parfaitement conscience de l’existence d’un film dont ils sont les interprètes, involontaires, d’un remake ! En outre, la mise en scène permet de constater que Footloose se déroulera désormais dans les années 2010 au vu des codes vestimentaires des protagonistes. Point d’orgue de la séquence, au même moment que celui de la chanson (les personnages montent le son à cet instant) : un accident de la route que l’on devine être celui dont parlait le film de 1984 (mais qu’il ne faisait qu’évoquer). En trois minutes, Craig Brewer vient de bouleverser les fondamentaux du récit originel et fait voler nos attentes en éclats. Ce qui ne rendra malheureusement que plus frustrant le quasi copié-collé qui suivra.
… PLUS ELLES RESTENT LES MÊMES
Oui, Craig Brewer. Si vous êtes un de ceux (des rares ?) qui se sont un tant soit peu intéressés au projet, vous n’aurez pas manqué de lire les remarques interrogatrices de journalistes tentant de rappeler que le cinéaste n’avait pas d’expérience dans le film musical. Que Hustle & Flow investisse l’univers du rap à travers la vie d’un mac désirant trouver une rédemption dans la musique, cela n’a apparemment pas d’importance aux yeux des spécialistes. Que Black Snake Moan fasse du blues le moteur fondamental de l’évolution de son duo principal, finalement peu importe. Non, il faut rester premier degré : pour la presse, le réalisateur de The poor and hungry n’a pas encore filmé des lycéens dansant en groupe sur de la pop. La logique.
Mais au-delà de ça, au-delà du fait qu’il soit un fan du film original ; Footloose, comme ses précédents films, narre une quête existentielle, une reconstruction d’identité par le biais du pouvoir de la musique ou de la danse. En cela, et en vertu de son immense talent de metteur en scène, Craig Brewer était un des hommes de la situation.
Une différence toutefois. Là où, dans ses deux derniers longs-métrages, la musique était vue comme un remède aux maux existentiels, jamais elle n’était perçue comme potentiellement destructrice. Non, les personnages évoluaient avant tout vis-à-vis d’une lutte intérieure, leur personnalité seule se révélant être un obstacle à leur émancipation. Ici, la danse, tout comme des lectures ou musiques jugées comme pouvant « pervertir l’âme », sont purement et simplement interdites. Original ou remake, les deux Footloose prennent place dans le village, imaginaire, de Beaumont. Plus encore dans la dernière version, ce dernier est clairement montré comme coupé du monde : bordé par les axes routiers qui semblent l’éviter (le héros arrive en bus, au terme d’une longue route de campagne) et entouré par une ligne de chemins de fer qui ne semble être utilisée qu’à des fins de transports de marchandises.
Bref, la ruralité du sud des Etats-Unis dans ce qu’elle a de plus épurée, par le biais d’une population qui semble évoluer en vase clos. Comme ses lois en témoignent, le nouvel arrivant se retrouve en pleine autarcie, de celles dirigées par l’église (le pasteur est montré comme extrêmement influent, est à l’origine des décisions législatives) et qui ici, reprochent par exemple au rock un relâchement des mœurs inacceptable à leurs yeux. Tout ce qui est extérieur aux frontières de Beaumont est d’ailleurs qualifié d’ « ailleurs », où sévit « le mal ». La version de 1984 se montre explicite quant à cette soumission idéologique. Une succession de plans d’ensemble nous dévoile un village quasiment vidé de sa population, mais hanté par la voix-off du pasteur en plein discours. La caméra se fait guide d’une visite qui nous emmène finalement à l’église ou se situe l’action en cours. Le premier plan de son intérieur nous montre une foule de personnes écoutant attentivement leur prêcheur, l’axe et la position de la caméra mettant en exergue la domination spirituelle de celui-ci. Même chose en 2011, à la différence notable que la scène fait directement suite à l’accident inaugural, mettant l’accent sur les origines des lois déjà appliquées au tout début de l’original. Craig Brewer profite de la séquence pour établir ce même lien de domination, non seulement entre un pasteur et sa paroisse, mais aussi entre un père et sa fille (le pasteur est aussi le père en question). Ceci afin de rendre plus cohérente, peut-être plus juste, l’évolution de celle-ci à l’avenir.
Non maquillée et constamment filmée en gros plan lors de ces premières minutes, l’héroïne de Footloose 2011 nous apparaît, trois ans après les faits, très vite comme une jeune femme consciente de sa beauté. Un aspect qui désintéressait totalement Herbert Ross 27 ans auparavant : le réalisateur insistait avant tout sur la psychologie de son personnage féminin, et notamment sur la réaction que suscitaient en elle les interdits dûs aux lois. Tout de suite après le discours de son père, Ariel était montrée comme dangereusement adepte des prises de risque et à la recherche d’adrénaline. Debout en équilibre entre deux voitures en marche, elle attendra le dernier moment pour éviter l’impact avec le camion arrivant en sens inverse. Qui dit remake dit reprise des séquences marquantes de l’original, à ceci près qu’ici, la demoiselle sera confortablement assise sur la portière d’un véhicule roulant à vitesse modérée sur un circuit automobile. Dans la mesure où le danger est ici moindre, Craig Brewer semble décrire la jeunesse actuelle comme moins téméraire, et par extension plus soumise aux diktats idéologiques qu’on lui impose. L’engueulade presque hors de propos de l’amie d’Ariel, qui lui reproche des risques qui ne semblent pas avoir lieu d’être d’un point de vue extérieur, peut valider ce constat.
