Cette année à Annecy, il n’y a sûrement pas eu de standing ovation plus forte que lors de la projection à Bonlieu de Funan. Certes, on pourrait penser que la présence dans la salle d’une partie des animateurs ayant travaillé sur le projet a pu fausser cette performance. Mais le fait est que le film de Denis Do a bel et bien bouleversé le public au regard des discussions générées les jours suivants. En tout cas, Funan a su toucher le jury qui lui a décerné le cristal du meilleur long-métrage. Il faut dire que la démarche profondément sincère du réalisateur a de quoi faire chavirer les cœurs. En évoquant le régime des khmers rouges, c’est l’occasion pour lui de revenir sur ses origines cambodgiennes à travers les souvenirs de sa mère. On peut voir ici un désir de devoir de mémoire mais Denis Do paraît vouloir embrasser une réflexion plus large sur le comportement humain et la marche de l’Histoire. C’est ce que laisse entendre les premières images. Sur un fond blanc, une femme cherche son enfant et est bousculée par des ombres. L’illustration semble vouloir indiquer que l’angle humain sera mis en avant plutôt que la toile de fonds historique. Ce qui en soit est une proposition attrayante parce que dénotant une volonté de ne pas forcément se circonscrire aux faits mais de construire de l’émotion par la mise en scène. Là encore, le début va en ce sens puisque c’est par l’usage d’un simple contre-champ que Do fait basculer dans l’horreur le quotidien de ses protagonistes.
Ce sont donc des mentalités qui ne se limitent pas aux seuls khmers rouges que le film va nous dépeindre. Funan nous montre ainsi une réalité malheureusement trop commune dans notre monde. Sous l’influence de la propagande, l’humain aura tendance à s’avilir qu’il soit bourreau ou victime. L’idéologie domine les esprits et pousse à traiter immoralement son prochain s’il ne se conforme pas à ses normes. L’opprimé y réagit en conséquence, se laissant dévorer par l’aigreur et l’égoïsme en omettant lui aussi son humanité. Ça n’a rien d’anodin à ce que la famille présentée par le film cherche à rejoindre un enfant, un symbole d’innocence que les évènements ont éloigné d’eux. Toutefois, cette orientation finit par se retourner contre le film. Les personnages deviennent génériques et manquent d’attachement faute de personnalité. Si le processus narratif est intéressant, il n’est pas pour autant impliquant et peine à convaincre sur la durée. Malgré un soin visuel évident, il ressort alors l’impression d’une œuvre trop solennelle et froide.
La froideur n’est clairement pas le problème de Parvana, Une Enfance en Afghanistan qui remportera à la fois le prix du public et celui du jury. Une double consécration pour une œuvre pouvant être considérée comme une expérience complémentaire à Funan. La comparaison est inévitable car en dépit d’une situation géographique et temporelle absolument différente (ici le régime des talibans), le récit part sur une base similaire. On suit en effet une famille qui tente de survivre dans un contexte oppressant alors que l’un de leur membre a disparu. Cependant, aux personnages sans grande identité de Funan, la réalisatrice Nora Twomey cherche elle une portée plus universelle en alimentant un côté vie du quotidien. Les actions accomplies (repas, course, etc) parlent en ce sens à chacun et ne sont rendues particulières que par le contexte où elles s’inscrivent. Cela est cohérent en raison d’une différence radicale d’ambiance entre les deux œuvres. La pureté échappait aux personnages de Funan et le long-métrage de Denis Do montrait globalement l’humain dans ses pires dérapages. Parvana prend une direction pratiquement inverse puisqu’il s’attache à illustrer surtout comment l’humain peut toujours se frayer un chemin même dans les milieux les plus horribles. Comme le résume le mot de la fin :
Élevez vos paroles et non votre voix. C’est la pluie qui fait pousser les fleurs, pas le tonnerre.
Il transparaît donc naturellement de la dureté dans Parvana mais également de l’espoir. C’est ce que renforcent des choix esthétiques extrêmement pertinents. Comme indiqué l’année dernière lors du work-in-progress, le film se refuse une forme d’animation où tout est exagéré et tient du fantasme. Il élabore au contraire un visuel plus subtil combinant le chatoiement de l’animation (notamment par le design des personnages) et une conception de l’environnement se voulant plus authentique, plus brut. Ce choix donne plus d’impact aux éclats de violence du film (passage à tabac, exécution) alors qu’ils restent hors-champ. Mais tout ceci pousse le film à se plier à un exercice on ne peut plus périlleux. Il se doit d’entretenir en permanence ce délicat équilibre. Celui-ci pourrait être aisément rompu et la fragilité de l’entreprise se fait d’autant plus sentir. Sans contester l’intelligence de ces partis-pris, il en résulte le sentiment d’un long-métrage souvent trop contenu et renfermé. La partie imaginaire de l’intrigue en est assez représentative. Durant tout le film, elle apparaît comme une source d’inspiration pour l’héroïne face aux épreuves qu’elle doit traverser. Le concept autour du pouvoir des histoires est séduisant mais son insertion boiteuse dans le récit ne la rend pas plus intéressant que cela. Ce qui s’explique finalement par sa conclusion et la nécessité de ménager la surprise sur sa vraie nature pour en délivrer toute la force. D’une certaine manière, Parvana se retrouve trop écrasé par les contraintes qu’il s’impose mais c’est au bout du compte ce qui lui confère sa beauté.