Away et ses instincts vidéo-ludiques
Vainqueur de la nouvelle catégorie Contrechamp, Away marque le passage au long-métrage du letton Gints Zilbalodis après une décennie passée dans le court. La transition n’a pas été synonyme de moyen plus conséquent puisque le réalisateur a conçu tout seul l’intégralité de ce premier film. Pour être honnête, celui-ci subit les limites d’une conception en solitaire. Des cinéastes comme Nina Paley et son Seder-Masochism compense un travail mené avec ses propres moyens par un esthétisme très tranché. Ça n’est pas tout à fait le cas de Zilbalodis qui donne souvent des raisons de se plaindre en affichant des textures pâlottes ou des effets de matière littéralement absents alors que le son vient les souligner (le remplissage d’une gourde par exemple). On pourrait juger que certains soucis d’animation prennent finalement un côté stylisé comme lors de cette avalanche vers la fin. Mais cela constitue une piètre excuse. Néanmoins, en dehors des considérations techniques, il faut reconnaître qu’Away possède bien sa propre identité.
Si Away est une création solitaire, c’est qu’il est lui-même une expérience de la solitude. Le film se veut minimaliste au possible. Il raconte simplement la longue poursuite d’un enfant par une entité sombre qui sème la mort sur son passage. Zilbalodis aborde ce pitch basique en y ajoutant une note vidéoludique. En tant que spectateur, nous ne possédons pas le pouvoir d’interactivité caractérisant le média. Cependant, on ne peut s’empêcher de voir dans le héros une sorte de personnage de jeu vidéo qui n’aurait plus personne pour le commander. Si Away peut manquer de propos, le sens de sa démarche et la base de son atmosphère se trouvent probablement là. Notre héros dispose ainsi d’une carte lui indiquant son objectif et le renseignant sur sa progression afin d’échapper au monstre. Le chemin est clairement définit par des arches et le conduit d’un niveau à l’autre. Certains sont l’équivalent de checkpoint, zone sécurisée où le monstre ne peut pénétrer. Riche en eau et nourriture, le protagoniste pourrait y demeurer sans problème et se débarrasser de l’obligation d’affronter le monstre.
Mais cette solution n’en est pas une. Il lui faut admettre qu’il ne peut se contenter de stagner. Pour éviter une mort vaine (ce que lui révèle le squelette dans la grotte), il se doit d’avancer et de s’accomplir. C’est ce qui lie l’enfant avec l’oiseau. Le premier recueille le second et l’emmène avec lui dans son périple. Le laissant s’envoler à mi-parcours, l’enfant n’aura plus que des incertitudes sur la vie libre que mènera son ancien compagnon pendant une partie du film. Tout le long-métrage passe par cet impératif d’avancer, de bouger pour survivre. On apprécie les capacités de mise en scène de Zilbalodis pour mettre en valeur ses environnements. Ironiquement, son sens assuré du contemplatif est rattrapé par cette obsession du mouvement. Afin de bien épouser l’idée d’une avancée constante, il se refuse au plan fixe et agrémente chacune de ses compositions d’un mouvement de caméra. Un parti pris intéressant mais qui se heurte souvent aux phases plus calmes dans les zones sécurisés où on aurait apprécié que les cadrages soignés se passent de tremblements ou de légers travellings superfétatoires.
De toute évidence, Zilbalodis a encore beaucoup à nous prouver. Toutefois, ce premier long motivé par la quête d’assurance rend curieux de la suite de sa carrière. En espérant qu’on lui octroiera les moyens confortables qu’il mérite.
L’Extraordinaire Voyage de Marona : un récit kawai qui peine à dépasser son pitch
Les animaux ont toujours eu une place de choix dans le domaine de l’animation. Ce n’est pas uniquement parce que leur aspect mignon en fait les protagonistes parfaits d’un divertissement jeune public, c’est aussi que, dépourvus de parole, ils poussent logiquement à explorer le média et sa possibilité d’exprimer des émotions par la gestuelle. Comportant certes une voix-off, L’Extraordinaire Voyage de Marona s’inscrit dans cette veine non sans un certain panache visuel. Le film d’Anca Damian développe ainsi en profondeur cette idée d’embrasser la perception du monde par un chien avec pour résultat, une forme sublime. On est hypnotisé par un style crayonné qui prend vie par une animation 3D utilisée à bon escient. Le complexe mariage des techniques se fond à merveille dans le récit de la vie d’un chien et de ses maîtres. Malheureusement, à l’image d’un doublage terne et sans vie, ces emportements visuels peinent à convaincre dans leurs fonds.
On aurait bien aimé être touché par l’universalisme de l’histoire mais le scénario a tendance à en rester à son argument de base. Chacun des maîtres de Marona présente une personnalité unique que l’animation n’hésite pas à exploiter. Par leur intermédiaire, devraient se dévoiler plusieurs facettes de l’humanité en lien avec le propre développement de Marona. Le problème est que la démonstration manque de substance, elle n’évoque rien que des thèmes trop convenus par ses différents protagonistes : un acrobate hanté par ses démons intérieurs, un chef de chantier attendrissant mené par le bout du nez par une femme inconstante, une fille entrant dans la fleur de l’âge… Rien qui n’arrive à offrir une véritable envolée émotionnelle. L’Extraordinaire Voyage de Marona n’en est pas pour autant un mauvais film. Il arrive au moins à caresser dans le sens du poil l’ami des chiens sommeillant en chacun de nous.