REALISATION : Richard Kelly
PRODUCTION : Adam Fields Productions, Flower Films, Gaylord Films, Pandora Film, Carlotta Films
AVEC : Jake Gyllenhaal, Jena Malone, Mary McDonnell, Holmes Osborne, Katharine Ross, Drew Barrymore, Noah Wyle, Patrick Swayze, James Duval, Maggie Gyllenhaal, Beth Grant, Daviegh Chase, Jolene Purdy, Alex Greenwald, Seth Rogen
SCENARIO : Richard Kelly
PHOTOGRAPHIE : Steven B. Poster
MONTAGE : Sam Bauer, Eric Strand
BANDE ORIGINALE : Michael Andrews
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Drame, Fantastique, Science-fiction
DATE DE SORTIE : 30 janvier 2002
DUREE : 1h53 (version cinéma), 2h13 (director’s cut)
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Middlesex, Iowa, 1988. Donnie Darko est un adolescent de seize ans pas comme les autres. Introverti et émotionnellement perturbé, il entretient une amitié avec un certain Frank, un lapin géant que lui seul peut voir et entendre. Une nuit où Donnie est réveillé par la voix de son ami imaginaire qui lui intime de le suivre, il réchappe miraculeusement à un accident qui aurait pu lui être fatal. Au même moment, Frank lui annonce que la fin du monde est proche. Dès lors, Donnie va obéir à la voix et provoquer une série d’événements qui sèmeront le trouble au sein de la communauté…
De quoi ça parle, Donnie Darko ? Même si les théories et les interprétations pullulent depuis sa sortie au début du 3ème millénaire, la lecture qu’en fait son jeune acteur Jake Gyllenhaal aurait de quoi mettre tout le monde d’accord : aucune question n’a de réponse unique. En l’occurrence, le personnage qu’il interprète le prouve bien en insultant son idiote d’institutrice lorsque celle-ci lui impose de situer un dilemme humain sur une « Ligne de Vie » dominée par deux pôles opposés (la peur et l’amour). Toujours ce manichéisme facile, rassurant, lénifiant, que l’on exhibe à des fins d’instrumentalisation afin de cacher sous le paillasson tout ce qui ne rentre pas dans l’une des deux cases imposées. Réduire le vaste spectre des émotions humaines à ce genre de choix est preuve de facilité et d’ignorance, ce que peu d’artistes assument d’entrée en faisant le choix – risqué – de forcer l’anéantissement de nos acquis au profit d’une réinterprétation personnelle. Et le premier film de Richard Kelly, de par son sujet protéiforme et son hallucinante construction scénaristique, le prouve au centuple. Son sujet, d’abord : l’adolescence, cette phase bien spéciale où les effets secondaires de sa propre éducation se font soudain ressentir et où la peur de l’envisager biaisée – peut-être par manque d’un idéal à atteindre – engendre un début de rébellion, tantôt intérieure tantôt extérieure. Son scénario, ensuite : une énigme narrative qui nous laisse dans un état de frustration avancé dès la première vision et nous impose le plus fou des vertiges au fil des visions répétées. En fin de compte, un film à l’image de ce qu’il évoque : une vie où l’on avance libre, en quête d’une définition personnelle de ce qui est « juste », avec ce que cela suppose de visions terrifiantes et d’obstacles insoupçonnés, et ce en fuyant une culture majoritaire prônant autant la passivité que le manque de réflexion. Ambitieux et visionnaire, ce premier film l’était à plus d’un titre. Mais à l’image d’un Southland Tales aujourd’hui réhabilité, sa supposée complexité n’a plus à être un sujet de controverse. Parce que son réalisateur – dont on espère toujours le retour sur grand écran – installait ici les bases d’un cinéma novateur, qui visait à dialoguer avec son spectateur là où l’aurait cru motivé à l’égarer le plus possible.
