Comment adapter aujourd’hui Cendrillon ? En faisant n’importe quoi avec, semble répondre l’italien Gatta Cenerentola. Du conte original, il ne reste pas grand chose ici à part le principe d’une pauvre gentille fille opprimée par sa belle-mère et ses belles-sœurs après le décès de son père. Certes, nous exagérons un peu. Le long-métrage présente son lot de renvois aux passages-clefs du conte. On peut même être assez admiratif de la façon dont ces références sont récupérés et inscrits dans une intrigue où leurs sens sont modifiés avec une belle habileté. Il en va ainsi du fameux soulier censé désigner l’heureuse élue et qui ne sera en rien une ouverture vers un happy end, bien au contraire. Toutefois, le besoin de coller au conte même en le réinventant n’étouffe pas Gatta Cenerentola. On peut difficilement lui en vouloir étant donné la maigreur narrative de celui-ci. Disney lui-même n’avait-il pas mis l’accent sur les personnages secondaires humoristiques pour obtenir un film viable ?
Néanmoins, la version de tonton de Walt n’est en rien comparable avec le trop-plein d’idées qui gouverne Gatta Cenerentola. Il faut se cramponner en pénétrant dans cet énorme fourre-tout rétro-futuriste. Se bouscule pendant quatre-vingt minutes un paquebot fantaisiste où se projettent divers hologrammes, une machination pour faire main basse sur un port, un trafic de drogue mené par le Tony Montana local, un flic infiltré au passé lourd, une double romance tragique et le tout accompagné de numéros musicaux. Le résultat frôle l’hystérie (pour ne pas dire qu’il a effectivement les deux pieds dedans). Cette sensation n’est pas atténuée par une animation recourant à la mocap, laissant les réalisateurs libres de concocter tous les mouvements de caméra qui leur passent par la tête. Il se dégage du long-métrage une folie au bout du compte accrocheuse, voir enthousiasmante. Lâchant toutes ses idées à un rythme effréné, Gatta Cenerentola enivre et rend excusable un buffet probablement trop hétéroclite.
On ne trouvera pas de grain de folie dans le beau et attachant Okko et les Fantômes. Ayant collaboré en tant qu’animateur auprès de sommités comme Isao Takahata et Hayao Miyazaki, Kitarô Kôsaka possède assurément un solide savoir-faire technique. Cela se ressent sur une animation soignée et une mise en scène qui, à défaut d’être très originale, se montre rigoureuse. Cependant, tout ceci est très loin d’être suffisant pour que ce premier long-métrage intronise Kitaro Kosaka dans la cour des grands. Excès de prétention ou manque d’audace, Kosaka va en effet procéder à des choix assez surprenants par rapport à l’histoire contée. Sans chercher le pathos à tout prix, on voit mal l’euphorie dominée dans le récit d’une jeune de fille de douze ans qui va apprendre à tenir l’auberge thermale de sa grand-mère après le décès de ses parents. Or ne serait-ce qu’en terme esthétique, Kitarô Kôsaka revendique une illustration en mode kawaii. Une direction pour le moins inattendue et donnant un côté certes mignon à l’œuvre mais finalement aussi formaté. Le sound design aux bruitages ultra-exagérés appuie ce constat.
On peut presque dire que Kôsaka fait fausse route en s’exclamant vouloir exclure de son film toute expression trop excitante ou aspects négatifs chez ses personnages. Ces propos sont pratiquement contradictoires au regard de l’accident mortel ouvrant le film. Bien que le réalisateur laisse l’impact hors-champ, le découpage en fait ressentir toute la violence. Comment accepter après cela la conséquence quasi-insignifiante de l’événement sur l’héroïne ? Constamment souriante, elle travaille sans être soumis à la moindre épreuve ou authentique difficulté. A titre de comparaison, les ambiances simples et apaisées de certains films d’Hayao Miyazaki n’empêchaient pas ses personnages de traverser différentes strates émotionnelles. En se refusant à tous sentiments trop durs ou mélancoliques, Kitaro bloque l’éclosion de son film. Il abandonne à un niveau au bout du compte superficiel un propos pourtant touchant et universel (« accueillir chacun sans discrimination »). Avec son fantastique à l’utilité modérée, Okko et les Fantômes ne décolle donc jamais. Il déploie juste un charme tranquille qui n’aura pas de lendemain.