Guillaume Gallienne est certainement l’acteur le plus éclectique de sa génération. Formé au Conservatoire Supérieur d’Art Dramatique de Paris, il devient pensionnaire puis sociétaire de la Comédie Française en 1998. Au cinéma, il joue pour des auteurs aussi différents que Lelouch, Gérard Krawzyck, Diane Kurys, Sofia Coppola, Pascal Thomas, Niels Arestrup, il tourne pour la télévision, anime une émission radio sur France Inter, enregistre des livres audio… En 2008, il monte seul un spectacle entièrement inspiré du malentendu qui a traversé toute son adolescence : alors que sa mère et toute sa famille le considèrent comme une fille, Guillaume joue le jeu de l’homosexualité et se lance dans une quête de soi. Un one-man show introspectif où l’humour et l’émotion tirés de l’expérience vécue ne fonctionnent jamais séparément. Nous l’avons rencontré, humain et généreux, à l’image de son premier film directement adapté de sa pièce de théâtre.
Courte-focale : Qu’est-ce que le cinéma vous a apporté qui vous manquait au théâtre, en tant que metteur en scène et acteur ?
Guillaume Gallienne : Au théâtre je faisais encore plus un travail sur la voix car je jouais tous les personnages. Le problème du théâtre, c’est que je jouais tout le monde, donc je n’avais pas le temps de défendre assez les personnages. Je pense par exemple au père, qui dans le spectacle n’était qu’une figure de dureté, alors que dans le film, André Marcon le défend vraiment. On voit qu’il est dur et en même temps on voit bien qu’il a un ovni en face de lui et cet ovni c’est son fils qui est déguisé en Sissi. On le comprend car on rit du contraste, on rit du choc, mais il y a autre chose derrière le rire qui me plaît. Et il y avait deux autres choses problématiques : au théâtre, comme je jouais tout le monde, j’avais très peu le temps de jouer les réactions, ou plutôt les non-réactions de Guillaume, et donc la passivité du personnage, qui à mon avis est une des clés principales de cette histoire. Aussi, à force de jouer tous les personnages, il se dégageait du spectacle, malgré moi, une virtuosité, la performance de l’acteur qui prenait le dessus sur l’histoire. Parfois, je sortais de scène et j’avais l’impression d’avoir passé la soirée à sauter au-dessus d’un mur sur lequel il aurait été écrit « performance » ou « succès », juste pour être entendu. Ça, c’était un peu dur car je n’aime pas jouer seul. Au bout d’un moment, j’ai l’impression de devenir habile, trop précis, qui sont tous mes défauts.
Comment avez-vous rencontré les acteurs ? Pourquoi avoir gardé au cinéma les dispositifs scéniques du théâtre ?
C’est plus important et plus gonflé que ça. On a déjà vu des films basés sur ce format. Au-delà de ça, je crois que le film raconte la naissance d’un acteur. En effet, je crois qu’on ne peut pas savoir quand on est acteur. C’est d’ailleurs ce qu’Adjani m’a dit en voyant la pièce. Un acteur n’imite pas mais incarne, presque malgré lui. C’est-à-dire que quand il reconnaît dans un personnage quelque chose de profondément humain en lui chez l’autre, il se dégage une sorte d’émotion qui n’est pas forcément explicable ou analysable tout de suite et c’est la vibration de cette émotion qui fait que le reste suit et que le corps se met à mouvoir autrement. La voix aussi se place ailleurs. Alors que tout le monde pense pouvoir jouer. Mais c’est plus compliqué, l’acteur c’est un caractère beaucoup plus profond. L’acteur enquête sur des émotions et l’antériorité du personnage. C’est pour ça que quand j’étais môme je jouais l’archiduchesse dans Sissi car elle me faisait profondément penser à ma mère. Pour moi, ces femmes d’autorité et de devoir, corsetées dans une tenue, une retenue, m’ont toujours bouleversé, j’ai toujours trouvé ça extrêmement attendrissant. Et j’ai toujours regardé ces femmes presque comme des victimes de ce devoir de tenir. Et en même temps, j’ai toujours été fasciné par leur autorité et leur classe. La naissance de l’acteur est racontée, c’est pour ça que j’ai joué ma mère. D’ailleurs je l’ai joué sans travail et on oublie même que c’est moi. D’abord il y a l’effort de travestissement mais on comprend aussi que je me suis perdu moi-même, que je me suis oublié là-dedans puisque même le spectateur se fait avoir. Donc, c’est la manière la plus subtile que j’ai trouvée de finalement rendre compte de toutes ces nuances. J’adore les nuances, j’aime ça. Ce n’est pas pour rien que ma femme est coloriste [rires].