MAKE YOUR CHOICE
Version cinéma ou director’s cut ? On insiste d’entrée sur l’importance de ce choix, puisqu’il déterminera à lui seul la façon dont le film sera appréhendé. En effet, déjà paisiblement installé depuis sa sortie comme un film cryptique explorant une multitude de pistes sans en exclure aucune, Donnie Darko aura fini par connaître un destin relativement similaire à celui d’Apocalypse Now, trouvant dans l’existence d’une version longue un nouveau relief, soumis de facto à une controverse inévitable. Disons simplement que le terme « director’s cut » porte ici très bien son nom : le travail du réalisateur n’est plus d’enrichir son travail par de simples ajouts et optimisations sur le montage, mais plutôt de clarifier son point de vue, de poser les grandes lignes de l’univers qu’il a créé, d’offrir le montage qui lui semble propre comme untel donnerait l’interprétation qui lui paraît la plus évidente. Ceux qui ont pu visionner les deux versions à la suite savent bien le dilemme qui va inévitablement titiller les néophytes, partagés entre la pure liberté d’interprétation et la plongée exclusive dans un univers aux codes très particuliers. Si l’on devait se contenter de ça, le choix serait vite fait, et cela suffirait à expliquer pourquoi on a longtemps jugé ce director’s cut aussi aberrant qu’inutile. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Qu’importe la version que l’on préfère, tout est devenu bien plus clair. Les thèmes ici explorés par Richard Kelly (l’adolescence, l’amour, le sacrifice, le voyage temporel, l’existentialisme) et leur agencement savant dans un récit nourri à tout un courant de la contre-culture (comics, jeux vidéos, concepts de science-fiction, romans de Philip K. Dick, théories de Joseph Campbell, épisodes de La Quatrième Dimension) suffisent à braquer les projecteurs sur ce qui anime réellement ce prodigieux réalisateur. On évoquait déjà, à propos de Southland Tales, son brio à développer un amas d’enjeux et de sous-intrigues aux ramifications multiples, face auquel le spectateur ne peut espérer rassembler les pièces d’un puzzle cryptique que s’il se met lui-même la tête dans le boa. Mais il fallait sans doute voir au-delà, et prendre acte de ce qui sonne comme une magnifique audace : plutôt que de soumettre ses récits à des mythologies existantes, Kelly décidait alors d’en créer de nouvelles.
Tel un J.R.R. Tolkien posant les bases, les codes, la richesse et la cohérence d’un univers entier sur un matériau réduit (en l’occurrence une série de romans), Richard Kelly aura modelé ses trois longs-métrages à partir de la même pâte créative. A chaque fois, la naissance d’une mythologie complète, basée sur des règles cryptiques et connectée à son propre vécu. Les règles du monde visité, bien que prédéfinies lors de l’écriture du script, auront été à chaque fois passées sous silence de manière à encourager des interprétations variées. De ce fait, la director’s cut de Donnie Darko et la BD en trois volumes de Southland Tales obéissaient au même principe que l’anthologie Animatrix vis-à-vis de la trilogie cybernétique des Wachowski : il s’agissait d’un outil permettant d’élargir la portée de l’univers et de trouver les clés nécessaires à l’assimilation de ses règles, un peu comme un gamer lirait la soluce d’un jeu vidéo pour en connaître le tracé intégral et les niveaux cachés. Quant au vécu de l’auteur, il constituait le pendant concret d’un univers ouvert à une approche métaphysique du monde. Avec la rigueur d’un universaliste, Kelly y injectait sans ménagement tout ce qui l’a constitué comme individu (ses souvenirs d’ado, sa fibre politique, ses goûts cinématographiques, sa fascination pour l’ésotérisme, etc…), ressassait le tout sous la forme de clichés et d’archétypes (lesquels sont parfois bien plus réels qu’on ne le croit), et amenait ainsi le spectateur à se familiariser avec l’univers visité, histoire que les thèmes explorés par le film soient pour lui de précieux repères.
