L’animation brésilienne était à l’honneur cette année à Annecy. Pour parler de son représentant en compétition Tito e os Passaros, il nous semblait opportun de l’accompagner de son compatriote d’Amérique du Sud La Casa Lobo. Car il s’avère que les deux constituent les plus passionnantes expériences visuelles de la compétition.
On ne va pas se mentir : on aurait rêvé que La Casa Lobo remporte un prix. Mais au vu de son caractère particulièrement clivant (les spectateurs sortant de la salle ont été réguliers à chaque projection), la consécration paraissait improbable. Cependant, la mention du jury obtenue par le long-métrage montre au moins qu’il était impossible de totalement passer outre l’œuvre réalisée par Cristobal Leon et Joaquin Cocina. Soyons direct : La Casa Lobo est une authentique proposition de cinéma. Il est bien difficile de trouver un autre film qui lui ressemble et ce seul compliment devrait vous convaincre à lui laisser une chance. L’ombre de David Lynch plane certes sur ce trip éminemment perturbant mais même cette référence très généraliste ne suffit pas à aplanir l’originalité du long-métrage.
Débutant sur une série d’images en prise de vue réelle, La Casa Lobo se présente comme un film de propagande pour une secte. Cette seule introduction nous annonce toute la bizarrerie du film à venir, puisqu’entendant démontrer la supériorité de ses valeurs sur toutes normes traditionnelles. Si on était mauvaise langue, on pourrait dire que l’histoire demeure classique. S’enfuyant de la dite secte, une femme se refugie dans une maison où se déchaîneront toutes ses névroses qui finiront par la dévorer (littéralement !). L’intérêt du film va provenir intégralement de sa forme. Ainsi, le long-métrage va élaborer son propre langage pour conter cette histoire. Si le récit par du principe de faire de la maison un espace mental pour l’héroïne, c’est bien la manière d’exécuter ce concept commun qui va transformer La Casa Lobo en une œuvre à part.
Le long-métrage combine de façon novatrice la stop-motion avec la peinture. En jouant sur l’espace par une combinaison d’animation en volume et plate, il transmet avec une grande puissance cette impression de voir se projeter les pensées et pulsions de son héroïne. Cette sensation se renforce par le recours au plan-séquence, tout le film étant constitué d’un unique plan. Ce choix d’instaurer une continuité constante entre les éléments exposés favorise un peu plus le vertige et hypnotise tout le long. On n’a jamais connu une telle chose au cinéma, à l’exception peut-être de quelques séquences du Anna Karénine de Joe Wright exploitant lui aussi un processus scénique pour manipuler l’espace et le temps. Et encore, c’était donc sans courir après une idée de projection mentale. Il convient alors de mentionner que tout ce travail ne limite pas La Casa Lobo à une simple performance. D’ailleurs, avec sa fabrication artisanale sur cinq ans portée par un budget misérable de cent mille dollars, il paraît se prémunir d’une telle qualification. Car la virtuosité du film ne cherche pas la perfection la plus immaculée, ce que dénotent ses moments où les trucs et astuces d’animation apparaissent furtivement à l’écran. La Casa Lobo n’est aucunement obnubilé par lui-même et considère toujours les émotions qu’il entend procurer à son spectateur. Si les risques de rejet par ce dernier demeure (l’auteur de ses lignes admet ne pas avoir compris les tenants et aboutissants de chaque scène), ce film unique reste une œuvre aussi méritante que fascinante.
S’il évite également le piège de la performance creuse, le cas de Tito e os Passaros est plus délicat. Car il y a comme un paradoxe dans ce film réalisé par trois têtes pensantes. La force du film tient là encore dans ce qu’il propose visuellement. La direction artistique est ainsi tout bonnement remarquable. Loin de rechercher une animation propre et nette, Tito e os Passaros privilégie les mouvements saccadés, les coups de pinceaux bien visibles et les traits biscornus sans aucune retouche. La conséquence est un film impulsif qui a l’air d’avoir été jeté directement sur l’écran de cinéma. Le choix se montre tout à fait cohérent avec le monde angoissant décrit par l’histoire, un univers où la peur est une maladie contagieuse et cultivé par des médias profiteurs. Une sacrée ambiance parfaitement soutenue par une excellente musique.
Il est alors dommage que le film ne repose pas à fond sa narration sur ces recherches esthétiques. Au contraire, il verbalise énormément son histoire. En dépit de son schéma classique, celle-ci était pourtant séduisante. Face à l’aveuglément d’une société adulte fonçant vers sa perte, il faut le regard de l’enfance pour retrouver l’espoir perdu. C’est comme si ce penchant explicatif permettait d’atténuer par la rationalisation un spectacle aux images parfois dérangeantes. Car si Tito e os Passaros demeure un film accessible aux enfants, il n’en contient pas moins des passages glauques dignes d’un Don Bluth (les corps terrifiés se tordant et se compactant). Avec sa voix-off décortiquant les thématiques, le film minore son potentiel. Si son capital de sympathie reste présent, il passe loin de l’œuvre audacieuse qu’on aurait aimé ranger au côté d’un Tomorrowland.