Justement, l’exemple de votre mère permet de différencier le théâtre où vous êtes instantanément Guillaume et votre mère, sans changement de costume, du cinéma, où vous pouvez vous dédoubler grâce aux effets spéciaux. Est-ce que c’est ce type d’options, que seul le cinéma permet, qui vous a poussé à adapter votre pièce ?
La convention théâtrale fait qu’on accepte absolument tout. Tout passage d’un personnage à un autre. À la différence d’un acteur comme Philippe Caubère par exemple, qui lui peut vraiment tout jouer, du vent au téléphone [rires], moi je me suis intéressé à l’économie du signe. Cela peut passer par un basculement du bassin ou par une légère attitude qui me permet d’être quelqu’un d’autre. J’aime que le spectateur goûte à ce léger virage. Mais au cinéma on peut difficilement se permettre cette convention-là. Car il faut très bien traiter l’image. On ne peut pas tricher avec l’image, on ne peut pas lui faire faire n’importe quoi. C’est dû cadre qui vient de la peinture. Donc pour le film je me suis amusé à travailler des choses du réel, c’est pour ça que je me démaquille dès l’entrée, pour donner un côté vif, ensuite on passe à la fiction avec la façon dont je filme la maison. On est dans la grande bourgeoisie, il y a un côté très théâtral aussi, avec le cadre fixe, un décorum et un jeu théâtral mais qui s’épurent et se simplifient au fur et à mesure. Finalement, à la fin, la réalité et le théâtre se rejoignent. De même que j’ai travaillé sur une horizontalité au début, tout le monde est assis, allongé, il y a aussi une horizontalité dans le décor. Les personnages se lèvent ensuite pour être dans une vraie verticalité. On a également beaucoup travaillé en post-production sur les couleurs. J’aime bien quand le moment est traité de A à Z comme un…moment. Je suis toujours surpris quand les fins sont pareilles que les débuts, ça me donne l’impression d’avoir perdu mon temps.
Comment avez-vous décidé de ces retours à la scène ? Etait-ce une manière de faire le point à un certain stade de l’histoire ?
Il y a des moments où on pense qu’il fait le point mais en fait il ne le fait pas du tout. C’est ce que me disait un jour mon meilleur ami en me faisait comprendre que je croyais avoir du recul alors que je n’en avais aucun [rires]. Moi, j’adore le cinéma quand les transitions sont décidées, soit par des cuts limite choquants, soit au contraire par quelque chose d’extrêmement harmonieux, comme dans la piscine où je me noie à la fois seul et à cause de mon frère qui surgit dans le plan d’après. Si émotionnellement je le sens, il faut que ce soit comme une descente, comme quelque chose qui n’en finit pas, et il ne faut surtout pas couper ça. D’autres moments, si tout d’un coup on travaille trop la transition dans l’émotion, on doit couper. On a filmé des transitions qu’on n’a pas mises en montage et parfois on a supprimé des transitions théâtrales pour les remplacer par un cut abrupt.
Quand vous pensez la scène, vous ne distinguez pas la drôlerie de l’émotion. Votre compositrice a déclaré que vous cherchiez le contrepoint entre une partition émotionnelle et le rythme des scènes drôles à l’écran.
C’est parce que très souvent elle me suivait, c’est tautologique, alors je lui disais : « ne raconte pas l’émotion que j’ai, je le joue, je le fais, tu dois faire quelque chose de différent !« . Il fallait qu’elle raconte autre chose. Parfois je rêvais de romantisme, je rêvais de Nos Plus Belles Années [Sydney Pollack, 1974 ndlr]. Je lui disais : « rajoute moi ça, cet air-là ! » [il chantonne]. Redford est génial dans ce film, il joue à la fois un mec ingrat mais qu’on aime quand même.
Vous vouliez du lyrisme.
Oui, mais en France quand on pense au lyrisme on pense à quelque chose de chargé. Ici, je voulais quelque chose de léger. Comme les feel good movies, ceux qu’on regarde le dimanche soir. Ils font un bien fou ! Après, je me suis beaucoup amusé avec les clichés. Ma mère m’envoie en Espagne, forcément j’avais envie d’être dans un film d’Almodovar, avec toutes ces actrices qu’on croit directement sorties de Femmes au Bord de la Crise de Nerfs (1988). J’ai bien fait exprès de demander à Nanou Garcia de jouer le rôle car elle ressemble un peu à Carmen Maura. Une des figurantes en sévillane ressemble aussi à Rossy De Palma. Pour l’Angleterre, je voulais un film de James Ivory, Jeremy ressemble à Hugh Grant, sa nana à Kate Winslet. J’ai fait exprès de m’amuser avec des clichés parce que c’est comme ça que moi-aussi je fonctionnais moi-même. C’est plus honnête.
Propos recueillis à Lyon le 23 octobre 2013 par Gustave Shaïmi et Tristan Bergé