Dans le cas de Donnie Darko, la mythologie créée par Kelly a depuis longtemps été clarifiée, car issue de ce fameux livre intitulé La Philosophie du Voyage dans le Temps et rédigé par une certaine Roberta Ann Sparrow (cette vieille dame lynchienne qui croise souvent la route du protagoniste). Les grandes lignes du concept sont ainsi révélées dans la director’s cut : le soir du 2 octobre 1988, une anomalie dans le continuum spatio-temporel donne naissance à un « univers tangent » que le jeune Donnie Darko (Jake Gyllenhaal), alors considéré comme un « élu », va être chargé de refermer pour éviter la destruction de l’« univers premier ». Cet « élément perturbateur » en cause n’est autre que le réacteur d’un avion de ligne non identifié qui, de façon inexplicable, s’écrase ce soir-là sur la chambre de Donnie. Ce dernier a heureusement été sauvé de la mort en obéissant quelques minutes plus tôt à la voix de Frank (James Duval), un ami imaginaire déguisé en lapin qui lui prédit la fin du monde dans 28 jours, 6 heures, 42 minutes et 12 secondes. Tout au long de ce compte à rebours qui prendra donc fin le soir d’Halloween (donc le soir où tout le monde est déguisé, tiens tiens…), Donnie se verra guidé à distance par ceux qui meurent – ou qui vont mourir – dans l’univers tangent. L’un d’eux, à savoir une jeune lycéenne nommée Gretchen (Jena Malone) dont Donnie tombe vite amoureux, aura un destin tragique qui poussera ainsi l’« élu », enfin revenu au premier jour, à se sacrifier pour laisser ceux qu’il aime survivre dans l’univers premier. Tous les autres personnages, souvent sujets à des comportements violents ou irrationnels, servent à aiguiller Donnie à mesure qu’ils vont se transformer leurs doutes et leurs destins… Bon, certes, on schématise un peu le truc, et on pourrait aller plus loin en parlant d’« Artefacts », de « Manipulés Morts » et d’un soi-disant « Réceptacle Vivant ». Du coup, si vous voulez connaître tout le détail des règles du jeu fixées par Kelly, souvenez-vous que Google is your friend…
De par une fin en impasse qui se veut la clé d’un mystère, Kelly fait mine de réécrire à sa sauce la fameuse théorie du monomythe si chère à Joseph Campbell (avec son héros, son mentor, ses obstacles, son sacrifice, etc…) à partir d’un concept de voyage temporel où la finalité de la chose se résume tout simplement à briser un paradoxe. Pour autant, le traitement du voyage dans le temps n’obéit pas ici aux mêmes caractéristiques que dans Terminator ou Retour vers le futur, surtout parce que l’approche de Kelly fuit la quête de spectaculaire au profit d’une métaphysique effervescente et d’une lecture élastique du temps – la théorie de Stephen Hawking dans A brief history of time nous met ici face aux notions de « vortex » et de « pont d’Einstein-Rosen ». Et en outre, au vu des choix de montage qui irriguent chacun des deux montages du film, rien n’interdit à tout un chacun de lire ce fameux « univers tangent » comme une pure hallucination ou un rêve de Donnie. Surtout que ce dernier, considéré comme « paranoïaque schizophrène » par son psychiatre, tend à se couper de la réalité à mesure qu’il perçoit une menace sous-jacente dans les forces – visibles ou cachées – du monde extérieur. Cela rejoint ce que l’on évoquait plus haut, à savoir les troubles ressentis durant l’adolescence et l’état de rébellion qui lui est corollaire. En cela, définir Donnie Darko comme une plongée dans la psyché d’un adolescent pas comme les autres n’avait rien d’un argument de vente, visant à résumer en une ligne un scénario trop tordu. C’est d’autant plus vrai que le protagoniste du film et son réalisateur ne sont au fond qu’une seule et même entité – l’un n’étant que le réceptacle rajeuni des préoccupations de l’autre – et que cette lecture des mondes parallèles qui les travaille jusqu’au bout n’est qu’un moyen pour eux de questionner leur nature profonde. Et tandis que le fantastique – pourtant omniprésent – s’efface de façon astucieuse derrière le récit introspectif, c’est dire si ça bout là-dedans : cette future « fin du monde » n’est-elle pas avant tout la « fin d’un monde », là où des forces invisibles s’agitent dans l’ombre ?