Hélas, et c’est ce qui limite l’enthousiasme quant à la réussite de ce remake, si certaines choses changent, d’autres n’ont pas été modifiées. Dans la mesure où original et remake ont énormément de scènes et de dialogues en commun, l’appréciation du second peut passer par les apports, aussi minces soient-ils, qui le caractérisent. Après tout, l’un comme l’autre se font le reflet d’un contexte social, et les similitudes apparentes peuvent être perçues comme un propos à part entière. Craig Brewer joue de cela. Il parsème son film de détails en apparence inoffensifs, de changements mineurs qui n’ont d’autre objectif que d’enrichir le background du récit. La voiture de Ren, qui lui est offerte en bon état dans l’original, est ici proche de la casse et le jeune homme devra la réparer, seul, pour pouvoir la conduire. Entre autres caractéristiques de ce souci du détail, c’est bien la crise économique qui est ici implantée dans la diégèse, tout comme le seront quelques allusions à une sexualité un brin débridée ou à un désespoir existentiel plus prononcé, lors de la fameuse séquence du train. Dans les deux œuvres, le même postulat : Ariel se place au milieu de rails dans le but de faire face à un train le plus longtemps possible. Ren regarde patiemment à côté. Dans le film de 84, la jeune fille pousse un cri au fur et à mesure que le véhicule s’approche d’elle. En 2011, elle ne dit plus un mot et ferme les yeux face à la mort qui l’attend. On note dans les deux comportements un abandon de soi, chacune semblant accepter un destin fatal, comme seule solution face à une vie qu’ils ne considèrent pas comme telle. Le fait de faire hurler Ariel peut être perçu comme un appel à l’aide. Elle semble vouloir mourir mais perçoit son ami comme un potentiel espoir de survie. Le silence accompagnant les faits, dans le remake, donne une plus grande force au désespoir de l’héroïne. Car peu importe l’époque, le personnage teste moins ses limites par goût du danger, comme on nous le fait croire dans un premier temps, que par anticonformisme aux carcans dans lesquels on l’a enfermé (elle est la fille du pasteur, ne l’oublions pas).
« Il y a deux sortes de personnes, ceux qui s’agitent et ceux qui agissent. » Tout partait de là dans Hustle & Flow, et c’est aussi cette idée qui prédomine dans les Footloose, celui de Craig Brewer notamment. Toute évolution passant par l’agissement, les jeunes de Beaumont sont d’emblée désignés comme ceux qui s’agitent, du fait de leur incapacité à transgresser l’ordre établi. Aussi leur destin ne saura être bouleversé que par une personne différente dans sa vision du monde. Bien plus que le personnage des années 80, c’est aujourd’hui ce qui caractérise très vite un Ren montré en inadéquation avec l’environnement dans lequel il évolue désormais, à son arrivée à Beaumont. A contrario d’une Ariel qui doit jouer avec l’autorité parentale pour faire ce qu’elle veut, Ren est quelqu’un d’autonome (un simple refus de se faire aider pour un port de valise dit tout à ce sujet), un jeune adulte respectueux des us et coutumes bien qu’il ne les partage pas (il se plie au bénédicité mais refuse de prononcer « Amen »). De fait, en se plaçant comme l’élément perturbateur d’un tout où l’harmonie apparente dissimule, comme souvent, des conflits inévitables (là aussi, une seule allusion, celle de l’oncle sur lequel on fait pression pour qu’il enlève une enseigne), Ren apprendra que rentrer dans le rang est contraire à l’idée de « progrès » pourtant vantée par le pasteur. En faisant sonner la danse comme rébellion aux diktats imposés (la fameuse séquence où le jeune homme improvise, seul, des pas énergiques en opposition à la frustration qui en découle), les deux Footloose ne parlent que d’une résistance pacifique, uniquement possible dans l’union et la communion des valeurs d’une jeunesse a priori vouée à la défaite dans ce conflit de générations. Le fait qu’une telle affirmation puisse aujourd’hui paraître anodine est probablement ce qui fait de la cuvée 2011 une oeuvre véritablement à part dans le paysage cinématographique actuel. Il n’est pas interdit de s’en inquiéter.
FOOTLOOSE
Réalisation : Herbert Ross
Scénario : Dean Pitchford
Production : Lewis J. Rachmil et Craig Zadan
Photographie : Ric Waite
Montage : Paul Hirsch
Bande originale : Miles Goodman
Origine : Etats-Unis
Année de production : 1984
FOOTLOOSE (remake)
Réalisation : Craig Brewer
Scénario : Dean Pitchford et Craig Brewer
Production : Paramount pictures…
Photographie : Amy Vincent
Montage : Billy Fox
Bande originale : Deborah Lurie
Origine : Etats-Unis
Année de production : 2011