Kanojo to Kanojo no Neko est l’œuvre qui marque l’éclosion de Makoto Shinkai. Quand il réalise ce court-métrage en 1999, Shinkai travaille depuis cinq ans en tant que graphiste chez Nihon Falcom, une société de jeux vidéo. Kanojo to Kanojo no Neko, sans doute plus connu en occident sous le nom She and her cat, est l’occasion pour lui de mettre en œuvre les compétences qu’il y a développées et d’enrichir l’univers artistique qu’il initia avec Tooi Sekai, son premier court qu’il réalisa quelques mois plus tôt. Narrant la relation entre une jeune femme et Chobi, son chat, du point de vue de ce dernier, les cinq minutes du film mettent déjà en avant le style du futur cinéaste ainsi que ses thèmes et motifs les plus évidents.
Avec sa caméra scrutant les environnements dans de lents panoramiques, Makoto Shinkai évoque l’écoulement inéluctable du temps, qu’il dépeint en parallèle des moments partagés entre ses deux protagonistes. Le chat y est dessiné de manière extrêmement simple, presque cartoonesque, en opposition à sa maîtresse et son environnement. Une manière pour Shinkai d’évoquer l’importance des moments passés ensemble, qu’il juge salvateurs quand ils transcendent les différences. En tant que chat, Chobi ne s’intéresse d’ailleurs pas à la profession de la jeune femme, pas plus qu’il ne connaît le contenu du coup de fil qui la poussera à pleurer, mais à des considérations plus instinctives. Sa beauté, sa douceur, l’odeur de son parfum, ses gestes ou sa tristesse, bref, les émotions qu’elle lui procure, sont ce qui lui importent. Et Shinkai d’élaborer une mise en scène ponctuée de nombreux pillow-shots, d’observer les petits riens qui font le monde autant que les ressentis dont ils peuvent être à l’origine. C’est là l’essence même de ce type de plans, évoquant par ailleurs chacun des cinq sens pendant ces quelques minutes. La réplique finale unira les deux personnages à travers leur amour commun de ce monde, celui des émotions, que Makoto Shinkai ne cessera d’explorer dans chacune de ses futures réalisations.
Dix-sept ans plus tard : le temps a fait de l’apprenti-réalisateur un cinéaste et de son deuxième court-métrage une série de quatre épisodes d’environ huit minutes chacun, opening et ending compris. Si l’on pouvait légitimement rester songeurs quant à l’intérêt d’une nouvelle version arborant le même postulat minimaliste, l’anime annihile vite nos doutes et démontre que ses initiateurs se sont posés les bonnes questions. Car bien qu’ayant la même finalité thématique, à savoir la mise en valeur des moments passés avec les êtres qui nous sont chers, cette nouvelle itération de Kanojo to Kanojo no Neko profite de sa durée pour appuyer la mélancolie inhérente à son propos. À la relation entre Daru – le chat – et sa maîtresse s’ajoutent ainsi celles, plus ou moins développées, centrées sur les mères des deux personnages. Il n’est donc plus ici question du seul point de vue du chat mais du développement intime du duo. Le projet de mise en scène de Shinkai, axé sur le ressenti, n’occupe dès lors que l’arrière-plan d’un récit exprimant ouvertement les émotions des protagonistes à travers plusieurs périodes marquantes de leur vie. La série reprend d’ailleurs à l’original une structure basée sur les saisons, et les fait se concorder avec les événements vécus par Daru et Miyu. Des journées les plus chaudes de l’été marquant le début de leur vie à deux, à l’hiver littéralement vécu comme la fin des beaux jours, en passant par l’automne comme période de doutes, de souvenirs et de transitions ; Kanojo to Kanojo no Neko force l’empathie pour chacun des personnages et sait se montrer émouvant dès lors que les circonstances les séparent (la vieillesse du chat, ses difficultés à se mouvoir, dont ne prend pas conscience Miyu) ou les font se retrouver (la mère et la fille dans l’épisode 4).
C’est l’une des plus belles qualités de la série, qui parvient dans ses meilleurs moments à donner du sens au non-dit, à enrichir la relation entre le chat et la jeune fille à travers la simple déambulation de l’animal dans un appartement à moitié vide. Vidé de la colocataire de Miyu, l’environnement du chat devient reflet de l’âme de son occupante, espace intime qui ne peut être comblé seul mais à travers l’autre.
Si la série n’évitera pas l’écueil de dialogues énonçant la morale à tirer de ces tranches de vie, explicitant le propos d’existences s’éloignant pour mieux se retrouver, au moins le fait-elle sans singer le style si caractéristique de Makoto Shinkai. Le character-design ou certains motifs (le train ou les pillow-shots sont évidemment de la partie) évoquent certes directement le réalisateur de The Garden of Words, mais se parent d’une cohérence inattendue à l’aune de la séquence post-générique du dernier épisode, faisant de ce Kanojo to Kanojo no Neko un prequel du court-métrage originel. Tel un écho métatexuel à la dernière réplique de Daru, selon laquelle la vie n’est qu’un cycle destiné à être répété, sous une forme ou une autre.
Bref, c’est chaleureux, attachant et mignon comme tout. Et c’est visible chez Crunchyroll.
STUDIO : J-C Staff, Comix Wave Films
RÉALISATION : Kazuya Sakamoto
DIFFUSION : Crunchyroll
AVEC : Kana Hanazawa, Shintarô Asanuma, Akiko Hiramatsu, Sayuri Yahagi…
SCÉNARIO : Naruki Nagakawa
DIRECTION ARTISTIQUE : Takanori Tanaka
CHARACTER DESIGN : Senbon Umishima
ORIGINE : Japon
GENRE / MEDIUM : Tranches de vie, Anime
NOMBRE D’ÉPISODES : 4
FORMAT : 8 minutes
BANDE-ANNONCE
Synopsis : La vie au quotidien d’une étudiante à la recherche d’un petit boulot, à travers le regard de son chat…