MAD WORLD
On sait depuis longtemps la fascination de Richard Kelly pour le cinéma de David Lynch, et les clins d’œil en la matière irriguent Donnie Darko jusqu’à plus soif. Pour autant, cette idée de « forces invisibles » qui manipulent l’esprit humain et régissent toutes les strates du monde (intérieur et extérieur) a surtout fort à voir avec la teneur paranoïaque d’un certain cinéma américain des années 70-80. Cela fait évidemment écho si l’on repense aux films ultérieurs de Kelly : que ce soit pour prophétiser le chaos de l’ère Trump dans l’un ou pour revisiter les questionnements moraux de la classe moyenne des 70’s dans l’autre, Southland Tales et The Box avaient chacun à leur manière décliné tout un champ lexical de la manipulation, où chaque personnage empruntait le plus souvent une voie aussi inattendue que certaines de ses réactions. Sommes-nous dirigés par une entité invisible, voire supérieure ? Nos choix nous appartiennent-ils réellement ? Les films de Kelly, au fond, ne travaillent rien d’autre que ces interrogations-là. Et dans Donnie Darko, le cinéaste ose une idée visuelle kamikaze pour appuyer son propos : une sorte de tentacule liquide évoquant le serpent de mer d’Abyss, qui, en sortant du torse d’un personnage, trace un trajet que ce dernier va alors suivre. Des corps manipulés et placés dans le temps, avec une voie indiquée à la manière d’une flèche directionnelle dans un jeu vidéo.
Dans la director’s cut du film, Kelly enfonce même le clou en casant des plans de pupille et de technologie suggérant l’idée d’une puissance supérieure invisible qui aurait créé l’« élément perturbateur » et qui offrirait à Donnie les moyens de le réparer. Et quels moyens ? Des superpouvoirs, bien sûr. Car Donnie Darko est un film de super-héros, un vrai, qui fuit toutefois les rodomontades inhérentes aux produits Marvel pour au contraire chuchoter de très amusants parallèles. Les faits sont là pour le prouver : ce patronyme évoque presque le nom d’un comic book, les dérives nocturnes de Donnie sont hors de portée d’une personne normale (comment a-t-il pu encastrer une hache au sommet d’une lourde statue en bronze ?), il porte Gretchen dans ses bras comme Superman portait autrefois Lois Lane, etc… Kelly joue aussi avec la symbolique de l’eau en lui donnant ici un aspect surnaturel : matière première des portails temporels, substance principale des pilules que prend Donnie (d’où les visions de Frank qui s’ensuivent), élément de chaos qui dérègle la marche du monde (Frank a incité Donnie à inonder l’école). Rien à voir, donc, avec tous ces guignols en lycra qui gomment l’aura introspective du genre au profit d’un concours de punchlines moisies.
Kelly compte aussi sur le concret et le réel pour se munir de nouvelles munitions dans son torpillage d’une société source d’angoisse et de paranoïa. Dans un premier temps, il y a bien sûr la principale toile de fond du récit, à savoir la campagne présidentielle qui opposa Bush à Dukakis en 1988, au travers de laquelle on perçoit un grand nombre de symboles : la chute d’un réacteur sur une maison de la classe moyenne comme métaphore du crépuscule de l’ère Reagan, la conscience politique d’une famille qui se dessine lors de dîners riches en discussions constructives. Sur la peinture du lycée en règle générale, l’éducation est alors marquée par un conflit : d’un côté, de vrais enseignants acquis à une approche libertaire et érudite de la culture et des sciences (Drew Barrymore et Noah Wyle ont parfois l’air de sortir du Cercle des poètes disparus) ; de l’autre, des cocons puritains et bien-pensants qui usent d’une lecture binaire de l’existence pour transformer les futures générations en moutons de Panurge. Pour les jeunes, c’est une alternative qui se dessine : faut-il chercher son indépendance ou suivre le mouvement ? Faut-il sentir un vrai progrès éducatif dans la lecture des œuvres de Graham Greene ou dans un concours de danse à la con où les futures reines de bal se déhanchent sur Notorious de Duran Duran ? Faut-il se divertir devant des films transgressifs (genre Evil Dead ou La Dernière tentation du Christ) ou s’abrutir devant d’idiotes vidéos d’auto-guérison – excellent contre-emploi de Patrick Swayze en gourou pédophile – qui vendent de la spiritualité au rabais ? A chacun de suivre sa voie tout au long de cet « univers tangent » où l’on tangue à sa façon en espérant des jours meilleurs. Rien d’étonnant à ce que Richard Kelly ait choisi d’achever son voyage par le sublime Mad World de Tears For Fears (ici repris par Gary Jules), compagnon idéal d’une scène finale déchirante à souhait, où la prégnance d’un monde cruel – chaque personnage semble soudain conscient d’une vérité cachée sur lui et/ou sur l’Autre – égale soudain la mélancolie propre à la phase adolescente. Ce film n’était-il qu’un rêve de Donnie ? Une hallucination collective ? L’action d’un deus ex machina ? Quelque chose d’autre ? Faites votre choix. Seule certitude à avoir, en définitive : qu’il s’agisse du film lui-même ou de l’enjeu intelligemment caché dans son intrigue, quelque chose a été fait par amour, en toute liberté, loin des idées reçues et des schémas binaires. Les films qui vous donnent envie d’être meilleur sont rares. Celui-ci en est un.
Test Blu-Ray
Les fans l’attendaient avec la rage du type qui ne peut plus se contrôler. C’est peu dire que nos amis de chez Carlotta vont leur donner mille et une raisons d’exploser de joie. Cette édition Ultra Collector enterre à la puissance mille tout ce qui a pu exister jusqu’ici en matière de DVD ou de Blu-Ray pour le film culte de Richard Kelly. D’abord par un magnifique packaging qui, soyons honnêtes, nous faisait baver plusieurs mois avant sa sortie. Rien que ce visuel conçu par Olivier Cartheret (un nom à retenir !) nous apparaissait alors comme le plus beau de toute cette collection – l’auteur de ces lignes confesse être resté près d’un quart d’heure devant cette photo pour en admirer chaque micro-détail. Ensuite par une qualité technique absolument renversante, due bien sûr à cette restauration 4K dont le film aura bénéficié cette année, et qui enjolive du début à la fin la photographie extrêmement riche de Steven B. Poster. On vous conseillera très fort de visionner le film dans le noir complet, avec le volume relativement élevé, pour profiter à fond de ce que le piqué du master et les pistes DTS-HD ont ici à offrir, à savoir une expérience immersive totale. Relevons malgré tout un petit bémol qui va faire tiquer les accros à la langue de Molière : aucune piste française n’est ici présente, et ce pour les deux versions du film ! On ne va pas s’en plaindre, honnêtement (la VO étant impérative pour un tel film), mais on en connait quelques-uns qui ne manqueront pas de râler… Pour le reste, ce qui donne le vertige tient ici dans une quantité astronomique de suppléments qui ridiculisent la concurrence sans effort – prenez quelques jours de RTT pour tout regarder. Il est à noter que le DVD et le Blu-Ray sont ici logés à la même enseigne, sans avantage éditorial pour le second, histoire que tout le monde puisse en profiter. Rentrons maintenant dans le vif du sujet…
Répartis sur deux galettes (une pour la version cinéma, une pour la director’s cut), les bonus tendent bien sûr à répéter plusieurs fois les mêmes infos, notamment lorsque Richard Kelly prend la parole pour évoquer la création de son film et le sens caché qu’il a souhaité lui donner. Les meilleurs suppléments du précédent Blu-Ray édité par Metropolitan répondent à l’appel, à savoir les deux commentaires audio pour la version cinéma (mention spéciale à celui où le réalisateur et Jake Gyllenhaal enchaînent en boucle les anecdotes de tournage), les nombreuses scènes coupées et alternatives (une demi-heure au total !), la version intégrale des vidéos de Jim Cunningham, ainsi que les babioles d’usage (clip vidéo, trailers, galeries photos, etc…). Les nouveaux suppléments, eux, vont encore plus loin. D’abord un gargantuesque documentaire rétrospectif de 85 minutes intitulé Deus ex machina, où le réalisateur et son équipe technique reviennent en détail sur la création du film, son écriture, son tournage, sa phase de postproduction et sa carrière plus que mouvementée en salles. Les anecdotes sur le travail du chef opérateur et la réception contrastée du film à Sundance sont parmi les parties les plus intéressantes de ce super-bonus, découpé en chapitres reprenant ceux du fameux livre du film. Le journal de bord, lui aussi assez long et copieux, le complète à merveille en offrant cette fois-ci un regard de témoin privilégié du tournage, avec ou sans le commentaire audio du directeur de la photographie. Il faut ensuite ajouter à cela deux entretiens aussi fondamentaux que chaleureux avec Richard Kelly : l’un mené par Erwan Chaffiot (Mad Movies) pour la chaîne FilmoTV, l’autre mené par le réalisateur Fabrice Du Welz (Vinyan) dans le cadre de son émission Home Cinéma (où il reçoit des artistes dans son propre salon, à la manière d’un Thierry Ardisson). Là où le premier entretien reste centré quasi exclusivement sur son enfance et sur Donnie Darko, le second offre un regard assez précis sur la suite de sa carrière, à savoir les échecs commerciaux de Southland Tales et de The Box. Ajoutez à cela la présence du premier court-métrage de Richard Kelly (The Goodbye Place) parmi les bonus, et vous aurez l’impression d’avoir suivi une vie entière en sa compagnie.
C’est tout ? Oh que non ! Car le meilleur est encore à venir… En raison de la présence de la fameuse – et très controversée – director’s cut, les créateurs de cette édition ont eu la riche idée d’y ajouter un troisième commentaire audio sur cette version-là, à savoir une conversation entre Richard Kelly et son ami réalisateur Kevin Smith (Clerks). Et là, la sidération est totale. Si la discussion ne se veut pas une dissection magistrale de la mise en scène et des choix narratifs (là-dessus, les commentaires audio de Coppola sur la trilogie du Parrain restent insurpassables), c’est peu dire que l’on en sort avec l’impression d’avoir assisté à la communion de deux artistes vis-à-vis d’une œuvre qui les « relie » (l’un parce qu’il en est l’auteur, l’autre parce qu’il en est autant le fan que l’exégète idéal – vu la passion de Smith pour les comics). On a même l’impression, en entendant Kelly passer au scanner chaque détail et chaque symbole, que le film devient tout à coup d’une simplicité quasi biblique. Donnie Darko n’est alors plus un mystère, mais une œuvre ouvertement mythologique, faussement cryptique, qui nous apparaît désormais plus limpide que jamais. On vous supplie à genoux de profiter le plus possible de ce commentaire audio, et, par la suite, de vous rabattre sur le long et épais livre intitulé Wake up, Donnie, propre à cette édition Ultra Collector. Outre une interview-fleuve de Kelly sur le film (laquelle ajoute encore mille anecdotes à tout ce que l’on avait déjà emmagasiné), ce livre a l’avantage de nous offrir le fac-similé du scénario du film, avec des annotations précises sur le jeu des acteurs et la place de tel ou tel dialogue dans telle ou telle version du film. Croyez-nous sur parole : après avoir épuisé le contenu de cette édition monstrueuse (la meilleure de l’année 2019, disons-le carrément !), Donnie Darko n’aura plus aucun secret pour vous.
1 Comment
Un très bel article, qui explore toute la complexité et la profondeur de ce film .On y retrouve tant de thématiques articulées avec intelligence. Une œuvre à part, chimérique, aux lectures multiples, mêlant fantasmes et réalité, assez proche du rêve et en même temps qu’une description clinique subtile de la schizophrénie ou une critique des dérives sociales. Une œuvre soulevant des paradoxes (ceux de l’adolescence, du deuil, du temps, du voyage temporel et de l‘avenir) J’ai été sensible à l’angle d’approche de l’adolescence et de ses incertitudes, une adolescence perturbée par cette même société qui crée la mélancolie ou le désenchantement. En fait on peut tout détricoter et tirer sur tous les fils de ce film quasi surréaliste construit en arborescence, dont le contenu paraît complexe de prime abord , mais dont le sens se révèle peu à peu ; on peut l’aborder sous tous ces aspects. Qu’importe la réponse (hallucination collective ou rêve de Donnie…) Merci .